Dans la hiérarchie très stricte des compositeurs de musique de films, le Polonais Abel Korzeniowski (51 ans) évolue dans ce qui serait, au foot, la deuxième division, ce qui explique sans doute pourquoi on n’en a jamais causé ici. Le bonhomme a pourtant signé des trucs intéressants et dont on aurait pu parler pour s’amuser comme l’album Kaas Chante Piaf (de Patricia Kaas) ou évidemment la BO de W.E, le film réalisé par Madonna (la Madonna) sur les amours du Prince Edouard et de l’Américaine Wallis Simpson. Côté BO, Korzeniowski a aussi accompagné le Single Man de Tom Ford, le splendide Emily, biopic magnifique d’Emily Brönte avec Emma Mackey, ou encore le sinistre La Nonne, film d’horreur dont on peut relier l’univers musical à celui de The Watchers (les Guetteurs), premier film de la fille de M. Night Shyamalan, Ishana. Autant dire que le compositeur qui a fait ses classes au Conservatoire très renommé de Cracovie n’a pas encore réussi à se tailler une place au soleil à Hollywood mais décroche tout de même des boulots plutôt intéressants dans des films assez originaux qui oscillent entre le vrai nanar, le film d’auteur ou le presque film de premier plan.. de série Z à B. Le Polonais est l’un de ces gars sûrs qui connaissent tout du métier mais qui n’ont pas le carnet d’adresses, ni la maestria (relationnelle, plutôt que technique) qui permet de se voir confier les clés d’un blockbuster ou d’un film de premier plan/rang. Cela n’enlève rien à l’intérêt de ses bandes-son, même s’il est forcément plus difficile de marquer les esprits quand on se tape l’illustration sonore de films dont tout le monde se fout. L’objectif de Korzeniowski est sans doute de gravir un échelon dans les prochaines années, ce à quoi peut contribuer son boulot sur Les Guetteurs.
Bien que très favorable au népotisme en art et fans absolus du père qu’on retrouvera dans quelques semaines, il faut avouer que Les Guetteurs est un film raté, bien que prometteur (disons ça pour ne pas être trop sévère), qui semble fait de morceaux ou de séquences narratives découpées à droite à gauche (voire empruntées à d’autres univers) mais qui, mises ainsi bout à bout, peinent un peu à faire un film cohérent et vraiment passionnant. Ishana Shamalayan a probablement vu un paquet de bons et de mauvais films mais n’a pas réussi à faire le tri dans ses idées de scénario. Elle choisit donc, un peu à la manière de son père, de mélanger l’atmosphère des contes à des ambiances d’horror folk ou de survivalisme, qui ne s’accorderont jamais tout à fait. Les personnages ne sont pas très costauds, ni passionnants (le traumatisme de la jeune héroïne qui porte le récit est un peu bidon, les autres personnages ne valent pas mieux) et le cadrage/l’image sont réellement sans imagination, ni intention de beauté. L’ensemble, paradoxalement pour ce qu’on en dit, se regarde toutefois sans déplaisir parce qu’on peut y retrouver des morceaux, des séquences (la fuite vers la bateau, le siège de l’abri par les créatures, etc) qui nous rappellent de bons souvenirs et qu’on peut ainsi re-dérouler paisiblement et en roue libre.
Si les Guetteurs est un désastre moindre quand on le regarde que quand on y songe à tête reposée, c’est en partie parce qu’Abel Korzeniowski contribue par son travail à maintenir l’unité d’ensemble, voire à la créer quand elle n’existe pas. Dire que le film ne tient debout que par sa BO est évidemment exagéré mais c’est bien la bande originale qui vient conférer au tout un liant et une profondeur d’intention qui n’existe pas ailleurs. Il est d’ailleurs assez amusant de noter (ce n’est pas si fréquent) que les titres des plages de la BO sont complètement transparentes et donnent, à la lecture, une sorte de vrai résumé de ce qui se passe dans le film. Il y a donc bien dans l’intention du compositeur, par delà la volonté illustrative (de répondre aux images) d’emmener celles-ci vers un récit clair, une forme de progression logique qui, sur le plan narratif, est brouillée par les conflits référentiels et d’enjeux du scénario. Lire le titre des plages de 1 à 18 est ainsi assez risqué puisqu’on passe à deux doigts du spoiler.
