[Interview] – Frantic, cœur et âme

FranticHomme de cœur, mélomane certifié, musicien précurseur car toujours en avance sur les nouveaux courants électroniques français (Dress Code, en 2007, peut aujourd’hui s’entendre telle une Bible pour les treize années qui suivirent), François-Olivier Nolorgues, avec son troisième album sous le nom Frantic (Recital, paru en octobre 2020 chez Hot Puma Records), dénude certaines de ses chansons favorites des années 80 afin d’en restituer l’évidence mélodique, l’émotion du refrain, le pourquoi et le comment d’une telle sincérité. En même temps, Recital n’est pas vraiment un disque de reprises puisque François-Olivier, qui ne triche jamais, en profite ici pour se dévoiler à la façon d’un éternel amoureux de la belle composition, jusqu’à clarifier sa nécessité à écrire quelque chose qui vient du cœur. Geste d’autant plus primordial qu’en 2020 (au moment de cette interview), que fallait-il établir sinon un lien fort entre un artiste intègre et un auditeur en quête de réconfort ? Frénésie bienfaitrice : « you make me cry when you look into my eyes« .

Ravi de répondre à tes questions, longue vie à Sun Burns Out !

Peux-tu revenir sur cette envie (ce besoin ?) de reprendre certaines grandes chansons des 80’s, en les épurant, en mettant en avant leurs évidences mélodiques ?

Sur ce disque, j’avais envie de simplicité et de nudité émotionnelle. Ce disque s’accompagne d’une tournée piano-voix depuis quelques mois, et je voulais ici vraiment aller au cœur de la mélodie, dans son plus simple appareil ; et les 80’s sont remarquables pour cela, car elles sont construites autour de la mélodie alors qu’aujourd’hui tu noteras que les mélodies sont quasiment absentes des productions. On privilégie un mélange entre l’humeur, le texte, une voix très devant, très mental, mais à mon sens tout cela est très éloigné du cœur… J’aime les mélodies car elles touchent du doigt l’âme et la vérité du message exprimé.

On sent un amour immense pour les chansons que tu reprends. Car ce sont de grandes chansons, certes. Mais avais-tu l’envie de revenir sur les origines de Frantic ? D’expliciter ta démarche musicale initiale ? (De belles mélodies, une sonorité qui agrippe, des mots qui résonnent très personnels.)

Oui, j’ai surtout chanté mon cœur sur ce disque. Je sortais d’une période émotionnelle très dure qui nécessitait un retour à moi comme dirait Daho. J’étais prêt à chanter mon cœur sans artifices ni arrangements, et j’avais dans l’idée de reprendre des titres et de les mélanger avec quelques compositions. Ce disque a été enregistré très vite, je ne voulais pas réfléchir ni ressasser. Je voulais exprimer vite et vrai… C’est mon disque le plus personnel.

Frantic, comme les tubes que tu reprends de Billy Idol, The The ou Bowie, incarne une certaine mélancolie. Dirais-tu que la noirceur du songwriting 80’s fut mal comprise durant très longtemps ? Voire même : en 2020, n’y a-t-il toujours pas malentendu ?

Frantic n’est vraiment pas stratégisé artistiquement. La notion du temps et la fréquence des sorties dépendent d’une seule chose : les rencontres et leurs substances. Rien d’autre. L’emballage aussi peut bouger. Je ferais peut-être un album soul bientôt… Les 80s furent mal interprétées, elles sont heureuses dans la tristesse, amoureuses dans la mélancolie, mélodiquement ultra bien écrites, on utilisait des accords et des partis-pris artistiques qu’on n’utilise plus aujourd’hui. Les ponts, les refrains, les enchaînements, la musique était plus importante. Aujourd’hui, tu entends une voix très devant un magma sonore et tout le monde chante et joue pareil… Des clones… Partout.

Dress Code remonte à 2007, puis It en 2018. Recital en 2020. En tant que musicien et compositeur, comment gères-tu cette période Covid où la culture ne semble guère intéresser les Institutions ?

Si tu veux que l’on parle de notre époque et de l’art inhérent à celle-ci, je te dirais que rares sont les moments où l’art perce cette Troisième Guerre mondiale déjà entamée. L’art est actuellement secondaire, il n’a rien à dire, rien à exprimer, car est venu maintenant le temps de se battre et de détruire, c’est comme ça, c’est la vérité. On va tout casser, tout brûler, on doit le vivre pour ensuite créer et restituer à travers une œuvre ce qui a été sincèrement exprimé. Aucun artiste aujourd’hui n’a de message porte-étendard avant-gardiste, aucun. Seule la guerre est créative dans son infinie barbarie aujourd’hui. Le reste n’est que chansonnette au coin du feu… Et le Covid n’est qu’un accélérateur de tendances. Il va nous obliger à être nous-mêmes dans notre infinie monstruosité…. Quand tu penses que dans les années 80 le must-have était le look, quand dans les années 90 on vibrait pour la technologie d’avant-garde et que tu vois que dans les années 2020 le thrill ultime c’est de survivre à une guerre larvée, tu te dis que l’on est très loin de l’art et de son expression. Et que l’artiste aujourd’hui, c’est le politique, le dictateur, le soldat, le guerrier…. La mutation est terrifiante mais réelle.

