Attention, saut dans le temps. Ou plutôt dans une incroyable intemporalité. Æblefrø, les pépins de pomme en danois, premier album du duo Appleseeds! aurait tout aussi bien pu sortir au début des années 1980 ou au milieu des années 1990, en provenance du nord-ouest des USA, des Midlands ou d’une préfecture française. Autrefois, il est fort probable qu’æblefrø aurait été une compilation de ces dix titres disséminés là sur un single allemand, ici sur un split anglais, une compilation artisanale hexagonale en cassette ou une autre plus ambitieuse en CD sur un label américain. Seulement voilà, les temps ont changé et s’il arrive parfois de se retourner non sans nostalgie sur une époque où l’on prenait sans doute plus le temps de, le mieux reste d’avancer et de profiter de ce que nous offre l’époque actuelle en termes de moyens de conception et de diffusion d’un objet dont la seule matière première ne suffit pas à le rendre intéressant.
Appleseeds! s’inscrit donc dans cette belle et grande tradition internationale pop que fait vivre à sa façon le label brestois Too Good To Be True. S’il est avant tout question de musique, on y reviendra, impossible de ne pas évoquer l’objet tant il concoure pleinement à cette esthétique pop. Les illustrations enfantines de l’artiste japonais Mamoru Yamamoto, une par titre sur ce beau livret de 12 pages, s’inscrivent au moins autant que la musique dans le sillage graphique de ce mouvement diversement qualifié de twee, de cutie, de jangly ou d’anorak ; autant de termes renvoyant à l’idée qu’ici, il n’a jamais été question de laisser son enfance au vestiaire, ramenant musique et imagerie à des valeurs joyeuses et non violentes où l’amitié est un ciment sans fissures. Un style de vie autant que musical qui a pu par le passé se révéler clivant lorsqu’on ne sait plus qui quel thuriféraire de l’indie-police du bon goût allait jusqu’à évoquer un style « cutie-mongol » qui englobait les tenants de cette approche minimaliste et colorée qui portaient les Fat Tulips et autre Heavenly au Pinnacle.
Comme tout sous-genre, cette pop anorak se porte bien, merci pour elle. De festivals en rééditions, elle n’en finit plus de faire vivre un esprit léger et indépendant dont Appleseeds! est aujourd’hui un représentant qui s’avance fièrement, fort de son emballage parfait, d’une attitude d’éternels adolescents et d’une collection de chansons minimales absolument parfaites de fraicheur et de concision. Enregistré à Copenhague dans le quartier de Nørrebro, parfois qualifié de « quartier le plus cool du monde », animé et branché, la musique du duo transpire cette joie de vivre, ce besoin de s’affranchir des contraintes d’une vie souvent stressante et peu rigolote.
Fidèle aux codes du genre, aucun titre n’excède les 3 minutes, suffisant pour aller à l’essentiel en se nourrissant d’influences à la fois universelles (les arpèges des Byrds ne sont jamais loin sur Nightmares) mais aussi et surtout bien ancrées dans l’histoire de ce mouvement. On pense souvent aux aussi obscurs qu’essentiels Po! (Anything Goes) dont le groupe tire son nom, pour cette capacité à cajoler en permanence, enjolivant ses compositions d’une tendresse particulière tout à fait agréable tandis que Someone To Talk To renvoie à l’univers charmant de The Cat’s Miaow, maitres incontestés de la concision. On pense aussi aux géniaux allemands de The Bartlebees (Appleseeds, Hungry Mouth) ou à Beat Happening, tant pour le timbre grave de Kasper Clemmensen que pour ce côté garage gentiment électrifié (Marquis de Maus) et cette batterie minimale jouée comme il se doit debout par Ditte Duus. On pense enfin sur The Lonely One ou Friend (Let’s Put It Out) à tous ces groupes français qui illuminaient les années 1990 à coup de démos jamais publiées ailleurs que sur des cassettes compilations comme Pamplemousse ou les plus chanceux Caramel dont on se souvient avec plaisir de la chouette carrière allemande. L’ensemble file à 100 à l’heure, porté par des mélodies limpides que rien ne vient heurter : n’oublions pas que nous sommes en terrain mignon et qu’il n’y a ici qu’amitié, bonne humeur et éventuellement quelques amours, parfois contrariées à partager.
Avec æblefrø, Appleseeds! plante les graines de ce qui restera à coup à peu près certain une magnifique non-carrière, peu importe qu’elle soit éphémère ou durable. Le duo et son bassiste continueront à écumer les salons à l’élégance toute scandinave de quelques connaissances organisant des concerts à la maison le dimanche après-midi et se feront au mieux possiblement inviter dans quelques Popfests à travers l’Europe. Ce disque n’est sans doute ni aboutissement, ni une étape ; il est juste l’instantané d’un groupe s’inscrivant dans une scène vivante et vivace. Une niche bien entendu, ou plutôt une arche de Noé rempli de ces animaux trop mignons qui ornent le livret, comme le symbole de cet état d’esprit poppy à préserver.