Marble Sounds / Marble Sounds
[Mayway Records]

8.7 Note de l'auteur
8.7

Marble SoundsLe principal danger qui pèse sur nos sociétés exposées au danger climatique, à l’insécurité et à l’appauvrissement, est probablement la perte de confort. Le confort, si l’on considère les trente dernières années, est sans aucun doute ce qui aura marqué l’époque : confort entendu comme paix royale et concorde entre états, confort attaché à un certain niveau de vie et d’équipement (pas pour tous), confort civil et social, voire intime, marqué par une progression des droits et des libertés. Là encore, on pourra relativiser cela mais cette notion de confort est assez indissociable du projet musical de Pieter Van Dessel et de ses Marbles Sounds, disque après disque.

Le groupe s’affirme disque après disque, après Tautou et The Advice To Travel Light, comme l’un des meilleurs groupes pop de l’époque. En choisissant d’intituler son nouvel album, Marble Sounds, Van Dessel a indiqué qu’il s’agissait ici du disque le plus direct et franc du groupe, celui qui, après dix ans, s’attachait à exprimer le plus simplement possible l’âme ou le cœur de leur musique et on le croit volontiers. Organisé autour de son instrument fétiche (le piano qu’il double ou triple à l’occasion) et de sa voix, aussi agréable que peu dérangeante, le nouveau disque s’offre à nous comme on rentrerait dans l’un de ses charmants hôtels en forme de bulle qui donnent de manière panoramique sur le ciel et la campagne.

La musique de Marble Sounds est belle à tomber et dégage un sentiment de chaleur humaine, de gentillesse et de bienveillance qui plonge immédiatement l’auditeur dans une sorte de bain de confiance et de confort. « Confort » que Pieter Van Dessel revendique en précisant (contre l’air du temps) qu’alors qu’on demande aux groupes de quitter leur « zone de confort » pour créer son réflexe a été cette fois de s’y lover et installer le plus tranquillement possible. Le disque renvoie sur chaque note cette idée d’une expression de ce qu’on est et de ne pas se travestir. Il n’y a rien d’autre que ce que Marble Sounds fait de mieux, pas de ruptures de tons ou de changements de tempo qui les feraient passer pour un groupe innovant ou voulant casser son image, pas d’invités prestigieux ou de chansons à contre-emploi.

Marble Sounds est un groupe qui s’exprime dans un mouchoir de poche, un groupe qui parle à merveille de la vie de tous les jours, du monde, de l’amour, du temps qui passe et de ce qui fait que deux personnes peuvent se tenir par la main et affronter les années ensemble. Il suffit d’écouter la merveille qu’est All Gone pour mesurer à quel point cette musique peut être belle, indispensable et précieuse. Il n’y a pas grand chose sur ce titre : le piano à la même et des cordes qui ne sont même pas réelles pour donner du relief au tout, et un chant qui grimpe un peu dans les aigus pour suggérer la fragilité et l’hypothèse d’une erreur ou d’un départ. C’est d’une justesse tout simplement bouleversante, d’une simplicité biblique qui n’a pas d’équivalent en dehors peut-être des compositions de Robert Smith.

And i dont know if i’m wrong
i dont know if i’m wrong
but the sooner i look up
the sooner it’s all gone 

Van Dessel signe avec ce disque une collection de chansons qui agit paradoxalement moins dans la répétition (on pourrait penser que les chansons se ressemblent) que dans l’éternel recommencement. Les thèmes varient finalement assez peu mais les traitements les renouvellent comme si on se retrouvait à chaque fois face à une page blanche. On a le sentiment qu’il a écrit dix fois déjà le somptueux Quiet qui ouvre le disque mais on ne peut pas s’empêcher de frissonner et de se demander avec lui si on a encore une chance de gagner quoi que ce soit. Marble Sounds est le groupe de la modestie et de l’interrogation sur soi. Est-ce qu’on sera assez forts ? Assez forts pour aimer ? Pour durer ? Pour faire quelque chose de notre vie ? On peut considérer que ces questionnements sont basiques mais qu’ainsi couplés à un piano existentiel, ils sont les plus importants du monde. C’est ce qui rend cette musique, malgré une apparente banalité, plus décisive qu’anecdotique.

Il est arrivé que les disques de Marble Sounds accusent quelques faiblesses ou redites dans la durée mais ce n’est pas le cas de celui-ci qui entre le minimalisme lumineux de Never Leave My Heart, l’évocation d’une rencontre amoureuse magnifique sur le sophistiqué -et pour le coup un peu aventureux- Jacket (où l’on entend une sorte de banjo ou de mandoline, à côté d’un chant au vocodeur), entre le magistral Axolotl dont on avait déjà parlé et le splendide The Ever After on assiste à un sans faute. Avec une belle cohérence d’ensemble, Marble Sounds bénéficie d’arrangements et d’une production très étudiés. La simplicité s’accompagne d’une recherche de profondeur et d’emphase discrète qui confère aux chansons une sorte d’ambition universelle et quasi mythologique qui en nourrit l’impact. Cela passe souvent par des effets sur la voix ou par des superpositions de pistes qui viennent brouiller la perspective et nous forcent à fouiller entre les couches. On pense au beau Soon It Will Make Us Laugh sur lequel la voix de Van Dessel émerge d’un tintamarre introductif qui la fait ensuite resplendir et nous parler de très près. La musique de Marble Sounds recherche à chaque fois à abolir la distance à l’auditeur, à créer une intimité immédiate et durable entre nous pour accroître la portée de sa confession.

L’instrumental à deux doigts de My Initial Intentions est bouleversant et rappelle les meilleures plages de notre chouchou Akira Kosemura. Le titre prépare la bascule vers une fin d’album encore plus émouvante et personnelle. A Drop in The Bucket est une chanson inquiète et presque désolée qui évoque les désordres climatiques. Entre l’eau et le feu, la chanson semble prise en sandwich. Van Dessel chante avec de la tristesse dans la voix comme s’il ne se faisait plus beaucoup d’illusion sur ce qui nous attend. Les chansons de Marble Sounds sont rarement sans solution ou sans espoir mais celle-ci ne laisse pas de porte de sortie. La mélancolie gagne avec l’abstrait et trop théorique Priorat, qu’on aime un peu moins, avant de nous engloutir sur le final The Ever After, sûrement l’une des plus belles chansons jamais écrites par le groupe.

Il n’est pas certain qu’il y ait beaucoup de tubes ou même de chansons qui émergent de ce disque. Les mélodies qui font mouche sont peut-être moins nombreuses que sur les deux précédents mais il y a une atmosphère de fin du monde et en même temps une forme de sérénité qui se dégagent et nous plongent dans un état d’apesanteur et de contentement que Van Dessel est quasiment le seul à pouvoir créer aujourd’hui sans qu’on sente la manœuvre ou l’entourloupe. La musique de Marble Sounds est infiniment humaine, attentive et caressante. C’est le son extraordinaire d’hommes et de cœurs communs.

Tracklist
01. Quiet
02. Never Leave My Heart
03. All Gone
04. Jacket
05. Soon it’ll make us laugh
06. Axolotl
07. My initial intentions
08. A drop in the bucket
09. Priorat
10. The Ever After
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