La différence entre les musiques qu’on aime et la variété est souvent ténue. Il arrive parfois que les deux univers se recouvrent ou entretiennent des relations si étroites que la séparation qu’on soutient le reste du temps entre les deux, comme un cordon sanitaire snobinard, s’efface ou n’ait plus lieu d’être. Cela arrive avec certains artistes comme Stephan Eicher, Bashung ou Daho. D’aucuns appartiennent plus ou moins à l’un ou l’autre des deux camps mais s’écoutent par delà le mur. Axel Bauer n’avait jusqu’ici jamais franchi la ligne de partage. Rockeur dissident dont on a longtemps retenu que le brillant et interlope Cargo de Nuit, Axel Bauer a signé jusqu’ici six albums dont on aura remarqué finalement que Peaux de Serpents, un disque (2013) sur lequel figuraient des chansons signées par Brigitte Fontaine et surtout Gérard Manset. C’est du côté de Manset que s’établit la filiation cette fois, si évidente sur la plage 2, L’homme qui court, qu’on croit à une erreur :
Il a brulé sa maison, sur un simple coup de tête
L’homme qui court sans raison, là-haut sur la ligne de crète
Il a franchi la colline, il voulait juste voir derrière
Si l’herbe ailleurs était plus fine et si l’eau était plus claire
Un homme qui court après sa vie
Ça vaut tous les discours et les théories
Tout y est jusque dans l’orchestration rock qui fait tâche et nous renvoie à une autre période. Achète moi une âme avec ses « vends moi » du début ressemble trait pour trait à une composition de Bashung. Et c’est une chanson grandiose, aux textes somptueusement poétiques et abscons, que le groupe allonge au delà de ce qui est soutenable. La voix d’Axel Bauer est remarquable. Ce sont plutôt les orchestrations rock « à l’ancienne » qui alourdissent le propos. Tout l’or du monde est daté, mélange de Johnny et d’un Manset déphasé. J’aime ça et C’est malin sont tout le contraire, ralentis et appliqués, à poil et intenses. C’est dans ce registre intimiste et combattant que Radio Londres résonne comme un disque fort et inattendu. Les morceaux sont parfois artificiellement gonflés de références et trop écrits pour ce qu’on peut supporter (Est-ce ainsi que les hommes vivent) mais témoignent d’une volonté de faire sens qui, presque partout ailleurs, est portée avec une belle justesse. Radio Londres, à l’image de son premier morceau, Ici Londres, qui renvoie le chanteur à la figure de son père (la voix historique de Radio Londres), est un titre efficace et qui tente de dresser un parallèle historique entre la période contemporaine et la période 1939-1945. Où est la Résistance ? Comment est-ce qu’elle peut s’exprimer ? La métaphore n’est pas suivie avec beaucoup de soin sur le disque et s’avère de fait un peu décevante et mensongère. Elle n’en définit pas moins une attitude d’interrogation sur nos conduites et nos comportements qui situe Bauer du côté de la variété intelligente et d’une forme d’engagement humaniste. On développe une sympathie naturelle pour le bonhomme et ses chansons, même si on est pas certain de voir où il veut en venir. Ce que tu ne sais pas sonne comme du Charlélie Couture, affriolant mais un peu creux et bidon. Envole-toi aurait pu être écrit par Francis Cabrel. C’est à la fois pas mal et assez déconcertant.
L’impression générale laissée par le disque est que cela pourrait s’écouter et qu’il y a ici quelques chansons et caractéristiques sacrément aimables mais qu’on est pas tout à fait prêt pour prendre le tout sans rechigner. Entre la balade attrape-tout sur-signifiante (Le jour s’enfuit), la scie bluesy existentielle (À qui n’a pas aimé) et le rock balourd, ample et déterminé (Le jour se lève), possible qu’on ait eu envie de prendre des vessies pour des lanternes et que tout ceci manque de consistance.
Radio Londres reste ce qu’il est : un album de musique mainstream, qualitatif mais mal défini, un objet valeureux mais dont les qualités poétiques diluent plus le propos qu’elles ne le servent ou ne lui confèrent de force. Si certains morceaux épatent, d’autres nous parlent moins. Rien de nouveau sous le soleil variétoche.