David Baloche / Caddo Lake (Original Motion Picture Soundtrack)
[Warner Bros.]

8.8 Note de l'auteur
8.8

David Baloche - Caddo LakeQu’on se rassure : on ne se lance pas la chronique de la BO du remarquable film du non moins remarquable duo d’auteurs Celine Held et Logan George pour faire des jeux de mots foireux sur le nom de son compositeur. Ne comptez pas sur nous pour dire que la musique de Baloche se balance entre les genres ou qu’elle  tourne autour du trou ou je ne sais quoi d’autre. Caddo Lake est l’un des grands films de l’année 2024, un film mésestimé ou du moins pas assez vanté dans la critique, qu’il nous paraissait important d’honorer à travers son excellente bande-son, à laquelle revient une part non négligeable du charme trouble de ce film « fantastique ». Et tant pis si le compositeur s’appelle Baloche. On est pas là pour faire dans le musette.

Si on a jamais croisé la route de David Baloche jusqu’à présent, c’est parce qu’il semble que cette bande son soit son premier travail officiel. Le jeune homme est américain, dispose d’un Bandcamp qui présente quelques travaux de jeunesse dont l’un, L’Eglise Saint Martin, est un mini-album très singulier (folk sacré) enregistré dans une église de Normandie. On lui connaît aussi un album, Labyrinth, sorti il y a sept ans et c’est à peu près tout (il est probable que l’on n’ait pas si bien cherché que ça). Ces travaux qui s’étalent sur plusieurs années et datent un peu relèvent de divers genres et présentent une qualité inégale (euphémisme) qui situe le travail réalisé sur Caddo Lake comme l’aboutissement de quelque chose. Difficile en effet de reconnaître dans cette BO toute en subtilité le type qui beugle sur Scourge of War dix ans auparavant. Pour les non anglophones, « scourge » n’a rien à voir avec les courgettes mais signifie « fléau ». Baloche, courge, on s’enfonce.
Si Caddo Lake est si bon, c’est :

1/ parce que les réalisateurs sont excellents. Leur premier film Topside qui prolongeait un travail documentaire sur les sans abris était remarquable et ce deuxième essai est réussi haut la main, tant dans le placement des caméras que dans la direction d’acteurs. C’est un quasi sans faute, jusque dans la bascule du film (produit par Shyamalan, cela ne s’invente pas) dans un autre univers (on en dit pas plus) à mi-chemin.

2/ parce que Caddo Lake se passe à Caddo Lake, sorte de Mangrove entre Texas et Louisiane, qui offre un décor à l’exploration et au drame absolument fabuleux et qui, ici, est exploité parfaitement. Le film nous gratifie, en passant, d’une petite histoire de cet étrange coin d’Amérique, tantôt pollué, exploité pour son pétrole, noyé sous les eaux ou quasi abandonné, ce qui ne gâte rien.

3/ la distribution est cool et la direction d’acteurs au poil. On ne va pas citer tout ce qui va bien ici, parce qu’on ne fait pas de critiques ciné

4/ le scénario est épatant. On dira juste pour ne pas spoiler (mais on spoile déjà en disant cela) qu’il s’agit d’un drame psychologique et fantastique organisé autour de la disparition d’une fillette de 8 ans… sur fond de dérangement temporel. On adore ce genre d’histoires et celle-ci est tout aussi inattendue que remarquable, tordue à souhait au bon point qu’il est impossible de regarder le film sans en prolonger le mécanisme pendant 30 minutes… afin d’être sûr qu’on a tout compris. (ou pas)

5/ et enfin : le travail de David Baloche qui est à la fois audacieux, pertinent et parfaitement adapté au sujet et au ton du film qu’il illustre.

On a d’emblée une petite idée de ce dont il est question ici quand la BO démarre par une minute de silence, quelques bruits parasites pour escalader un inquiet crescendo sur à peine deux minutes. Le morceau s’appelle Anchor et fuit dans une autre pièce plus passe-partout, Unmoored, mais pleine d’élégance et qui vient aider la réalisation à poser une atmosphère faite d’hésitations, de trouble et de mystère.

