Creation Stories… le film : la vie, les frasques et les coups de génie d’Alan McGee

7.2 Note de l'auteur
7.2

Creation Stories - Irvine Welsh

Très attendu par les fans du label Creation et du personnage haut en couleurs de l’Écossais, ce biopic d’Alan McGee prend appui sur ses mémoires écrites (un bon livre, tout au plus) pour développer en grand format (1H45), la formidable aventure d’un petit rouquin à l’origine des plus belles découvertes musicales de la pop anglaise de ces trente dernières années. Pour ceux qui ne connaissent pas le CV du bonhomme, McGee, en plus d’être le copain d’enfance de Bobby Gillespie, le chanteur de Primal Scream, a lancé rien moins que la carrière de Jesus and Mary Chain, My Bloody Valentine et Oasis, soit une sorte de trinité parfaite qui cotoie, sur le catalogue du groupe, des signatures non moins renommées telles que Felt, Ride, Slowdive, Saint-Etienne, les Boo Radleys, Peter Astor, les Super Furry Animals et bien d’autres.

Actif en tant que label autonome entre 1983 et 1990, puis en sous-traitant erratique de Sony pendant les dix années qui ont suivi, Creation Records avait donné lieu, il y a quelques années, à un documentaire qu’on recommandera et qui est, à bien des égards, plus satisfaisant et intéressant à suivre que ce biopic pourtant écrit par Irvine Welsh (en collaboration avec Dean Cavanagh) et qui souffre (ce qui est paradoxal pour un tel sujet) de son traitement « académique ». On entend par académique l’évocation au pas de charge, à une vitesse supersonique et chargée en effets stroboscopiques empruntés qui au Trainspotting des origines, qui au déjà contestable 24-Hour Party People, de la mise sur orbite du label. On passe ainsi un peu trop rapidement à notre goût sur la rencontre fondatrice entre Alan McGee et les Television Personalities (traitée en une unique scène baroque et carnavalesque qui introduit avec assez peu de subtilité les personnages et compagnons de route que deviendront Joe Foster, Ed Ball et Dick Green), la découverte de Jesus And Mary Chain (produits par Foster) puis celle de My Bloody Valentine. Malgré un traitement linéaire, on peine à suivre la trajectoire ascendante du label et à comprendre par quel prodige ce micro-label, organisateur de concerts (au Living Room) se retrouve la coqueluche des majors internationales. Question de flair, de chance, mais aussi (un peu) de travail sur les groupes, leur management, leur publicité et leur son (Foster encore), qui passe à l’as d’une narration écrasée par son obsession pour son mouvement d’ensemble « gloire/chute/rédemption » et qui ne s’arrête pas assez sur les détails.

Le film distrait néanmoins et fournit les nostalgiques en un nombre  suffisant de scènes roboratives et recréées « à l’identique » comme la découverte de Oasis ou la rencontre (plus tardive) avec Tony Blair et la figure terrifiante et glaçante de Jimmy Saville (un des grands moments du film) pour qu’on y trouve son compte. Le film ne prend pas la peine, et c’est un vrai regret, de développer les personnages pourtant décisifs que sont Dale, Ball et Foster, qui servent ici de porte-serviettes à McGee, mais fait un excellent travail quand il s’agit de restituer le contexte familial et social du héros. Le traitement du père (Rupert Everett métamorphosé) est tout à fait intéressant et la performance globale de Ewen Bremner dans le rôle de McGee est remarquable. Etrangement (alors qu’on y parle presque plus de musique), la deuxième partie du livre consacrée à la désintoxication de McGee (après un trop plein de drogue et de conneries) est la plus convaincante et la plus intelligente. Entre le licenciement de Foster, le vrai anar du lot, (qui, en entonnant, Part Time Punks, « boucle la boucle »), la sobriété lucide et le soudain engagement de McGee (et de ses groupes) auprès d’un Tony Blair tout sourire en train d’inventer le New Labour, une rencontre amusante avec McLaren, le retour à la réalité est à la fois rude, cruel et parfaitement rendu. Le film atterrit remarquablement bien et amène ici l’émotion qui manquait quelque peu dans sa première partie.

On ne fera pas la fine bouche pour autant. Creation Stories est une chouette histoire tirée d’un chouette livre, avec des acteurs remarquables et qui se débrouille assez bien avec son budget restreint. On passe sur ses raccords malhabiles, son montage narratif de téléfilm et ses clichés rock n’roll : après tout, c’est ce que véhicule McGee depuis toutes ces années, l’idée d’un mirage, d’une rocket lancée à toute allure et qui s’est cramé le (petit) bout avant de redescendre sur terre. Green a disparu. Foster s’est reconverti ensuite à l’archéologie en Argentine, avant de rééditer des vieux disques sur Revola Records. Ed Ball a refait un peu de musique avant lui aussi de disparaître de la circulation pour de bon. Alan McGee, comme chacun sait, a remonté un ou deux labels par la suite mais sans connaître le même succès et, persuadé, à sa façon que son avenir était derrière lui. Il y a toujours une forme de tristesse à évoquer sa gloire. Une tristesse joviale et fascinante que n’élude pas le film. Ces types sont nos héros, pour l’éternité.

Le site du film

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2 Comments

  1. says: zimmy

    Ai été assommé par les effets trainspottingesques de ce biopic. Globalement, un peu comme Shoplifters of the world, ça manque de choses susceptibles de s’adresser à un non fan : il y a juste le bref passage sur le glam alternative à la virilité dure, le côté « partir dans la capitale parce qu’on s’est pris le rock en pleine poire »‘, le clin d’oeil à l’esprit de libre entreprise sous Thatcher et la récup’ blairiste. Mais ça fait peu de choses sur la durée du film pour raconter en quoi le rock anglais a toujours été un peu plus que du rock (Oasis fut la photographie vivante de l’état d’esprit de la working class britonne de son temps). Je vais plutôt me mater le docu.

    1. Pas mieux. Ca se regarde mais sans plus. Trop speedé, trop affecté et pas forcément lisible lisible si on n’a pas étudié la vie de Mc Gee et l’histoire du label préalablement. Rendez-vous manqué clairement car avec un tel acteur dans le rôle titre, on pouvait espérer un peu mieux.

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