Cloud Nothings / Life without Sound
(Wichita / PIAS)

6.3 Note de l'auteur
6.3

Cloud Nothings - Life without SoundLes amateurs de bruit qui bave et de distorsions peuvent aller se rhabiller. Après (ou avant) The Jesus And Mary Chain il y a quelques jours, c’est un autre tenant du son crade qui vient de faire un pas en  arrière (ou en avant, c’est toujours la même chose) et de se rallier au camp des productions proprettes. Cela fait d’abord un choc pour qui a côtoyé le Cloud Nothings de Dylan Baldi depuis 2011 ou 2012 (en gros depuis Attack on Memory, cet album majuscule) d’écoute, avec les oreilles claires, Up To The Surface, le premier morceau de Life Without Sound. Baldi chante bien. Il s’applique, il module. Il fait danser sa voix comme une strip-teaseuse orientale. Un piano assure l’intro tandis que les guitares et la batterie, dans un travail de discipline remarquable, assurent un arrière-plan solide et d’une évidence mélodique confondante. Dans les déclarations préalables à la sortie de cet album, Baldi confiait que cet album était, pour lui, une « version moderne de la musique New Age, un vecteur d’élévation ». Cela nous avait fait sourire mais  il est probable que cet album a été abordé comme une tentative d’ascèse par le jeune homme : faire reposer le son, se débarrasser de ce qui était à force devenu des gimmicks d’écriture, l’escalade noisy, le grésil(lement), la voix éraillée, l’ombre imposante de Kurt Cobain sur l’épaule.

Life Without Sound donne, en raison de ce revirement esthétique, une drôle d’impression sur les premières écoutes. Cloud Nothings sonne parfois comme du Nada Surf des premiers temps. On y retrouve le même allant, la même énergie et la même efficacité. L’intensité et la franchise dans l’engagement des morceaux ramènent « l’objet » dans un univers sonore associé chez nous à un punk régressif et inoffensif réservé aux adolescents américains. Et puis les choses se brouillent, au fur et à mesure que les chansons s’incrustent. Il faudrait être fou pour n’y voir que ça. Life Without Sound, comme chacun des albums de Baldi avant lui, regorge de mélodies imparables, de séquences garage rock sublimes et d’inspirations extraordinaires. La composante « classic rock » domine l’ensemble mais dans un style résolument moderne et sans que cela sombre jamais dans le rock FM. L’ouverture est splendide, mélange de force et d’émotion. Les textes mettent en scène des enjeux traditionnels : l’amour mais aussi et surtout la confusion du regard, le tumulte du monde.

Baldi incarne depuis cinq ou six ans le regard porté sur le monde d’un jeune homme américain « moyen ». On y trouve des restes d’individualisme et de confiance en soi (Realize My Fate), de naïveté avec des soupçons complotistes, des envies de reprendre sa liberté en main. Things Are Right With You est un nanar punk pour radios étudiantes et Internal World ne vaut guère mieux. Mais ce sont des chansons redoutables qui peuvent vous poursuivre une journée entière si vous n’y prenez garde. Plus loin, comment résister à la vitesse d’exécution et à la voix jmenfoutiste de Darkened Rings, notre morceau préféré ici avec le dernier dont on reparlera ? Le morceau est crâneur, virtuose et impressionnant. Baldi s’essaie à la pop sur Enter Entirely, démontrant une dernière fois qu’il peut faire à peu près ce qu’il veut quand il veut. Le morceau est long et un peu barbant mais à bien des égards irrésistible. La recherche d’évidence est poussée encore plus loin avec Modern Act, le single qui annonçait l’album, ou le joli Sight Unseen, secoué sur la fin par des ruades électriques qui font aussi mauvais genre qu’un tatouage sur l’avant-bras d’Emmanuel Macron.

Le rapprochement d’avec The Jesus And Mary Chain n’est pas usurpé. La ligne est claire, la voix très en avant dans le mix. C’est beau à en sortir son briquet pour faire les chœurs en lumière, mais en même temps jamais totalement dénué d’âpreté et débarrassé complètement de la sauvagerie originelle. On n’est pas fâché malgré tout de renouer avec un peu de tension hardcore sur le splendide final Realize My Fate. On a beau faire les jolis cœurs et les beaux joueurs, cet unique titre old school emporte tout sur son passage et nous fait douter de tout ce qu’on a pu dire avant. Et si c’était dans son registre « parpaing dans la tronche » et « guitares scies » qu’on préférait voir et entendre Baldi ? Et si les aspirations au repos n’étaient que des mirages ou des miroirs aux alouettes ?

Life Without Sound, dont le titre prend après coup un sens programmatique, est un album plus qu’estimable, addictif sur la qualité de ses compositions, mais qui ne nous enlève pas de la tête l’idée que Baldi n’a pas encore donné sa pleine mesure, ni (re)trouvé sa voie.

Écouter Cloud Nothings – Life without Sound

Tracklist
01. Up to The Surface
02. Things Are Right With You
03. Internal World
04. Darkened Rings
05. Enter Entirely
06. Modern Act
07. Sight Unseen
08. Strange Year
09. Realize My Fate
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