Structure ouverte formée autour de la réunion du rappeur de Portland Brzowski et de l’équipe lyonnaise du « studio pirate », à laquelle s’est ajoutée le beatmaker NoizeMaker, D-FAZ a changé d’écurie (le groupe émargeait jusqu’ici chez Jarring Effects) pour rejoindre les rangs de Dora Dorovitch. Peu importe dans quelle chapelle alternative F-DAZ émarge tant qu’il y a de la rage et du désespoir. On retrouve sur One Nation Under Dog les éléments signature du groupe : un son lourd comme du plomb qu’on aurait laissé mariner des années durant dans un nuage de fumées toxiques, des lyrics crépusculaires et engagés et un son inimitable où l’on croise du hip-hop bien sûr, mais aussi des éléments électro et des résonances métal qui transforment la matière en un précipité explosif, ultra-efficace mais aussi d’une pertinence subversive redoutable.
On se souvient avoir vu, il y a quelques années sous ce titre, un documentaire digne d’un épisode oublié de Strip Tease, consacré aux « chiens en Amérique ». Le réalisateur y présentait des chiens héros (sauveteurs) et des chiens peluche, bichonnés à longueur de temps par des Américains paumés et en manque de relations humaines. Le documentaire était aussi terrifiant que passionnant. On ne sait pas si le titre de l’album fait référence directement à ce documentaire mais on y retrouve ce regard caustique sur un pays qui est passé de «phare pour le monde libre » à un creuset d’injustices, de violences et d’absurdités en tout genre. Il y a une forme de tristesse qui s’exprime dans le flow de Brzowski qui renvoie à cette déception attachée au pays entier et à son évolution. La musique de D-FAZ est une musique politique qui s’intéresse aux enjeux globaux, politiques et sociaux, plutôt qu’à la vie de tous les jours. C’est une musique offensive, emphatique et pleine de gravité qui, sur cet album, est servie par un son construit avec beaucoup de méthode et d’intelligence. L’entrée en matière, The Questionable Ticket, dresse le portrait d’un pays malade et en urgence vitale. Le texte est suffisamment abstrait pour que le message ne soit pas lourd et la musique crée un malaise par son martèlement rythmique et métallique qui s’accroît au fil du morceau. La chanson suivante plonge dans un futur (3023, soit quelques années seulement avant l’univers fantastique du Deltron 3030 d’Automator) qui rappelle le Schoker de Wes Craven par le sentiment de menace et de déréliction qu’il fait peser sur nous. Les Black Ops contrôlent l’existence, tandis que les politiques s’en mettent plein les poches. Est-ce la peine de se projeter dans le futur pour décrire une telle réalité ? Oui et non.
D-FAZ évolue dans un temps alternatif qui n’est pas à proprement celui d’aujourd’hui mais une forme d’anticipation sociale et musicale qui noircit la situation et renforce la gravité de l’ensemble. Entre la confusion de la figure du chassé et du chasseur que décrit Runnin After The Man et l’exceptionnel tunnel instrumental qu’est Creatures (un instru assez fabuleux qui vaut le déplacement tant pour la vigueur de la batterie que pour l’habillage mélodique), l’album progresse en eaux profondes, dérangeant et oppressant. On est presque déçus quand D-FAZ revient à un semblant de classicisme avec un One Nation plus laborieux et démonstratif. L’idée de l’univers futuriste et alternatif n’est pas exploitée pleinement, ce qui peut causer une petite déception chez l’auditeur.
L’album rebondit très vite sur l’impeccable As A Criminal et l’anxiogène Beneath The Surface. D-FAZ enrichit le montage en mêlant les passages chantés/rappés et des samples, liant le tout avec un travail de guitares et une batterie extraordinaires. Il y a une unité et une cohésion dans le son transgenre qui sont exceptionnelles et confèrent une force impressionnante aux morceaux. Les instrus, peu nombreux mais vraiment très réussis, fonctionnent comme des temps de repos bienvenus et des sas qui permettent de passer d’une époque à l’autre. Rosebud est un développement techniquement subtil et passionnant à suivre qui ouvre sur la narration habitée et souffreteuse de Sick Tired and Sleep. La musique de F-DAZ est maladive et poisseuse. Elle se met au niveau de son sujet et devient pâteuse et comme effondrée sur elle-même. Le disque perd en vivacité et probablement en impact ici, comme si l’attaque frontale du début avait épuisé les forces en présence. La voix s’efface sur le spatial Turn To Dust avant de se repointer pour le baroud d’honneur final. Abandoning est remarquable, éclairé encore une fois par un son de batterie très bien produit. Le titre clôt brillamment une seconde partie d’album qui, si elle est moins incisive que la première, est plus appliquée dans la création d’une atmosphère immersive et le respect du cahier des charges initial.
One Nation Under Dog est un album qui impressionne finalement plus par la densité de son son et la puissance de ses fulgurances que pour son montage d’ensemble. Possible que Brzowski ait placé la barre des intentions un peu trop haut et n’ait pu tenir suffisamment les compositions ensemble pour faire de cette collection de titres impressionnante un monolithe réellement homogène et dont il pourrait projeter une forme de vérité sur la société de son temps. L’album n’en reste pas moins une belle réussite et un formidable exemple d’ouverture sonique. Rien que pour ça, il faut y aller voir.