Il faut parfois tenter le pas de côté et mettre ses oreilles où elles n’ont pas l’habitude de traîner. C’est ainsi qu’on a écouté sur suggestion le surprenant deuxième album de l’Italien Luca Sapio dont on ne connaissait jusqu’ici que le nom.
Sapio est ce qu’on pourrait appeler un chanteur de charme italien, entre soul et blues, un de ces types à la voix chaude et anachronique, qui vous fait voyager dans le temps rien qu’en faisant des vocalises ou en se brossant les dents. Everyday Is Gonna Be The Day (Glider Media Group Records) est l’un des trucs les plus chouettes qu’il nous ait été donné d’écouter en ce début d’année (ok, on n’est encore qu’en janvier), une sorte d’oasis de velours et de bonheur divinement bienvenu en cette époque troublée. La musique de Luca Sapio relève de la feel good music. Elle vous plonge dans une mélancolie et une peine qui paradoxalement finissent par vous réjouir. On connaît le prodige depuis Sinatra, Chet Baker et quelques autres. Luca Sapio est vaguement l’héritier de ces types-là. Ce qui fait sa singularité cependant c’est que le bel italien évolue ici dans un double registre assez saisissant entre crooning à l’ancienne (les trois premiers morceaux de l’album) et une soul music qui convoque avec brio (et sourire aux lèvres) les fantômes de Ray Charles et James Brown. All Around Me, par exemple, est une merveille qui passe du groove aux larmes sur fond d’orgue vintage avec une fluidité étonnante. Le titre éponyme est d’une intensité et d’une classe extraordinaires, sublimé par des arrangements au poil, entre jazz élégant et disco des années 70. On signalera aussi (parce que c’est une petite merveille) le Lawbreakers de cowboy rock qui présente le chanteur dans un registre plus musclé. Pour dire la chose, l’album est un sans-faute de bout en bout de ses dix titres et un pur bonheur. On peut danser dessus, baiser ou simplement siroter un martini en étirant ses orteils.
Par-delà la voix de Sapio, l’élégance absolue de l’ensemble repose sur le formidable travail de production réalisé par Thomas Brenneck, un des tauliers contemporains de la musique black qu’on a pu retrouver associé à des noms comme Mary J. Blige ou même Amy Winehouse. Luca Sapio évolue bien entendu dans ses eaux là, et donc parfois à la limite de la crème chantilly. Il le fait toutefois avec une subtilité et une telle force que toutes les critiques en légèreté sont désamorcées par le plaisir de l’oreille.
Comme dirait l’autre, il n’y a pas de mal à se faire du bien. Sapio représente une forme de sommet de l’échelle biologique en matière de séduction masculine, de roucoulades et de distinction. Comme il est assez peu probable qu’il casse la baraque en supermarchés, on peut se contenter de le déguster en gourmet comme on s’amusait hier des playboys d’Automator et de Prince Paul.
02. Dark Shadows
03. Tell It Like It Is
04. Nobody Knows
05. All Around Me
06. Everyday (Is Gonna Be The Day)
07. Lawbreakers (Making Rules)
08. Let It Shine
09. I’m So Tired
10. I Was A Good Boy