Quel étrange secret entoure la petite ville portuaire de Lyttelton (Nouvelle-Zélande) ? Esprit Maori ? Grimoire malicieux racontant la venue d’un bateau fantôme une fois par décennie ? Visite nocturne des morts vêtus de leurs suaires ? Sans doute guère un hasard si le cinéaste Peter Jackson implanta l’action de The Frighteners (série B potache contant les aventures d’un… médium) au cœur de cette communauté. Un secret que renforce l’étrange musique d’Aldous Harding. Pour rester dans une généalogie cinématographique, ce premier album éponyme pourrait tisser des liens avec certains songes qu’illuminait Jane Campion à ses débuts : le réel est affirmé bien qu’un décalage onirique se fait ressentir ; les thématiques s’implantent dans du concret mais la perception de l’auditeur navigue, elle, dans un climat trouble et troublant… Aldous Harding n’est pas compositrice de chansons ; plutôt invocatrice, shaman ou exorciste.
Ceci ne peut donc décemment rentrer dans la case (pratique) du « néofolk ». Ceci n’est même pas du folk (tout court). Alors oui, bien sûr : la voix d’Aldous Harding ne s’accompagne qu’à la guitare acoustique (ou presque : on y entend également du theremin). Pourtant, les accords refusent ici le terrain du conventionnel ou du simple habillage sonore : chaque corde provoque un sentiment d’effroi car pouvant, à tout instant, se tendre jusqu’à la brisure ; chaque mélodie se rapproche bien plus d’une imploration céleste (inquiète) que du mix universel (donc formaté). Il s’agit d’une musique terreuse, farouchement artisanale, qui se joue les doigts sales et le pantalon déchiré. Une musique qui doit moins à Nick Drake (pour ne citer que la référence ultime en la matière) qu’au bon vouloir de Mère Nature.
Et puis, il y a cette voix. D’une tristesse rendant parfois difficile l’écoute de l’album. Pour cause : Aldous Harding ne chante pas la mélancolie ou le gentil spleen, elle exprime un moment de perdition absolue au cours duquel le seul apaisement consisterait à se couper l’oreille gauche. Dès lors, inutile de se lancer dans un méticuleux décryptage des textes : par la seule force de ses intonations, Aldous Harding réveille en chacun le terrible souvenir d’une nuit où la terre semblait tourner à contresens, où le sol vacillait sous le poids d’une incommensurable douleur…
Certains disques apaisent car ils confortent les méandres du fan conquis (via un mode identificatoire – sur ce point, les Smiths demeurent l’indépassable parangon). D’autres, à l’instar de celui d’Aldous Harding, trifouillent tellement loin dans la résignation qu’il est difficile pour l’auditeur, à leurs écoutes, de ne pas se laisser contaminer par l’autoflagellation. Epargnez-vous trois mois de psychanalyse : écoutez le premier album d’Aldous Harding !
02. Hunter
03. Two Bitten Hearts
04. Titus Groan
05. Beast
06. No Peace
07. Merriweather
08. Small Bones of Courage
09. Titus Alone