Sortis une première fois en vinyle à l’occasion du Disquaire Day, ces deux anthologies de singles des Television Personalities sont remises en vente par Fire Records dans un double format vinyles et CD longbox de 2 x 2 disques impeccable et très bien documenté. Bien que notre objectivité soit très relative s’agissant d’un groupe qu’on considère avec les Kinks et les Smiths comme le 3ème sommet du triangle parfait de la pop anglaise des années 70 à nos jours et auquel on a consacré la première biographie jamais écrite, ces deux éditions compilatoires permettent de se rendre compte à quel point les Television Personalities et leur leader Daniel Treacy ont été bons pendant deux décennies.
Prétendre que les deux compilations sont d’égale qualité et ne comprennent que des chefs d’œuvre serait mentir (on y reviendra) mais on défie quiconque de trouver sur les deux premiers disques qui rassemblent les singles sortis entre les années 1978 et 1989, soit trente-huit morceaux, plus de deux ou trois chansons médiocres. En réalité, il n’y a guère que Biff, Bang, Pow !, une reprise, Respectable, une vraie curiosité, et I Still Believe In Magic qui sont un cran en dessous, ce qui laisse une bagatelle de 35 titres en moins de dix ans qui présentent TOUS des qualités certaines, soit mélodiques, soit d’interprétation, soit des deux. La sélection concoctée par Fire Records, qui exploite depuis quelques années, l’intégralité du catalogue du groupe (dans des conditions que de nombreux anciens membres du groupe contestent par ailleurs), respecte la chronologie des sorties orchestrées par Treacy et sa bande. On retrouve ainsi à l’entame les singles les plus connus et percutants du groupe, sortis sur les deux premiers albums, And Dont The Kids Just Love It et Mummy Your Not Watching Me. On ne trouvera pas mieux que 14th Floor, Part Time Punks, Where’s Bill Grundy Now ? pour caractériser le son et l’intelligence d’un groupe de jeunes gars élevés au cœur du Swinging London et qui réussissent à établir un pont naturel entre l’Angleterre psychédélique des années 70, l’âge punk et la pop à venir.
Des chefs d’œuvre à la pelle
Treacy, Ed Ball et Joe Foster sont au cœur d’une culture qui naît et prospère avec eux, traçant à travers leurs chansons une cartographie d’influences typiquement britanniques à la richesse et à la complexité extraordinaires. Les Television Personalities ont le mauvais esprit des Smiths, l’allant mélodique de Marr et la même intelligence poétique que Morrissey, les références de Ray Davies et l’évidence mélancolique et enfantine d’un Syd Barrett ou d’un Paul Mc Cartney à son meilleur. Ils ont pour eux de mêler une forme d’assertivité pop, un style typiquement anglais et une fragilité dans la liaison entre le réalisme social et l’intimité qui n’a d’équivalent que les deux groupes pop parfaits qu’on a déjà cités. Les deux premiers disques qui constituent le chapitre intitulé Some Kind of Happening du diptyque sont impressionnants de cohérence et d’impact. Par-delà les morceaux les plus connus, on ne peut que s’extasier devant le génie de Smashing Time, la force dramatique de King And Country ou la classe absolue de Geoffrey Ingram. Treacy est à l’aise dans tous les registres de composition et d’expression. Il est politique avec le définitivement moderne A Sense of Belonging, salutaire en ces temps de tentation isolationniste, le radical How I Learn To Love The Bomb ou l’anti Thatcher She’s Only The Grocer’s Daughter. Il est social entre Pasolini et Will Eisner sur le génial Paradise Estate, ou féru d’observation sociologique sur 14th Floor ou Happy Families. Treacy est romantique avec The Prettiest Girl in the World, humaniste et rêveur avec Miracles Take Longer, régressif et enfantin avec le Carrolien Arthur The Gardner, l’Apples and Oranges de Syd Barrett ou encore le génial My Imaginary Friend. Les Television Personalities inventent ici la britpop avant l’heure et donnent naissance à une formule musicale qui est la matrice future du mouvement lo-fi. Leur son est comme un réservoir où viendrait se déverser toute la musique d’après-guerre et auquel viendraient s’abreuver les trente années qui suivent. Rien que ça.
L’invention lo-fi
Le second double disque, Some Kind of Trip, bien que la césure ne soit pas si évidente, présente une collection plus éclatée qui résulte de l’insuccès rencontré par les douze premières années d’activité du groupe et la contamination de l’esprit conquérant des débuts par une forme de doute existentiel, intime et musical qui va profondément changer la production des Television Personalities et la vie de Treacy. L’album Privilege constitue le moment où l’inspiration de Daniel Treacy va peu à peu évoluer pour se tourner plus nettement vers lui-même et l’expression de ses états d’âme. En comparaison, les 26 titres qui figurent sur les deux disques qui couvrent la période 1990-94 sont qualitativement un poil en retrait par rapport à la première sélection, mais un poil seulement. Treacy s’isole peu à peu du reste de la planète. Il sombre dans la drogue, écrit à la commande et offre des singles qu’il n’est plus tout à fait capable d’assembler en albums. A ses côtés, l’ancien Swell Maps Jowe Head fait pourtant des merveilles à la guitare basse et permet à Treacy de produire des chansons mémorables. Les références s’éclaircissent tandis que Treacy écrit une musique de plus en plus fragile et personnelle. Le groupe se change en un formidable appareil confessionnel depuis lequel le chanteur expulse ses doutes, expie ses fautes et en appelle au jugement dernier. Les titres parlent d’eux-mêmes : Christ Knows, I Have Tried, I Dont Want to Live this Life. Cette période est une ode à l’insuccès, à l’échec et à l’autodépréciation. Morrissey fera ça très bien mais dans un registre infiniment plus flamboyant et dont l’authenticité peut se contester au regard de ce que fait Treacy au même moment. Les titres n’en restent pas moins époustouflants et déchirants comme le sublime She’s Never Read My Poems ou l’écolo The Day The Dolphins Leave The Sea. Treacy rivalise avec le fou génial Daniel Johnston sur Strangely Beautiful ou avec le Lawrence de Felt sur le magnifique Reaching For The Stars.
