On a à peine refait notre retard en février en causant du EP de Cutter le Seul, BLVI Pt 1, que l’artiste est de retour avec son successeur, le bien nommé BLVI Pt 2. Sorti fin mai, ce nouveau EP de 5 titres et d’une grosse quinzaine de minutes est un moins hip-hop que le précédent (cela veut dire qu’il l’est mais qu’il est tout aussi pop et électro) mais peut-être encore meilleur, bien écrit, formidablement arrangé et travaillé, en un mot l’un des Eps en français les plus marquants, pertinents et passionnants de ces trois ou quatre derniers mois.
Pour les retardataires, Cutter (le Seul) est originaire du Sud de la France (on ne sait plus s’il sévit autour de Nîmes ou de Montpellier) et a bénéficié d’un coup de projecteur important (chez nous et ailleurs) avec la sortie en 2021 de son remarquable album, Merder en beauté. Ce deuxième Ep de l’année est un moins chanson qu’en ce temps-là mais on y retrouve une production haut de gamme et une qualité d’écriture bien au delà de la moyenne qui font qu’on ne peut que s’enthousiasmer pour tout ce que fait le bonhomme.
Le nouvel EP démarre par le maussade et déprimant Grand Silence. Cutter chante comme s’il avait une chaussette à la Brando dans la bouche ou sortait d’une cuite intersidérale. En perte de confiance, il s’arrache pour tenter de redresser le cours de sa vie et s’offrir une balade d’homme libre. La production est rugueuse et le mal-être maximum, comme si on assistait au réveil de Boudu ou à un petit déjeuner avec le Big Lebowski. Il faut attendre la seconde moitié de la chanson pour que les mots se réveillent et que les punchlines tombent à la pelle. La musique se tend, avec des zébrures de guitare électrique, et Cutter tranche à nouveau. Mwajteldi (« moi je te le dis ») met la barre un cran au dessus encore avec un festival de remarques déprimantes et d’autodépréciation. Cutter déroule un flow laidback et tendu à la fois sur un beat de baltringue pour reprendre sa couronne de roi des losers. Le propos est fuyant, négligé, réamorcé à mi-morceau mais un rebond virtuose qui fait décoller le morceau vers les sommets avec un dernier propos tordant sur l’accès à internet qu’on ne reproduit pas mais qui est assez génial.
Les trois titres qui suivent sont au niveau. Envoyer Fort se déploie sur plus de cinq minutes et a une allure folle. « Fort, bref, dans la vie faut envoyer« , répète-t-il en guise de refrain comme s’il cherchait à se motiver pour sortir de la mouise. L’intonation n’est pas si éloignée de celle du MC Solaar des débuts, inquiète et légère à la fois, un peu lâche et imprégnée par un sens permanent du dérisoire. Envoyer fort mais envoyer quoi ? La formule semble relever d’un manuel de management pour les nuls. Le morceau s’achève par un dialogue en anglais hypnotique et qu’accompagne vers la sortie un beat assez binaire et un solo cuivré. Slow est un développement autobiographique plutôt sympa et boom-bap qui fonctionne bien et constitue une belle transition vers le dernier sommet du EP, l’excellent Pour l’instant l’éternité.
Illustré désormais par un chouette clip, le single a la particularité d’être chanté a capella, avec un rythme assuré par un simple chœur. C’est audacieux (on était resté circonspect quant à cette technique à la Pow Wow) mais parfaitement réalisé, pour un effet maximum concentré sur une pièce de moins de deux minutes.
Avec BLVI, part 2, Cutter le Seul signe une remarquable collection de chansons qui conforte son originalité et sa capacité à évoluer en électron libre quelque part entre le mode chanson et le mode rap. Sans être trash, ni provoc, l’artiste traîne un mal-être et un manque de sens qui interrogent la société des winners, des beaux gosses et du mainstream. Rien que pour ça, on en verrait bien le porte-étendard de la « Génération P’têt Bien ». « Nique sa mère, je vais trouver ma voie… Foutez le feu, dehors il pleut. »