Les inconditionnels d’Arab Strap et d’Aidan Moffat, son chanteur barbu, ne résisteront probablement pas à l’idée d’écouter ce nouvel album solo, Where You’re Meant To Be, qui rassemble des chansons empruntées au folklore écossais et données sur scène par Moffat dans une sorte de tournée culturelle et traditionnelle de petits bars en petites salles. Ils auront raison : c’est un album qui, si vous aimez les chansons paillardes, les chansons à boire et les histoires que raconte Moffat depuis 20 ans maintenant, constituera pour vous un vrai plaisir de gourmet. Il achèvera de vous convaincre que Moffat est une sorte de demi-dieu décadent probablement sorti tout droit du American Gods de Neil Gaiman, l’un des types qui ont dû changer de vie et adopter une posture civile car plus grand monde ne croyait plus en eux. La captation provient d’un concert donné sur les bords du Loch Ness au Drumnadrochit Village Hall, l’un des temps forts de cette tournée pas comme les autres.
Where You’re Meant to Be s’accompagne d’un documentaire (ou plutôt accompagne le documentaire dont il est l’accessoire) en format long où l’on suit Moffat tout au long de cette tournée. C’est à la fois un reportage sur l’homme et une exploration sur les ressorts des musiques populaires, comment elles naissent, vivent, meurent, et ici renaissent pour « occuper » une nouvelle époque. Moffat évoque assez longuement son travail et sa manière de revisiter les paroles pour leur donner une tournure moderne, une lisibilité nouvelle. Et cela marche du tonnerre. Si vous détestez tout ce qui ressemble à des chansons traditionnelles, si vous ne pouvez pas souffrir l’accordéon et si vous croyez que les Pogues sont un groupe d’édentés et de punks, vous pouvez aller vous faire foutre et bien sûr passer votre chemin. SI vous avez jamais eu l’idée de vous pinter dans un (vrai) pub et pas l’un de ces établissements reconstitués façon Disney pour vous donner l’illusion d’être un Anglais véritable, vous avez probablement de très bonnes chances d’aimer ce disque au-delà de ce qui est raisonnable. Where You’re Meant To Be est joyeux, vibrant, humain, chaleureux. On entend le public (Moffat explique dans le livret qu’il a joué dans des salles quasi vides et que cette tournée avait mal démarré avant de décoller). On entend les gens qui se marrent et qui vivent et qui boivent. Et la voix de Moffat est sublime. Les textes sont géniaux, épatants, sensibles. On pleure, on tremble. On aime, on vomit, comme toujours chez Arab Strap. On baise, on pète et on court pour se sauver après un mauvais coup. On est romantiques et on fait le coup de poing. The City Tonight est une perfection de tristesse. Le reste est joyeux, uptempo, enlevé et donne une énergie incroyable. On peut citer l’énorme et sexuel I’m A Rover, l’épique Big Kilmarnock Bunnet ou le déchirant et majestueux Mac Pherson’s Farewell.
Pas la peine de de citer les titres un à un. C’est l’ambiance qui compte, l’atmosphère, la franche camaraderie du chanteur et du groupe (dont plusieurs membres du groupe The Twilight Sad). Il y a de la poésie (Jock Mc Graw), des morts et de l’histoire qui glisse entre vos oreilles comme le temps file. Depuis qu’il s’est acoquiné avec Bill Wells, Aidan Moffat ouvre des voies profondes au cœur du patrimoine écossais. Il enrichit ainsi son songwriting, urbain en provenance de Glasgow, en plongeant profond ses racines (et sa bite quand il en a l’occasion) dans un héritage sans âge et immortel, fait d’épopées éthyliques, d’orgies sexuelles, de drames joycéens et de songes. L’album se termine par une ou deux compositions originales qui n’ont rien à envier aux classiques. Entre les titres, Moffat raconte la genèse des chansons et se marre en exposant ses doutes, son appréciation des morceaux. C’est un bel album live en plus d’être un album d’une sincérité redoutable. On en finit par se trouver dans la salle avec lui. The Parting Song est l’une des plus belles chansons qu’on a entendue cette année. Un morceau d’une beauté invraisemblable. A ce niveau-là, on se moque presque de retrouver Arab Strap en couple, tant qu’on peut se farcir Moffat à la maison. « Let’s drink and be merry/All grief to refrain/For we may or may never all meet here again.” What else ? Aidan Moffat finira avec une stèle à son nom.
02. I’m A Rover
03. Big Kilmarnock Bunnet
04. The City Tonight
05. Ode To O’Brien et al
06. Mac Pherson’s Farewell
07. Jock Mc Graw
08. I’m A Working Man
09. Abduction Lullaby
10. The Parting Song
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