Phase terminale
https://www.youtube.com/watch?v=3Jz0NT_eHGg
Fire Records a entrepris un travail titanesque en rassemblant ces singles épars. C’est l’intérêt principal de cette seconde partie d’anthologie que de présenter en une fois des titres que seuls les collectionneurs connaissaient. La sélection intègre quelques curiosités, des remixes ou des versions un peu foireuses mais aussi des « succès » réellement imparables et que Treacy a remis en avant au fil du temps. On retrouve ainsi The Dream Inspires ou Favourite Films qui est l’une des belles chansons jamais écrites et interprétées par le groupe. Le morceau synthétise tout ce qu’on peut aimer chez les TVPs, l’évidence mélodique, la charge émotionnelle, la nostalgie et l’ancrage culturel dans un tissu référentiel irréprochable. Favourite Films est aussi sublime que Goodnight Mr Spaceman est comique et extra-lucide. « Well i think i’ll die, if my record doesnt make the indie charts. I’ll do anything. I’ll swallow my pride, commit artistic suicide. Oh… this record is sponsored by Pepsi. I’ve taken 3 E’s but i still can’t dance like Bobby Gillespie. » Some Kind Of Trip est étonnant dans sa présentation d’un artiste globalement brisé mais qui reste brillant et capable de faire rire et de faire pleurer en quelques minutes. If I Was Your Girlfriend (qui n’a rien à voir avec la chanson de Prince) est un morceau incroyablement intense et émouvant qui intègre des parties de guitares bouleversantes et qui comptent parmi les plus impressionnantes de l’histoire du groupe. On a avec Far Away and Lost In Joy, I Get Frightened ou encore Do You Know What They Are Saying About Me Now un aperçu de la détresse presque terminale d’un Treacy qui s’apprête à disparaître à ce moment du monde pour de longues années. « They can’t hurt me now. I’ve heard it all before. Anyway, i’m feeling better now. » Le chanteur alternera cette promesse d’une renaissance durant les quinze années qui suivent, tout en poursuivant sa fuite en avant dans la détresse, l’addiction ou la maladie mentale.
L’histoire ne se termine d’ailleurs pas en 1994 puisqu’il reste une « troisième partie » à explorer elle-même assez riche avec deux disques chez Domino Records, quelques singles épars et un album chez Rocket Girl.
Some Kind of Trip et Some Kind of Happening sont des disques indispensables. Il existe de très belles compilations des TVPs qui peuvent aussi faire l’affaire mais l’appareil critique réuni par Clive Solomon, le patron de Fire Records, et le soin mis à l’édition et au montage de cette sélection les placent au-dessus de tout ce qui s’est fait. Ils doivent contribuer au mouvement de réévaluation du groupe et des qualités incroyables de composition de Daniel Treacy. This time there is no happy ending. Peut-être que si après tout.
Some Kind of Happening
01. 14th floor
02. Oxford St, W1
03. Part Time Punks
04. Where’s Bill Grundy Now ?
05. Happy Families
06. Posing At The Roundhouse
07. The Prettiest Girl in the world
08. Miracles Take Longer
09. If That’s What Love Is
10. Apples and Oranges
11. Smashing Time
12. King and Country
13. I Know Where Syd Barrett Lives
14. Arthur The Gardner
15. The Gifted Children – Painting B
16. The Gifted Children – Lichstenstein Paintings
17. Three Wishes
18. Geoffrey Ingram
19. And Dont the Kids Just Love It
20. Biff, Bang, Pow !
21. A Picture of Dorian Gray
22. A Sense of Belonging
23. Paradise Estate
24. How I Learnt To Love The Bomb
25. Then God Snaps His Fingers
26. Now You’re Just Being Ridiculous
27. She’s Only The Grocer’s Daughter
28. A Girld Called Charity
29. Salvador Dali’s Garden Party
30. The Room At The Top of The Stairs
31. This Thime There’s no Happy Ending
32. Part One Fulfilling Contractual Obligations
33. I Still Believe in Magic
34. Respectable
35. Privilege
36. Me and My Desire
37. My Imaginary Friend
38. I Remember Bridget Riley
Some Kind of Trip
01. Strangely Beautiful
02. Reaching For The Stars
03. Not Even A Maybe
04. She’s Never Read my Poems
05. The Day The Dolphins Leave the Sea
06. Christ Knows, I Have Tried
08. Favourite Films
09. The Dream Inspires
10. Happy All The Time
11. We Will Be Your Gurus
12. An Exhibition by Joan Miro
13. Love Is Better Than War
14. Strangely Beautiful (Chill Out remix)
15. She’s Never Read My Poems
16. Goodnight Mr Spaceman
17. If I Was Your Girlfriend
18. She Loves It When He Sings like Elvis
19. You, Me and Lou Reed
20. My Imaginary Friend
21. I Remember Bridget Riley
22. I Wish You Could Love Me More
23. I dont want to live this life
24. Far Away and lost in joy
25. Do you know what they are saying about me now
26. I get frightened
27.Goodnight Mr Spaceman