En tant que petit maître en devenir, Korzeniowski opère dans un registre bien codifié qu’il occupe avec un brin d’originalité avec sa signature personnelle, une couleur sombre, inquiétante et “vrombissante” qu’on lui retrouve de film en film et qui dérive de son instrument de prédilection : le violoncelle. La BO démarre par une plage fantastique et très réussie, The Dying Gods, qui sur deux minutes soulève un réel espoir pour le film. Les cordes et la rythmique très zimmeriennes suggèrent un climat d’angoisse tourné vers l’héroïsme de haute volée qui se prolonge de façon assez classique sur un Point of No Return que Korzeniowski vient brutalement interrompre à mi-chemin pour nous plonger dans la frousse minimaliste et caverneuse d’une forêt obscure. Il faut avouer que ce début de BO est somptueux, racé, élégant, complexe et très très inspiré. Certes, Korzeniowski n’est pas le genre (à ce stade de sa carrière) à proposer des thèmes vraiment marquants ou des choses qui sont en capacité de dépasser le film qu’il illustre (ce sera peut-être pour plus tard). Mais en tant qu’illustrateur et accompagnateur d’émotion, le Polonais a du talent pour faire les choses comme il faut sans sombrer dans le tumulte, le bruit et le déferlement orchestral.
On apprécie notamment la jolie construction d’un Welcome to The Show qui progresse à tâtons et refuse d’y aller avec de gros sabots. On retrouve cette méticulosité, ce soin et cette précision dans la pièce qui suit Stachys Sylvatica. Ce qui est intéressant chez Korzeniowski, c’est que tout renvoie à une belle maîtrise de ses effets que ceux-ci soient travaillés très discrètement sur quelques notes de piano (on retrouve cela à la fin avec le splendide morceau A Little Girl, Sometimes, peut-être la pièce la plus délicate du disque), ou avec l’ensemble à cordes ou l’orchestre entier comme sur le quasi parfait Metamorphosis qui contient en lui tout le fardeau de la créature métamorphe. Ces pièces haut de gamme donnent du cachet à une BO qui est d’une élégance folle et en permanence percutée par la monstruosité supposée des créatures. Sur le très bon, What Book Am I Reading ?, la pièce orchestrale est violemment “découpée” par la menace, la musicalité anéantie par l’irruption/la disruption fantastique.
La faiblesse du film tient dans la caractérisation assez incertaine (malgré les explications qu’on recevra plus tard) des monstres/fées/créatures et aussi dans la faiblesse des personnages. Korzeniowski ne trouve aucun point d’appui dans le récit, aucun personnage assez fort pour justifier un thème, voire même amener un peu de complexité entre courage/peur/héroïsme. La musique est ainsi assez vite condamnée à paraphraser le récit et à se limiter à un rôle “climatique”, suivant ou posant les ambiances, sans chercher à exprimer autre chose. Sur Tree Hiders, le mouvement est ample et épique mais ne fait que suivre le scénario : à savoir nous dire que deux personnages n’ont pas regagné le “poulailler” avant la nuit et que l’heure est grave. C’est à la fois très bien fait musicalement mais trop évident pour marquer les esprits.
L’un des meilleurs moments de la BO est Escape, l’un des seuls instants où l’action appelle autre chose que son propre commentaire. Avec la fuite, le compositeur amène du soulagement, des valeurs, de l’émotion et une certaine expression de la liberté. La dernière minute de la pièce, ralentie et solaire (tandis que le lac se dévoile) est formidable et montre que Korzeniowski a un potentiel extraordinaire.
L’ensemble, comme cela arrive souvent, est supérieur au film qu’il illustre mais tout de même barré par les limites de celui-ci. On ne doute pas que le compositeur Polonais a en lui des BO fabuleuses mais on y est pas encore tout à fait. Il faudra pour cela qu’il trouve une matière suffisamment riche et complexe pour faire autre chose que de l’illustration sonore, qu’il puisse ouvrir des mondes, les augmenter, plutôt que de les commenter.
02. Point of No Return
03. Into The Woods
04. Welcome To The Show
05. Stachys Sylvatica
06. The Burrow
07. What Book Am I Reading ?
08. January
09. Tree Hiders
10. The Door In The Floor
11. Escape
12. It’s Not Him
13. I Wanna Be Like Lucy
14. Mural
15. The Woman In The Photos
16. Birds Are Gone
17. Metamorphosis
18. A Little Girl, sometimes