Que vous écoutiez ou pas ses albums, que vous lui envoyiez des mots tendres ou des lettres colériques, que ces saligauds de chroniqueurs en parlent ou l’ignorent, Joseph Bertrand ne cessera d’éditer sa musique et répandre son doux poison. Car depuis maintenant longtemps, Centredumonde, dans l’univers des labels comme dans celui de l’autoproduction, est l’invité surprise qui prend un malin plaisir à gâcher la soirée, saccager le buffet, rire du brouhaha guindé, asperger de bières les invités et plomber l’ambiance par quelques cruelles vérités bien senties. Salutaire ? Affirmatif !
Tournant définitivement le dos au format long, Joseph Bertrand poursuit son travail de sape en éditant chaque année depuis 2020 un Ep savoureux comme l’insouciance du mal-être. Après The Sweet Kiss (en collaboration avec la chanteuse nantaise Claire Redor), Bye-bye les Vagues propose cinq morceaux pop-folk-cold (autrement-dit : inclassables) dont l’ironie se parfume au sérieux, dont la nostalgie se teinte fatalement d’amertume. Il y a du Morrissey dans l’air : poésie réaliste aux vertus aussi aphrodisiaques que complices, humour noir à l’exagération parfois autocritique, lucidité du briscard ayant tout compris à l’existence mais se rappelant certains principes tolstoïens dont un fameux « Il ne faut écrire qu’au moment où chaque fois que tu trempes ta plume dans l’encre un morceau de ta chair reste dans l’encrier ».
Woody Allen compositeur pour Taxi Girl ? Un reste de 8.6 qui rêverait d’un 69 ? Eurythmics rendu à son état prénatal (superbe reprise de Miracle of Love, après Cambodia de Kim Wilde sur le précédent Ep) ? Un lendemain de cuite dans une chambre d’hôtel aux draps souillés ? Un reste d’innocence dans le cafouillage du monde adulte ? Du potache dark ? Qu’importe : Centredumonde nous est toujours aussi indispensable.