Un coup de cœur ne s’explique pas, ne se verbalise pas – ou si mal que les silences et les hésitations qu’il suscite sont plus éloquents que les mots. On le subit. On tombe en amour à notre esprit défendant, quand la raison n’y comprend rien mais que le cœur, lui, s’emballe. Les toquades plus ou moins fulgurantes, plus ou moins durables, parfois récurrentes, alimentent notre jardin secret, là où on se réfugie lorsqu’on cherche le sommeil.
Bill Ryder-Jones a trouvé les clés pour accéder à cet Éden intime et son album Yawn (Domino – 2018) constitue la bande-son de l’ascenseur à émotion. Un chef d’œuvre inusable de colère rentrée, d’espoirs sous l’étouffoir, de mélancolie sublimée.
Celui qui fut un temps membre de The Coral a décidé d’en donner sa version dépouillée, au plus près de l’os : sa voix et son piano. Basta. On cherchera longtemps pour trouver quelques enluminures et arrangements supplémentaires sur Yawny Yawn qui reprend point pour point et dans le même ordre la matrice originelle. Il y en a, très discrets et spartiates, et il vous faudra un bon nombre d’écoutes attentives pour les discerner. D’ailleurs, c’est l’austérité et le dépouillement qui s’imposent. Bill semble effondré sur son piano et on l’imagine au bord des larmes, un verre de whisky à portée de main, passablement éméché, tant il faut être dans un état second pour se dévoiler ainsi, sans le moindre fard, sans la moindre complaisance. Certaines compositions sont même dangereusement ralenties, au point de chanceler, de vaciller, prêtes à vriller sur elles-mêmes. Seule les inflexions du chant tiennent l’édifice. De cet exercice dont il est au coutumier (A Bad Wind Blows In My Heart son second album, était lui aussi complètement acoustique et interprété au piano), Don’t Be Scared I Love You se détache comme le joyaux d’une déclaration éconduite. De même, Mither dont on savourait le final électrique rageur devient ici une complainte tout en retenue.
Le parti pris du traitement musical, strictement acoustique et downtempo, réduit immanquablement le spectre des ambiances sur la longueur de l’album par rapport à Yawn. Mais les compositions sont d’une telle profondeur et les capacités d’interprétation de Bill Ryder-Jones sont tellement riches, que Yawny Yawn ne saurait être taxé d’être qu’une version « démo » ou une relecture opportuniste après le succès de Yawn. C’est plutôt une question d’humeur et de moment qui fera préférer l’un ou l’autre : si Yawn s’écoute plutôt seul et fort, Yawny Yawn s’accommode d’une écoute dominicale ou en soirée, avec son âme sœur.
02. Time Will Be The Only Saviour (acoustic version)
03. Recover (acoustic version)
04. Mither (acoustic version)
05. And Then There’s You (acoustic version)
06. There Are Worse Things I Could Do (acoustic version)
07. Don’t Be Scared I Love You (acoustic version)
08. John (acoustic version)
09. No One’s Trying To Kill You (acoustic version)
10. Happy Song (acoustic version)