La BO composée par David Baloche comprend 26 pièces et se déploie sur une petite heure et demie. Elle reprend pas à pas tout ce qui rythme le film. Les moyens sont sans doute limités et on n’est pas certain qu’il y ait beaucoup d’instruments organiques ici. Le tout est principalement synthétique, bref (la plupart des pièces ne dépassent pas la minute), et consiste à souligner d’un trait fin une émotion, une image pour en renforcer l’ambiance. C’est assez bien fait, à l’image de, par exemple, Steel River, mais ne livre pas, musicalement parlant, beaucoup de morceaux mémorables. Il y a des titres un peu plus forts et qui pourraient servir d’appui au développement d’un thème (Alligator) mais qui, parce qu’ils ne durent qu’un instant, n’ont pas le temps d’imprimer. La BO reste donc au stade de l’illustration, du décor. Elle souligne, elle enveloppe, elle contourne, suivant le fil des nombreux bateaux qui circulent dans le marais.

L’impression laissée est de fait assez paradoxale. On retrouve dans cette musique tout ce qu’il y a de bien dans le film : le pouvoir de suggestion, la délicatesse, la justesse des personnages et la parfaite description psychologique des passions en cours… mais sans qu’on puisse s’enflammer pour le travail qu’il y a autour. Baloche est comme les deux réalisateurs tout absorbé par son travail, anti spectaculaire mais puissant. On peut citer en appui de ça le bel enchaînement entre les deux pièces lumineuses puis tendues, minimalistes et très concentrées que forme la lecture de Honest et Fates. C’est à partir de ce moment là que le statut du film va changer. Gone lance la bascule vers un autre récit, plus complexe, plus dense encore et qui se déploiera pendant une heure comme un dangereux casse-tête. Les morceaux sont plus longs mais pas moins nébuleux et plus transparents. Baloche verse dans l’ambient et, prenant son temps, monte en gamme. Water Levels est assez passionnant. Les synthés singent les cuivres. La musique est minimaliste mais dessine des mouvements plus amples, comme si les compositions étaient peu à peu imprégnées des contours sinueux des marécages mais aussi décomposées par les strates/portes temporelles qui mettent l’intrigue en miettes. On pense un peu aux BO de Trent Reznor et Atticus Ross. La musique devient gouffre à défaut de tourbillon. Elle creuse, ricoche,  crée des effets de profondeur et d’écho qui sont perturbants et vertigineux (The Calling). L’idéal est d’écouter tout cela dans le noir et au casque, pour bénéficier des effets gauche/droit et des rebonds. Les notes créent des vagues comme si elles se comportaient comme des pierres jetées à l’eau. Ce sont les personnages qui s’y perdent de la même manière.

De Necklace, avec ses rythmiques millimétrées et ses troubles bruitistes, au morceau de bravoure unique (presque 10 minutes) que propose Generations, on évolue entre le champ classique et la musique expérimentale, quelque part dans un espace temps qui nous ramène au génie de Throbbing Gristle et à l’âge des grands bidouilleurs. Le méga-morceau est somptueux, épique, solaire et offre la meilleure occasion de se perdre-immerger dans l’embrouillamini du scénario. Tout est clair/rien n’est clair. La tension lynchienne est évidente. La musique en est l’appendice et le prolongement. Elle est plus figurative sur un titre tel que When The Dam Breaks (c’est l’instant où la vérité est révélée) mais encore plus forte lorsqu’elle explore la grande abstraction qui soutient l’ensemble. Quelle est la matière du temps ? La poule ou l’œuf ? La mère et la fille. Les deux et comment est-ce possible ? L’épouse et la mère ?

Caddo Lake est un film grandiose et David Baloche l’un de ses messagers et passeurs indispensables. Pour une première composition et avec des moyens restreints, on tient là une BO fascinante et aux qualités réellement post-modernes. Aucun extrait ne risque de devenir un tube. Aucun de figurer dans un best of pour salles d’attente. Mais quel pouvoir de vous faire basculer dans l’imaginaire ! Quel talent pour vous faire perdre pied !

On ne doute pas que Baloche ait d’autres joyaux de ce style dans sa besace (sic).

Tracklist
01. Anchor
02. Unmoored
03. Funeral
04. Steel River
05. Alligator
06. We Don’t Understand
07. Home
08. Honest
09. Fates
10. Wolves
11. Gone
12. The Current
13. Searching
14. Water Levels
15. The Calling
16. Voltage
17. Roots
18. Palindrome
19. Moths
20. Rope Bridge
21. The Chase
22. Necklace
23. Generations
24. When the Dam Breaks
25. Longing
26. The Lake
Écouter David Baloche - Caddo Lake

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