C’est la récente sortie du dernier Gontard et du nouveau album russophone de Ray Bornéo, Tara King Th. chez Petrol Chips qui nous a rappelé l’oubli, en nos pages, du premier album de Tillous, Mémoires Parallèles. Sébastien à la ville, moitié musicale du duo électro hip hop L’Envoûtante sur le même label, avait signé son début d’aventure solitaire avec Émancipation (2022), un EP en quatre titres prometteur. Mémoires Parralèlles sonne enfin l’appel des champs.
Vivant, trop vivant
Dès les premières minutes des Retrouvailles, on a l’impression de sentir ses mêmes matinées, près de cette même triste zone de travaux routiers, bordant cette même maussade campagne d’automne nous regardant de ses yeux. Comme avec L’Envoûtante, c’est très répétitif, peut-être trop long comme bande. Il bruine, et la pelle sonne inlassablement comme tous les matins du monde. On terrasse la chaussée, mais on ne souhaite qu’une chose : s’évader avec la clé des rêves. Le désabusement ne date pas d’hier, il n’y a plus rien d’autre à espérer, si ce n’est l’action : on fait alors tomber le gilet de sécurité, on traverse le pré et les hautes herbes, et paf, nous voilà partis, ailleurs, happés par les saules pleureurs.
Le vent vente, la pluie pleut, vérités minérales ô combien oubliées. On ne sait ce qui nous anime, mais nous voilà comme à la recherche d’un mystère élémentaire, le secret de tous les secrets. Ce qu’on voit dans un bout de ciel semble contenir plus de secrets que tous les savoirs séculaires. Il y a comme une tristesse en pointillés, dans cette divagation pourtant libératrice. Tillous ressemble presque à un I:Cube péri-rural. Ce qui est fou, c’est à quel point la technique (ses machines électroniques) est à même de retranscrire l’errance humaine. Les sonorités rebrousses-poils sonnent comme une Évidence. Le morceau nous râpe les oreilles, comme un regret refluant en nous, refusant de se dissiper dans notre fumée de souvenirs. Il nous plonge en dedans de notre grotte, comme une épreuve voulant vérifier notre étoffe avant une inaccessible révélation. Sur ce morceau qui pourrait être issu de l’excellent album Vintvri de Mélodie Blaison, on a l’impression de se confondre avec la roche, une limande de glace écoutant le secret des stalagmites. Un peu comme le héros du beau film de Thomas Salvador, La Montagne, voire même celui de 2001, l’Odyssée de l’espace à travers l’épreuve de la porte des étoiles. On est dans un espace interstitiel, le minuscule biome pierreux se transformant en galaxie minérale.
Avant la révélation
Dans ce corps caverneux, une fois la Lumière éteinte, nous entendons des battements électroniques nous guider, sonorités de science-fiction que beaucoup de membres nouveaux de la french touch 3.0. comme Grand Soleil ou French 79 utilisent de manière détournée. Mais ici, elles reprennent leur colorimétrie première, celle d’une avancée vers l’inconnu, se mélangeant aux abstractions électroniques d’Art Of Noise. Tillous devrait rendre plus évolutives ces pistes, car il suffit d’en écouter la moitié de leur durée pour les comprendre. Les lignes de basses restent néanmoins soutenues ; le son, empreint d’humidité. On découvre enfin une cave plus grande derrière une fissure, se perdant en nous pour mieux se retrouver, et il en ressort une irrémédiable mélancolie, celle des tâtonnements d’une enfance sauvageonne enfin retrouvée. La superbe Lueur du renouveau, unique morceau à l’armature presque synthpop, nous emplit d’un espoir torrentiel. On ressort de la terre près d’un calvaire, nu et sous une forme humaine, plein de boue mais pourtant ablutionné, tel un petit prophète du quotidien revenu du nid des dieux cachés.
C’est un nouveau jour. En se divisant de son duo, Tillous perd la colère altermondialiste pour gagner en sereine sagesse. En considérant Considération de plus près, Tillous se rapproche de noms comme le compositeur Cliff Martinez pour Traffic. Disons qu’il nous rappelle un Brian Eno des bocages. Les Mémoires Parallèles de Tillous sont toutes celles que nous pourrions avoir, si nous acceptions de diverger par les chemins de terre plutôt que ces longilignes routes pavées. On en redemanderait presque, de telles visions…