C’était pour l’anecdote le premier concert co-organisé par Sun Burns Out et le label Quixote Music. On s’en moque mais tout de même : les premières fois ont un charme particulier que les deux acteurs du soir ont bien aidé à établir.
A l’ouverture, dans un Petit Bain bien rempli pour l’occasion, l’Américain Dick Turner, chanteur compositeur des Traditional Monsters, qu’on avait salué pour son 1er ep solo impeccable et qu’on ne manquera pas d’honorer pour le second sorti ces jours-ci, a assuré un tour de chauffe d’équilibriste lo-fi, mi-pop, mi-punk, mi-burlesque (oui, ça fait bien trois moitiés) qui valait à lui seul le détour. De belle taille mais fragile, absorbé et en même temps rigolard, poétique et fantasque, celui qui peint, écrit et incarne à la perfection cette figure archétypale de « l’Américain à Paris », artiste en éternelle (trans)formation, a offert un set sur la corde raide, pétri de morceaux mémorables mais quelque peu tiraillé par une volonté de toucher à tout. Entre quelques morceaux réellement sublimes comme Staring At Monkeys (en mode ventriloque et joué ici avec une marionnette de singe à la main) et l’incroyable Stuntman (l’une des plus belles chansons tristes et lofi de ces dernières années), Turner a intercalé des titres chanté à deux voix avec une amie qui ont fait frisonner la foule de circonspection. L’impression générale restait néanmoins d’avoir assisté à quelque chose d’important, d’ultrasensible et de précieux par les temps qui courent : le spectacle, voire la performance, d’un artiste sans entrave, voltigeant d’inspiration en inspiration, sans se demander finalement si on l’y autorisait.
La principale attraction du soir restait évidemment la venue ou revenue de l’ancien et futur artiste connu sous le nom de Babybird et de son groupe endimanché et so british. Babybird, comme ceux qui nous lisent le savent, c’est avant tout Stephen Jones, un artiste prolifique né à la musique au milieu des années 90 et qu’un succès fulgurant rencontré « sur un malentendu » (le culte You’re Gorgeous) a plongé dans une carrière alternative et grand public (dans l’ordre inverse des aiguilles du succès) qu’il n’avait pas réfléchie. Babybird, jadis chouchou des Inrocks et de la presse française, avait disparu des radars parisiens depuis presque deux décennies et une centaine d’albums publiés en contrebande sur bandcamp et ailleurs. Babybird, donc, faisait son retour et quel retour, messieurs, dames, livrant un set à la fois sans surprise (si l’on s’en tient à la setlist ) mais hautement toxique car chargé en mélodies accrocheuses, en paroles subversives et accompagné par des interludes et des vannes pinces sans rire qui n’ont plus cours aujourd’hui.
Après quelques soucis de santé il y a deux ans, le moins que l’on puisse dire est que l’oisillon a gardé sa voix, puissante et taillée pour ce genre de scènes, son plus bel organe (avec la plume bien sûr) qu’on comparaît jadis à celles de Bono ou de Ian Mc Culloch. Soit. Sans aller taper trop haut (dans le panier), parce que cela ne sert plus à rien, Babybird a choisi, depuis son retour britannique l’an dernier une orientation musicale offensive et rentre dedans, parfois la limite bruitiste, qui rend justice aux tubes qu’il aligne en concert. Sur une durée d’1H30, qui débordait presque le temps alloué par Petit Bain aux intermèdes musicaux, c’est pas moins de 20 morceaux que le groupe porté par les fidèles Luke Scott, Rob Gregory et Danny Lowe, élégamment costardés de noir, a offert aux spectateurs. Parmi eux, on retrouvait bien entendu les morceaux les plus connus du premier âge : You’re Gorgeous et GoodNight en final parfait, un Cornershop en ode à la petite entreprise (macronienne du coin de la rue), et les standards que sont devenus au fil des années des morceaux comme The F-Word ou Bad Old Man. Le uptempo soulevait la salle d’enthousiasme, tandis que le groupe et son chanteur soufflaient le chaud et le froid, célébrant l’étrange mariage d’une pop d’apparence légère et d’un rock hargneux et revanchard. Il y a dans ce Babybird 2018 toute une rage des rendez-vous manqués et une sensibilité tendue vers un futur incertain qui rend la chose à la fois étrangement touchante et résolument pertinente. Les amateurs de BD auront eu l’impression d’assister à un mystérieux « what if » où artistes et spectateurs imaginent, à rebours de vingt ans, les univers alternatifs (amoureux, politiques et personnels) où ils auraient pu se produire et se rencontrer si la vie avait tourné différemment. La pop est la plus sûre réserve pour les rêves qui ne sont pas produits.
Parmi les grands moments du soir, beaucoup ont redécouvert l’évidente beauté de titres comme Failed Suicide Club (le club des suicidés anonymes), l’humour autobiographique de Drug Time, la poésie romantique d’Unloveable ou encore la portée prophétique du déchirant Take Me Back, le dialogue entre un homme et sa nouvelle compagne victime d’un viol sordide et laissée pour morte dans un fossé sombre.
Dead, Dead, Dead, voilà le sort que promet l’homme bon au criminel.
C’était là aussi en 1996 et plus de vingt ans avant ce que l’on sait. Attachant, drôle et sarcastique, Stephen Jones contenait tant bien que mal son second degré et son ironie ravageurs qui avaient changé nombre de ses concerts jadis en étranges moments d’autodépréciation. Le groupe, immobile et campé sur ses morceaux joués depuis des années, assurait les crescendos sans broncher, développant une puissance redoutable au moment de lancer la machine sur la séquence musclée d’ouverture (The Life, All Men Are Evil), puis in petto servant à la perfection les fenêtres sur cœur que sont les If You’lle Be Mine et autres Black Flowers.
Il y a toujours eu beaucoup de délicatesse et de force mêlées dans la musique de Babybird, une sensibilité à vif qui, avec les années, ressort sous le maquillage pop. Plus on s’approche de l’instant de vérité (celui du stop ou encore) et plus l’artiste et ses chansons valent cher dans nos vies d’anciens combattants.
Pour une première, ce n’était pas un mauvais choix. Babybird reprend la route d’Angleterre aux basques de Dodgy, d’autres revenants moins magnifiques de l’ère britpop, pour une tournée anniversaire. Ce sera en 2019 dans toutes les villes du royaume. Qu’on se le dise. Espérons qu’on reverra ces types là avant vingt ans. Ou alors un peu après le terme.
Photo : SBO
Vidéos : source Youtube. Merci Orson.