Deux ans après un premier album dont on avait étonnamment pas rendu compte, le groupe du chanteur Jordi (aucun lien) revient avec l’Eté des Corbeaux, joli titre en forme de clin d’œil à l’identité cold et gothique de ce groupe surprenant et sombre. Entrer dans ce disque donne la drôle d’impression d’effectuer un saut en arrière de quelques décennies, quand chanter avec une telle voix, grave et profonde, ne faisait pas penser (sottement) à une imitation d’Indochine par les Inconnus mais bien aux seules ténèbres lovecraftiennes et étouffantes d’une vie tordue et mal embarquée.
Il faut avouer, à l’écoute de Order 89, qu’il n’est pas si simple de faire abstraction de la relative désuétude dans laquelle est tombée cette manière de chanter et d’enregistrer de la musique. Bela Lugosi is dead depuis longtemps et on a toujours eu du mal à prendre au sérieux cette affection qui accompagne et précède toute expression relevant du genre gothique. Ceci étant précisé (et pour ceux qui dépasseront le cap du rire), la musique de Order89 n’a rien d’anecdotique et de négligeable bien au contraire. Le jeu du groupe (4 personnes, basse, guitare et machines) est excellent, solide, mêlant une utilisation plutôt intéressante des synthés et un jeu de basse qui structure les morceaux, quelque part entre la cold wave des origines et ses dérivés plus légers façon Cabaret Voltaire rencontre Indochine. La voix de Jordi est habile, variée et entonne des textes qui (en français) n’ont pas à rougir devant ce qui se pratique Outre-Manche mais peine quelque peu à concurrencer les rimes plates d’un Viot qui, parfois, navigue dans les mêmes eaux.
Histoires Parallèles sonne comme du The Cure des premiers temps et déroule un portrait assez saisissant d’une post-adolescence marquée par la mort et… la mort. Le synthés sont joueurs sur Rondes et tissent des arabesques pop qui donnent au morceau une belle allure tubesque. « Quel est ce bruit qui résonne dans la nuit, qui résonne et qui s’enfuit ? » Jordi chante comme un jeune Bertrand Cantat reprenant des standards gothiques dans un vieux studio bordelais à la fin des années 80. L’accompagnement batcave fait le reste : on a l’impression de se retrouver dans une cave ou un repas au resto clandestin en plein confinement. Gangster est une vraie curiosité où l’on entend claquer les revolvers imaginaires, tandis que Vertige célèbre le cocktail entre mal-être, colère et… bière. Mi-punk, mi-cold, la musique d’Order89 semble ignorer que nous sommes en 2021. Elle rebondit sur le punk des années 70, emprunte des échos oï à Frustration, pop à Daho, crache sa colère comme Trust et constitue une anomalie aussi terrifiante que magnifique.
Les images sont fugaces, souvent hermétiques, parfois un peu bof. Un homme sans ombre sur Vertige, une nuit sans lune sur un Ici La Nuit sombre à souhait où incandescent rime avec fluorescent. La plongée en hauts profondes est si réussie qu’on se prend assez souvent au jeu régressif. Vieux frère sonne exotique et la Chasse aux Sorcières nous fait frissonner. Même pas peur.
Qu’est-ce qui a pu pousser ce groupe à produire ce genre de musique aujourd’hui ? On a tout de même un peu de mal à se sortir de ce questionnement qui nous pourrit l’écoute et nous gâche le plaisir de l’immersion. L’été des Corbeaux marchera pour ceux qui aiment le cosplay et les soirées costumées, pour ceux qui ont la capacité (et l’imaginaire) pour se replonger dans leur propre passé. Comme une séance du Rocky Horror Picture Show ou une soirée Dalida avec des monstres. C’est une musique qui a renoncé aux évolutions et qui propose une variation subtile, agréable et complètement surréaliste d’un passé disparu.
On a dû écrire par le passé que la pop reposait sur sa capacité à produire du plaisir nostalgique. Order89 en applique la recette au rock. On est pas certains que cela fonctionne pareil mais on veut bien y croire. Ecouter ce disque en faisant la sieste entre 13 et 14H dans notre cercueil de velours est le meilleur usage qu’on pourra en faire. Pour le reste…