C’est peut-être le choix le plus compliqué à faire chez les amateurs de rock grave, engagé et progressiste. D’un côté, le retour en majesté de The National dont le nouvel album, First Two Pages of Frankenstein, à paraître en avril, est annoncé par un excellent Tropic Morning News, l’un de leurs plus chouettes singles depuis un bail. De l’autre, le Londonien romantique Benjamin Wood qui signe avec ses The Golden Dregs un nouveau disque, On Grace & Dignity, le 10 février, emmené par le très très National Before We Fell From Grace.
Wood a beau œuvrer, ces temps-ci, un poil plus dans le registre du baryton romantique à la Baxter Dury que Matt Berninger, le chanteur de The National, les deux hommes se répondent note pour note quand il s’agit de descendre dans les graves avec l’air de courir vers la fin du monde. Dans les deux cas, l’important est de bien affirmer à quel point on inscrit son existence masculine (mais gender-consciente) dans un terrain sentimental, social, affectif et politique compliqué, sans jamais perdre de vue notre humanité et les possibilités d’une rédemption ou de « se refaire la cerise » au contact d’une nouvelle nana, d’un nouvel amour ou de politiques de gauche écolo-sociales rénovées.
Coté paroles, Berninger signe avec ce morceau du retour un grand texte, équilibré et sibyllin, qui évoque dans toute sa complexité l’incompréhension dans le couple, les malentendus et les manières (vaines) d’y remédier. C’est beau, intelligent et plein d’incertitude, servi accessoirement par une ligne mélodique et un accompagnement remarquables.
… I was suffering more than I let on
The tropic morning news was on
There’s nothing stopping me now
From saying all the painful parts out loud
… Oh, where are all the moments we’d have?
Oh, where’s the brain we shared?
Something somehow has you rapidly improving
Oh, what happened to the wavelength we were on?
Oh, where’s the gravity gone?
Something somehow has you rapidly improving
Chez Wood, la confusion règne aussi. On s’inquiète pour demain, sur un mode plus intimiste mais où l’on retrouve ce même mécanisme qui consiste à faire de son interrogation personnelle un questionnement à portée universelle, enveloppant la terre entière.
Now my head spins and I’m falling hard
I never was quite built for entertainment
The sun may rise, but I’m glued to the pavement
Oh, what has become?
What has become?
Look what has become
Oh, what has become?
C’est dans cette poésie démiurgique que The Golden Dregs et The National se répondent, multipliant les aller-retour entre l’infiniment petit et amoureux et le grandiloquent. Le rock indé existentiel est aussi somptueux qu’il est pompeux, rarement joyeux mais suffisamment confiant pour ne pas sombrer dans la déprime. Avec ces deux groupes, on tient les deux meilleurs atouts du rock adulte de cette année 2023. Ce n’est pas avec eux que vous allez vous amuser, danser (encore que The Golden Dregs use des saxos avec soin) et passer la Saint-Sylvestre. Mais ils seront tous les deux parfaits pour l’apéritif et les discussions inspirées entre amis.
Pour l’anecdote, les deux groupes émargent sur le label 4AD.
Golden Dregs pour moi