Le départ d’un groupe de l’un de ses membres historiques après 30 années d’excellents et loyaux services est forcément un moment difficile surtout quand ce membre en était l’un des compositeurs et à bien des égards sans doute le plus doué des trois. Bien sûr, concernant le Teenage Fanclub, le départ de l’a-priori indispensable Gerard Love s’est fait sans éclats, même si quelques posts internet de suiveurs apparemment bien renseignés laissent à penser que tout ne s’est pas non plus fait le plus simplement du monde, en toute camaraderie et le pauvre Gerard, ayant fait valoir son peu d’envie à 50 et quelques balais de repartir par monts et par vaux comme quand il en avait 25, se serait un peu fait montrer la sortie de façon pas forcément cavalière. Peu importe, laissons les potins liés au départ fracassant de bassiste historique à New Order car il y a peu de chance qu’ici, tout ceci se finisse à coup d’autobiographies antagonistes et de communiqués d’avocats. Subsiste alors le doute : Norman Blake et Raymond McGinley, désormais seuls rescapés de la bande de Bellshill de la fin des années 1980, née dans la banlieue de Glasgow sur les cendres encore chaudes d’une Education Catholique coup-de-poing, peuvent-ils à eux seuls faire survivre l’esprit magique d’un groupe autant adulé que décrié, auteur d’un inattendu retour au premier plan en 2016 avec un Here particulièrement convainquant mais sur lequel planait largement l’ombre d’Electric Cables, le magnifique album solo de Gerard Love sous le nom de Lightships, sorti 4 ans plus tôt ?
C’est que malgré sa longévité, le groupe a toujours mis un point d’honneur à créditer séparément ses trois auteurs/compositeurs/chanteurs, rarement co-auteurs, faisant de fait du Teenage Fanclub plus une association de personnalités qu’un groupe à part entière. Conséquence de cela, le diable se trouvant toujours dans les détails, le tracklisting des albums passés s’apparentaient même à un exercice de diplomatie helvétique devant aboutir à un compromis strictement équilibré, à se demander si les autres membres d’un groupe aux allures de bonne vieille bande de potes, ne faisaient finalement pas office de conseil de sécurité de l’ONU. Mais que vaut donc un groupe amputé d’un tiers de son répertoire (et quel tiers !) qu’il a choisi de ne plus jouer, précisément pour ces questions de droits d’auteur ?
La réponse apportée par Endless Arcade n’est pas, disons-le tout net, complétement convaincante. Pour qui voyait le groupe rebattre les cartes, repartir sur un nouveau modèle dans la mesure où il semblait difficile de continuer sans un artiste qui incarnait comme l’écrivait un jour un journaliste étranger l’âme du groupe, Norman Blake en étant le cœur et Raymond McGinley le cerveau, force est de constater qu’au-delà du jeu de chaises musicales, rien n’a vraiment changé. Le discret Dave McGowan, membre de Belle & Sebastian et depuis plusieurs années clavier et troisième guitariste de l’ombre du Teenage Fanclub est passé sur le devant de la scène en reprenant la basse dans un style plus rond, plus west coast. Il a été remplacé sur son tabouret par Euros Child des fantasques Gorky’s Zigotic Mynci tandis que le placide Francis McDonald, fidèle compagnon de route et diplomate présumé, reste lui bien en place derrière sa batterie. Mais aucun des trois n’a son mot à dire en terme de composition que se partagent dans une relation Medvedo-Poutinesque Blake et McGinley. 6 partout, balle au rond central.