Je me suis toujours demandé d’où venait chez toi le déclic de la musique, ce besoin de composer ? Je me trompe peut-être mais j’ai souvent pensé que tu étais spirituellement assez proche de Neil Tennant, avec cette envie de mettre en pratique musicale le savoir journalistique accumulé à force d’interviews et de rencontres…

Tu ne crois pas si bien dire avec Neil Tennant car j’ai failli mourir à cause des Pet Shop. J’avais décroché une interview, ils en donnaient très peu. Mais en arrivant au Savoy Theatre de Londres pour les voir, en traversant la rue j’ai été renversé par une voiture. Hôpital + coma ! Je ne les ai rencontrés que dix ans plus tard au Rex à Paris et je leur ai raconté l’histoire… Destin, ironie du sort… Tu rencontres une idole et puis non… Ah ah ah ! Bref, ce fut quelque peu chamboulant pour moi car Neil a déterminé mon goût pour la pop électronique… Ils ont une carrière incroyable, un sans faute… La télévision musicale avant l’Internet était dingue, tu pouvais voir Bowie, Elton et les Pet Shop dans la même journée. Une époque magique que YouTube a flinguée avec son robinet perpétuel : plus d’exclusivités, plus de magie, tout est là H24 à la demande.

D’ailleurs, pour rester sur les thématiques de la question précédente, pourrais-tu revenir sur tes premières années de journaliste ? Tes premières rencontres décisives dans le métier ? Ce que tu as ressenti en tant que passeur ?

Mes années TV et radio MCM et Europe 1 m’ont ouvert sur un monde où la musique rejoignait l’histoire, le storytelling de l’époque marquait les esprits, les mélodies étaient fortes et les groupes charismatiques. Bowie, que j’ai rencontré trois fois, m’a marqué par son intelligence et son accessibilité. Tu sais, j’ai fait 700 interviews en quasiment 20 ans : il y avait les stars, les vedettes et les one-hit wonder… Mais je dirais que les génies comme McCartney, Harrison, Morrissey et bien d’autres portent en eux un destin et une attitude à part. Ils flottent et surplombent par leur singularité. Comme s’ils n’étaient pas humains mais empreints d’une destinée presque politique… Je me souviens d’une interview avec Mick Jones des Clash qui me disait qu’il sentait le futur et l’écoutait, et que c’était comme ça qu’il écrivait. Il était porté par l’air du temps… Bowie, je l’ai vu en studio à New York avec Visconti époque Earthling et j’étais bluffé par sa spontanéité, one shot et c’est bon. On ne peut pas parler de travail en musique, je ne crois pas au travail, je ne crois qu’à la vitesse d’exécution dans la joie, zéro travail, juste la vibration du moment sans réfléchir.

Si OK pour toi, j’aimerai te citer quelques noms. Et recueillir de ta part un commentaire. Robert Palmer ?

Robert Palmer est un dieu pour moi, adorable et trop bon vivant. Il en est mort.

Matt Johnson ?

Matt Johnson a écrit, selon moi, la plus belle chanson du monde : “Lonely Planet”.

Alain Chamfort ?

Un génie qui se fourvoie avec des mauvais et qui est obsédé par la vieillesse.

Chris Lowe ?

Hit-maker ultime.

Christophe ?

Un sex addict collectionneur qui n’aimait personne.

Nick Rhodes ?

Un gros con qui snobe tout le monde alors que Simon Le Bon et John Taylor sont adorables. Je ne le sais que trop bien car Frantic a ouvert pour Duran Duran au Zénith de Paris en 2005.

OMD ?

Des amours de mecs avec qui j’ai fait le concert de ma vie en 2008 à l’Olympia… Super simples et fans de Dave… Improbable mais bon : c’est ça la pop.

Aujourd’hui, qu’écoutes-tu ? As-tu des récents coups de cœur musicaux ?

Alors, j’aime les singles… Y a pas d’albums qui m’attirent plus que ça. Je trouve la décennie très pauvre artistiquement. Briston Maroney, le nouveau Morrissey, Marc Almond et les rééditions de Scott Walker trouvent grâce à mes yeux. Sinon, ben je trouve que tout le monde sonne pareil, chante pareil et qu’il y a très peu de prises de risques. L’époque n’est pas à l’art mais à la guerre et cela s’entend.

En cette période incertaine, comment vois-tu venir tes prochains live ?

Les concerts de Frantic, je les vois très électroniques avec des projections vidéos ou alors tout acoustiques piano-voix. Une manière très punk d’aller dans un sens et puis dans un autre sans concession… L’art n’est pas bienveillant. Il éructe. Là où il y a compromis et imitation il n’y a pas art, il y a commerce.

Un nouveau Frantic d’ici deux ans ?

Plein de fois j’ai voulu arrêter, plein de fois j’ai haï la musique et le music biz, plein de fois j’ai détesté les musiciens et le ridicule qui va avec mais tout me ramène à l’art, peinture y compris. Tiens, si tu veux regarder : je hais ma vie, je hais l’art, je me déteste, mais tout me ramène à lui d’une manière ou d’une autre. Je ne peux lui échapper, je suis câblé comme ça, c’est comme une malédiction, un sortilège et, comme dirait Alan Vega dans le dernier Suicide : « if you destroy the vision you will suffer the world with« . Ça m’a fait flipper alors j’ai continué.

Merci à François-Olivier Nolorgues et à Sergio Taronna

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