24 ans après la sortie du premier disque, Black Elvis, Kool Keith, 60 ans cette année, donne une suite à ce monument galactique sous la forme d’un numéro 2 qui sort chez les esthètes rétro de Mello Music Group. Là où le premier disque jouait à fond la carte du récit spatial autour de la figure (Deltronique avant l’heure) d’un Elvis Black parcourant l’espace, ce Black Elvis 2 est magnifiquement tiraillé entre ses visées interplanétaires et les thématiques obsessionnelles de leur auteur, le sexe, le monde du hip-hop et… tout le reste. Kool Keith, adepte des masques et du transformisme rap, confirme sa très bonne passe et réussit un très bon disque aux sonorités exigeantes, âpres et métalliques, tout en offrant à un public nostalgique un joli voyage dans son univers surréaliste.
Black Elvis démarre sur les chapeaux de roue avec une production remarquable, complexe et pas affriolante pour un sou, signée L’Orange. Le taulier du Mello Group ne semble pas s’être surinvesti sur le disque mais on ne serait pas surpris que son ombre tutélaire ait pu avoir un rôle dans la manière dont le son est articulé ici. Les productions proposées par les MC présents, Marc Live (le cousin de Kool Keith) ou Raaddrr Van, semblent très techniques, très travaillées. Elles jouent des répétitions, des rythmiques, dans un registre souvent assez minimaliste (MAX s’organise autour d’un son unique répété ad lib et de quelques « rayures » de piano) qui sert à la perfection le style métronomique de Kool Keith. Au fil des ans, celui-ci a perdu un peu de sa capacité à moduler et à pirouetter. Son flow est appuyé, ultra régulier et presque mécanique, ce qui peut (sur la 2nde partie de l’album) nuire à la vivacité de l’ensemble.
A l’entame, on assiste à un festival, imposant et granitique, sur des productions qui marquent par leur étrangeté et leur dureté apparente (E-L-V-I-S, chanson d’anticipation politique qui mélange Biden, les pirates somaliens et l’Elvis rédempteur dans un joyeux foutoir angoissant). Black Elvis 2 est beaucoup moins enjoué et varié que le premier opus et décevra ceux qui étaient venus pour se marrer et apprécier la dérision de l’auteur. E-L-V-I-S pour ne prendre que ce seul exemple est un titre aride et qui ne donnera jamais à l’auditeur l’occasion de s’enflammer. On retrouve sur First Copy et pour la première fois, un peu du lyrisme et de l’imaginaire brillants du premier disque. La vision de Kool Keith est épatante, déclinant avec une précision ultra réaliste la transposition de notre présent dans un futur désenchanté et livré au machinisme.
Cyborg Black Elvis Presley, first model built out of three
Cyborg Black Elvis Presley, first model built out of three
Come in Cyborg Black Elvis Presley, first model built out of three
Cyborg Black Elvis Presley, first model built out of three
Cyborg
Communication through Generation X make force field complex
The locals go Planet Fitness for the biceps
Instant formulas like Overtine and Tang cause me to be NBA Brimston Hang
Come with the brush and paint over names
Flyin’ the Air Force One with my jaws full of Bazooka Joe bubble gum
The critics drink from the Golden Cup
Sayin’ the vocals over the metronome is double dumb
Sound like an elephant in the trunk
Les images sont amusantes, réalistes, pleines de marques citées et dérivées de ce que nous connaissons. Kool Keith s’amuse de ce qu’on attend de lui : une réplique du son old school des années 90 pour offrir tout autre chose, une image déformée et presque trash du son flirtant avec le mainstream de jadis. Le disque aligne des titres marquants et impeccables : Kindergarten Adults, The Formula ou encore Black Presley et All Marvel. L’écriture est radicale, inventive. Sur All Marvel, Kool Keith se prend pour un Avenger et égrène ses qualités en les rattachant aux pouvoirs supposés des super-héros. Sur Black Presley, les images sont calées sur le profil de jeu d’équipes de foot américain et de baseball. Feelin Me est salace et quasi parfait dans sa façon dépouillée et un peu soul de se présenter. Kool Keith joue à être Prince, dans une version cradingue et marinée dans une rythmique de pacotille. Les productions proposées par les collaborateurs réguliers de l’artiste sont relativement sages et peu aventureuses comparées à d’autres travaux de Kool Keith mais elles sont attentives à mettre en valeur la voix et les rimes du rappeur. Cette approche peut donner le sentiment que la seconde partie de l’album se situe un peu en retrait par rapport à la première mais permet d’écouter les textes de près et d’apprécier encore plus la balade tant elle est lisible et respectueuse de ce qui fait le sel de ce Black Elvis : ce que Kool Keith raconte et ce qu’il représente, avec son esprit d’escalier et son imaginaire déjanté, pour la scène rap.
Cela n’empêche pas quelques décollages XXL à l’image d’un Space Mountain beau comme un titre de Deltron 3030 premier âge. Sur Machinery, c’est presque l’approche contraire qui est retenue, soit un minimaliste redoutable et qui sublime littéralement le duel vocal entre Raaddrr Van et Kool Keith. L’album ne choisit jamais vraiment entre une tentation mainstream assez présente et un contenu plus ambitieux et qui était peut-être plus raccord avec le précédent disque.
Le résultat est un disque très réussi, qui décevra certes ceux qui s’attendaient à un immense pas en avant ou à un volume 2 aussi fou et débridé que le premier, mais qui n’en reste pas moins épatant, consistant et fascinant par son contenu lexical. Kool Keith est de retour à son meilleur niveau et c’est un bonheur et une manière merveilleuse de faire taire ceux qui pensaient que le rap ne serait jamais qu’une affaire de jeunots.
02. MAX
03. E.L.V.I.S
04. First Copy
05. Kindergarten Adults (feat Raaddrr Van)
06. The Formula (feat Marc Live & Ice-T)
07. Black Presley
08. All Marvel
09. Without My Culture (feat. Dynamite)
10. Feelin Me
11. Love Infringement
12. Space Moutain (feat. Marc Live)
13. Road Dog (feat. Agallah)
14. Machinery (feat Raaddrr Van & Marc Live)
15. World Spin
16. Clifton’s Revenge