Évidemment, regretter l’absence de Gerard Love et en mourir de chagrin n’aurait strictement aucun sens et reviendrait à oublier que les deux acolytes restants ont toujours su faire preuve d’un talent de composition incroyable, portant avec eux presque autant de standards du Teenage Fanclub que l’homme qui ne voulait plus voyager (avec le groupe tout du moins). Seulement voilà, même si le pari de surfer sur le succès de Here, voire de l’améliorer d’un strict point de vue commercial est au moins réussi, Endless Arcade souffre d’un certain manque de souffle qui ne lui permet pas de rivaliser d’un point de vue artistique mais le renvoie aux plus anodins Man-Made ou Shadows qui peinent à laisser une trace durable dans une discographie il est vrai remplie de pépites avec lesquelles rivaliser est une sacrée gageure. Lorgnant plus que jamais vers une côte pacifique douce et ensoleillée, le groupe progresse dans une vieille décapotable à une allure de sénateur sur la Highway 1 de la corniche nord-californienne et s’évertue, mais admettons que cela n’a rien de nouveau, à faire du Teenage Fanclub dans le texte et les compositions.
Endless Arcade n’est ni bon, ni mauvais. Il est. Il est d’abord parce qu’il devait être, parce qu’il fallait de toute évidence battre le fer tant qu’il était chaud, enchainer, donner une suite au précédent après avoir occupé le terrain par une tournée sans fin, suivie de quelques rééditions lucratives signées Sony Music entre 2018 et 2019 et d’une autre tournée sans fin. Il est, mais il ne s’y passe pas grand-chose, à l’image de sa pochette criarde mais figée dans le temps de l’antiquité grecque. Si un album du Teenage Fanclub est rarement raté au point d’en devenir soporifique, Endless Arcade s’approche pourtant à de nombreuses reprises du seuil, dangereux, où il ne se passe rien de véritablement excitant. La plupart des morceaux peine à convaincre, faute de reliefs suffisamment marqués ou d’inspiration tout simplement. Les singles Home et Everything Is Falling Apart sont efficaces mais sans véritable charme même si ce dernier, premier titre dévoilé plus de 2 ans avant la sortie du disque, laissait entrevoir de bonnes choses malheureusement pas vraiment confirmées. Comme ce titre perdu en toute fin de disque, Silent Song, une ode à la léthargie qui s’écoule tout en retenue et ferait presque oublier par sa beauté le moment presque anodin que l’on vient de passer. « Presque » car coincé en milieu de face B, le somptueux Back In The Day est le seul morceau véritablement digne de l’AOC Teenage Fanclub, celle des plus hauts standards du groupe, avec sa mélodie immédiatement imprimée, nous gratifiant d’harmonies vocales enfin retrouvées, soulignées par un refrain magique, surtout dans sa reprise finale.
Insuffisant néanmoins pour faire d’Endless Arcade autre chose qu’un album mineur dans la discographie enivrante des écossais. Il serait cependant injuste de n’imputer cela qu’à l’absence d’un ex-membre essentiel, lui qui faisait jadis partie d’autres aventures discographiques pas non plus complétement convaincantes dans les années 2000. Norman Blake et Raymond McGinley le savent : l’attente des fans est réelle et c’est sans doute plus sur ces scènes mondiales que Gerard Love ne se voyait plus arpenter que se jouera l’avenir du groupe et sa relation à son public de toujours. Nul doute qu’ils ont tous deux encore largement la capacité d’écrire d’autres The Concept, 120 Mins, Mellow Doubt, Verisimilitudes, Start Again ou encore la somptueuse doublette With You / Connected To Life qui concluait l’album précédent ; c’est tout le bien que l’on se souhaite.
02. Endless Arcade
03. Warm Embrace
04. Everything Is Falling Apart
05. The Sun Won’t Shine On Me
06. Come With Me
07. In Our Dreams
08. I’m More Inclined
09. Back In The Day
10. The Future
11. Living With You
12. Silent Song
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J’ai toujours pensé que Norman Blake était le génie du groupe, sans méconnaître le talent immense de Love ou de McGinley. Et donc, quand tu minimises l’importance de Man-Made ou de Shadows, je fais la grimace. Man-Made débute avec la plus grande chanson de 2005, It’s All In My Mind (Blake) et je n’oublie pas Cells (Blake) ou Only With You (McGinley). When I Still Have Thee (Blake) sur Shadows est renversante. Cela dit, je suis globalement d’accord avec ta critique de Endless Arcade.