Indéniablement, Benoît Pioulard a un véritable talent de « soundmaker », lui qui a déjà réalisé une bonne quinzaine d’albums (essentiellement pour le compte de Kranky et désormais chez Morr Music) et un nombre incalculable de formats courts qui ont fait de lui une figure emblématique de la scène ambiant actuelle aux côtés d’artistes tels que Grouper, Loscil, Stars Of The Lid, Tim Hecker et quelques autres encore. La parution de Sylva peut donc tout à la fois paraître comme un événement (son dernier véritable album, Lignin Poise, remonte à 2017) ou anecdotique.
Pour les adeptes du genre, à l’aune de la carrière de Thomas Meluch, cet album devrait être de ceux qui compte, comme l’ont étaient Substrata de Biosphere (1997), tant pour la démarche de l’auteur que pour la qualité musicale de cette odyssée déclinée en 4 actes. Abandonnant momentanément son job alimentaire, celui qui se fait appelé Benoît Pioulard quand il endosse son statut de musicien émérite est parti durant 9 mois entre le Montana, Hawaï et son Michigan natal, collectant des sons, enregistrant de-ci de-là, en profitant pour recueillir les participations d’amies (Freya Creech au violon ou la voix de Caroline Shaw). Il a également réuni une large collection de clichés au Polaroid saisissant la beauté de la Nature, des formations géomorphologiques, des étendues d’eau comme des déserts, de la flore au fil des saisons.
Ces photos sont réunies dans un livre de 84 pages a apprécier en écoutant Sylva qui en fait office de bande-son. Ce sont ces paysages qui alimentent l’ambiance sonore des chapitres : la solitude, le feu, la semence, le fleurissement (chacune de ces notions étant à apprécier pour leurs sens allégoriques). Savoir que Meristem, composé en souvenir de son frère disparu à l’age de deux ans, constitue l’un des paragraphes du troisième chapitre prend alors une autre résonance. Et il en est ainsi de chacune des pièces de l’Américain. Elles ne font sens que dès lors que l’auditeur parvient à y projeter ses propres émotions, ses propres (res)sentiments. Ces tapis de notes éthérées qui dérivent peuvent devenir de formidables vaisseaux au pays des songes. Bourdonnantes, parasitées, ces compositions sont toujours illuminées d’un feu intérieur. Bien évidemment, une fois encore, c’est lorsque le compositeur multi-instrumentiste accepte de chanter ses propres mots qu’il est définitivement convaincant et Keep est, à cet égard, le moment-phare de ce disque. Ce moment précis et précieux où l’on sait pour quoi chaque album de Benoît Pioulard peut être un événement qui nous arrache à l’ordinaire des jours qui défilent sans même qu’on en est conscience.