Après Hidden Memories en 2017, Erwan Pépiot, l’homme-orchestre derrière Somehow revient avec un deuxième album qui diffuse, comme le précédent, la sensation étrange de faire face à l’œuvre-collage d’un type tombé dans la marmite indie pop quand il était petit et qui n’a donc pas besoin d’en reprendre une louche pour en déployer les superpouvoirs. Low Tide est un miracle et un mirage qui opère comme la synthèse troublante d’à peu près tous les artistes qu’on a pu croiser et aimer ces trente dernières années, comme s’il s’agissait, non pas d’un album de reprises, mais d’un medley stylistique magnifique et qui reste, même après plusieurs écoutes, assez improbable. La sensation de « déjà entendu », par bribes et ailleurs, est de fait tenace et ce qui nuit à l’affirmation, du point de vue du fan qui se demandera tout du long si ce spectacle, pourtant original et unique en son genre (qui plus est en français), a sa personnalité propre ou ne vaut que par la somme de ses ressemblances.
L’entrée en matière, The Wave, convoque assez vite le spectre irlandais et sosie vocal de Neil Hannon, sur un canevas de guitare gracile et smithienne. Pépiot emprunte au yoddle caractéristique de Morrissey, dans une version atrophiée et qui renvoie aux accents ska des années 80, en guise de seconde voix, tandis que le texte parle de perte des repères et de ne pas trouver son chemin. Invisible Walls nous fait penser à l’un des beaux morceaux de Martin Rossiter, la voix de Gene, entonné en fin de banquet avec un verre dans le nez. Pépiot est accompagné tout du long par la chanteuse Aurélie Tremblay dont la voix, magnifique, est utilisée avec un sens de l’économie et un bonheur qui éclairent et relèvent chacun des morceaux d’un trait d’intelligence et de charme. Le piano est parfait et la musique à la fois flamboyante et intimiste. I Threw It est un morceau d’indie pop merveilleux, élégant et racé. La structure est limpide, le refrain suffisamment séduisant pour s’incruster assez rapidement dans notre esprit et le texte juste et profond. Somehow brille du reste par la maîtrise de ses effets et un travail élaboré et réellement impressionnant avec les codes pop. L’effet de mimétisme (ici une guitare à la Motorama, un segment de voix à la Editors ou à la Interpol, etc) ne doit pas nous tromper : on est ici devant un travail profondément personnel et original qui ne doit pas être cantonné au jeu des 10 ressemblances, même si on avoue avoir du mal (par déformation) à s’en affranchir.
L’esprit de synthèse de Somehow fait merveille sur la plupart des morceaux. On croit croiser un featuring de Jarvis Cocker au milieu d’Over The Raindrops avant que le clone de Morrissey ne refasse son apparition. La pop règne, enlevée, conquérante et luxuriante. Le jeu de guitares est époustouflant. « Sun is shining through your window. Yeah, it is shining through your window. And it is alright. » démarre Pépiot sur le magnifique There’s A Riot Coming. « Now i can’t tell for sure if there is a riot going on. I wish i could tell what’s wrong and what’s going on. » Le point de vue d’écriture est renversant et anti-punk au possible. Il ne s’agit pas d’observer l’émeute ou d’y participer mais juste d’envisager qu’elle puisse exister depuis la retraite et l’abri de la chambre où l’on ne sait, ni ne voit rien. Somehow réusssit avec ce morceau à imposer une écriture et une posture romantiques réellement émouvantes et originales. Low Tide évolue entre pop folk (Take On The Best), influences gothiques et cold sur l’un peu moins réussi Modern Life ou la synth pop à la My Life Story (dont on parlait récemment) sur l’ambitieux Shut Your Eyes and See, premier single accrocheur et irréprochable tiré de ce LP. Chaque tentative est couronnée de succès, même si on regrette au final que la démonstration musicale ne débouche pas sur l’expression d’un « contenu » un peu plus homogène et caractérisé. Low Tide parle d’amour, d’agitation sociale ou extérieure du moins mais utilise l’anglais pour rester à la surface des choses et proposer des engagements finalement assez génériques. C’est là la seule réserve qu’on fera au projet : ne pas savoir, par-delà la beauté, le lyrisme et l’élégance manifestes, exprimer ce que le chanteur a réellement à dire de manière explicite. Qui se cache derrière Somehow ? Parle-t-on d’allégresse ou de solitude ? Entend-on une âme seule ou un collectif ? Il y a ici un manque de définition qui nuit parfois à l’expression du sentiment et de l’intention.
A cette réserve près, Low Tide est un album précieux et bluffant qu’on ne peut que recommander aux amateurs éclairés et à ceux qui ont baigné dans cette musique depuis des décennies. On n’aurait jamais cru qu’une telle musique puisse advenir un jour sous la plume et les cordes d’un Français. Somehow réalise avec une belle facilité rien moins que ce que deux générations d’amateurs de pop britannique avaient rêvé dans leur chambre et n’ont jamais réalisé : sonner pleinement Anglais. Ce n’est pas une petite prouesse.