Ce fut grâce au cinéma… porno que nous découvrîmes Wall Of Voodoo. Durant les années 80, deux films classés X, issus du même réalisateur, rendaient fous les critiques tout en comblant les admirateurs d’ovnis cultes : Nightdreams puis Café Flesh, mis en scène par l’énigmatique Rinse Dream (également nommé FX Pope). Malsains, bizarres, gothiques, ces deux films n’entretenaient avec la pornographie qu’un nombre de scènes sexuelles réglementaires, mais déviantes : une mère de famille se fait culbuter par un homme-rat, un grand black est habillé en sandwich, les secrétaires s’offrent à des soupirants à tête de crayons… Disponibles hier en K7 chez Scherzo, aujourd’hui considérés comme les pornos parmi les plus inventifs qui soient, Nightdreams et Café Flesh, à l’époque, s’accompagnaient d’un curieux slogan : « les films X préférés de ceux qui n’aiment pas le X ». Il est certes vrai que Café Flesh, le plus nihiliste des deux, renvoyait le public au rang de mateurs impuissants, de fantômes cold-wave privés de lubricité. Pornos anti bandants !
Toujours est-il que dans Nightdreams, une partouze entre cowgirls s’esthétisait au son d’une reprise mortuaire du Ring Of Fire de Johnny Cash. Le titre, synthétique, poisseux, était signé Wall Of Voodoo.
Au même moment, sur la chaîne MTV, le clip de Mexican Radio tournait en boucle. Celui-ci n’était pas sans évoquer certaines images de Nightdreams, avec ses teintes rougeâtres et bleutées, cette porte juchée en plein désert, ce plat de fayots duquel surgit le visage du chanteur Stan Ridgway… Sans évoquer le design de l’album Call Of The West (deuxième Wall Of Voodoo) signé Francis Delia, également metteur en scène du clip : la même porte en couverture, les mêmes sculptures flippantes.
Lors d’un passage promo à Paris, Stanard avouait au magazine Starfix : oui, Rinse Dream et Francis Delia n’étaient qu’une seule personne ; et oui, en effet, le clip de Mexican Radio était donc mis en scène par l’auteur de Nightdreams. Mais non : Ridgway et son groupe ignoraient que Ring Of Fire allait servir de bande sonore à un film de cul – Francis Delia avait menti sur la finalité de son projet lorsqu’il proposa aux Wall d’utiliser Ring Of Fire. (D’abord choqué par l’entourloupe, Stan, découvrant Nightdreams, trouva le film si bon, si malin, qu’il ravala ses remords.)
Mexican Radio reste le seul tube de Wall Of Voodoo (un peu comme Modern English avec I Melt With You, grande chanson qui en cache beaucoup d’autres). Pourtant, le groupe, avant départ de Ridgway, n’a enregistré que des sommets : les albums Dark Continent, Call Of The West et la compile The Index Masters (qui regroupe le premier EP des Wall et de superbes enregistrements live) crapahutent très haut dans le meilleur de la cold-wave 80-84. Qui plus est, Stan Ridgway, improbable mixture entre Bernard Ménez et Tim Booth, y allait fort en rictus démoniaques, en contorsions ravagées, en shows permanents.
Moins dark que les autres titres de Wall Of Voodoo, Mexican Radio, d’où probablement son succès, possède un refrain à reprendre en chœur, une phrase et une intonation vocale qui ne s’oublient jamais : « I’m on a mexican radio », répété en boucle – suffisant pour composer un hit. Dans les couplets, Ridgway y affirme sa future marque de fabrique : le descriptif littéraire, l’importance du détail, l’observation détachée. Une chanson par défaut puisqu’elle souhaiterait se concevoir sous le format nouvelle.
En solo, Ridgway ira bien plus loin dans cette idée de chanson-livre, de pop littéraire. Sans doute trop loin : dès The Big Heat, premier album sous son propre nom, en 86, Stan, dans une lignée Dylan / Springsteen, saturera ses chansons à force de proses et de phrases complexes – Lloyd Cole, à côté, ressemblait à un marmot espiègle. Stan Ridgway n’était finalement qu’un très bon romancier, ou un excellent nouvelliste, devant pactiser avec l’étroitesse d’une chanson de quatre minutes.
Quid de Francis Delia (qui se nommait en fait Stephen Sayadian) ? Difficile d’oublier le très bon Freeway (rien à voir avec la bouse produite par Oliver Stone en 97), film culte inconnu des 80’s (Le Tueur de l’autoroute, en VHS), et le très barré, quoi que chaste, Dr. Caligari (Nightdreams sans cul). Puis surtout deux images immortelles, fascinations de notre enfance : les affiches de Fog (Carpenter) et surtout Pulsions (De Palma).