Il y a bien sûr l’album qui parle de lui-même et dont on ne redira pas ici tout le bien qu’on en a pensé. Une île est rare et précieux, léger et lourd comme l’air. C’est un album qui a la modernité du temps qui passe et des retours sur soi qui débordent les contours du je. Au fil des écoutes, il nous est apparu indispensable de prolonger le voyage d’île en île en partant à la rencontre lointaine de son auteur que nous avions perdu de vue il y a une éternité comme la plupart des oreilles françaises. Il fut un temps où Jérôme Minière passait pour l’un des espoirs de la nouvelle chanson française et puis un temps (lointain également) où il a volontairement disparu des radars pour se réinventer amoureux et québécois, en territoire électronique ou chansonnier. Il n’a pas chômé depuis mais n’est revenu que trop rarement en France. Aujourd’hui, il semble que le désir l’ait un peu repris de se faire entendre par ici. Notre désir n’avait pas vraiment faibli et nous l’avons pris d’assaut. Interview en longueur et langueur sur une dérive poétique et buissonnière assez unique en son genre…
Votre nouvel album s’ouvre sur la chanson manifeste (!) « Je ne suis pas pressé ». Votre discographie ne donne pas l’impression que vous êtes quelqu’un qui se laisse aller à la rêverie et à la paresse. Vous considérez-vous comme un artiste pressé ?
Le texte de la chanson est adapté de Fernando Pessoa, poète que j’admire profondément. Les mots, simples en apparence, ces formulations tellement évidentes qu’elles frisent l’absurde me font l’effet d’un antidote charmant contre un des poisons de notre époque : la vitesse. J’ai moi-même cette tendance à être pressé et chanter ce texte me rend plus léger, et plus …lent.
Ceux qui vous suivent depuis la France se demandent pourquoi vous n’êtes pas plus présent sur la scène française. Est-ce vous qui avez recherché cette discrétion et est-ce que c’est un regret aujourd’hui ?
Je suis quelqu’un qui tourne assez peu, même au Québec. J’aime beaucoup être sur scène, mais je ne suis pas taillé pour faire beaucoup de route, je m’y épuise vite, nerveusement et physiquement. J’ai un côté très sédentaire, comme mes ancêtres qui étaient des artisans et travaillaient tous les jours dans le même lieu. Du côté de ma mère, ils étaient horlogers de père en fils depuis la révolution, et de l’autre côté paysans, puis bourrelier (jusqu’à ce que ce métier disparaisse avec la mécanisation). Ceci dit, j’aurais aimé pouvoir revenir jouer en France plus souvent. À partir du moment où je n’ai plus été sous contrat avec Lithium, j’ai eu une certaine malchance dans tout ce que j’ai entrepris par rapport à la France. J’avais trop d’attentes, j’étais malgré moi trop émotif dans tout ce qui avait trait à mon pays d’origine. Résultat, depuis 2000, j’ai joué beaucoup plus souvent en Allemagne (où j’ai noué des liens solides avec le label Le Pop) qu’en France, ce qui est tout de même étrange.
Qu’est-ce qui vous avait amené à quitter la France à l’époque ? J’ai toujours pensé que cela avait été une manière pour vous de fuir le succès qui vous tendait les bras ici.
Techniquement, j’ai signé avec Lithium pour mon premier album, alors que j’avais déjà presque abouti mes démarches d’immigration vers le Canada. J’avais 23 ans, et ce qui comptait le plus pour moi, c’était de retrouver mon amoureuse qui m’attendait là-bas. Je n’avais pas de plan de carrière. Fuir le succès, saboter ma propre réussite, si je l’ai fait, c’est inconsciemment. Il est certain que je porte un paradoxe en moi : comme tout artiste, je veux être entendu et, si possible, aimé ; mais d’un autre côté, je suis un peu sauvage, comme un animal qui aurait peur de la pleine lumière. Je lui préfère l’ombre ou du moins un relatif anonymat. C’est à mes œuvres que je souhaite la clarté.
Cela fait quasiment 20 ans maintenant que vous êtes à Montréal. Vous avez construit une carrière remarquable et on a le sentiment que vous avez trouvé une vraie place dans la scène locale en construisant des œuvres variées et en multipliant les collaborations et le travail pour autrui. Est-ce qu’il y a là-bas une facilité à toucher à tout qui n’aurait pas été possible chez nous ?
Au Québec, il n’y a pas de revenu garanti pour les artistes. Il faut donc être passionné et travailler dur pour rester dans le métier. J’ai dû être plus qu’un artiste, et développer mon « artisanat » pour en faire un métier : pouvoir composer pour le théâtre, le cinéma, écrire ou réaliser pour d’autres. L’idée était de ne pas dépendre que de mon succès comme chanteur, et d’avoir plusieurs cordes à mon arc. Il est vrai qu’ici , la société est moins hiérarchisée qu’en France. On peut passer plus facilement d’un milieu à un autre. On laisse aussi plus de chances aux débutants.
Quel est votre statut au Canada ? Vous avez reçu 3 ou 4 Félix de la Musique ces dix dernières années avec vos Herri Kopter, dans le registre « musique électronique ». Est-ce que cela fait de vous un artiste bien établi Outre-Atlantique ?
Non. Il faut se rappeler que, bien que le territoire soit très vaste, nous ne sommes que 7 millions au Québec. Les artistes qui veulent vraiment rayonner ici doivent aussi s’exporter. Il n’en reste pas moins que je suis fier de la reconnaissance que j’ai obtenue ici. Je dis souvent en blaguant que je suis un « artiste semi-populaire ».
Les français ont cette idée selon laquelle tous les artistes québécois meurent d’envie de faire carrière en France. On a eu quelques mauvaises expériences dans ce genre-là. Quels sont pour vous les bienfaits de l’exil ?
Parfois la distance me pèse, je rêve souvent à un TGV qui traverserait l’océan sur une structure gonflable. On ferait le voyage en deux jours, avec une nuit passée dans un hôtel marin… J’aimerais mieux ça que l’avion, qui me donne toujours la sensation d’être catapulté brusquement par-dessus les flots. Dans l’exil, il y a à boire et à manger, des mauvaises choses et des bonnes, des cycles. Mais de toute façon le vrai exil, c’est celui qui est sans retour : quitter un pays où c’est la guerre et où rester signifie la mort, tout abandonner. Depuis quelques années, un nombre hallucinant de Français arrivent au Québec, je sens une détresse, un besoin de trouver de nouveaux espaces. Ça me trouble beaucoup, car ici aussi, toutes proportions gardées, la situation s’est durcie. On nage en pleine austérité et « L ‘eldorado québécois » n’est plus ce qu’il était. Certains resteront, d’autres pas. J’ai l’impression que c’est tout l’Occident qui vit une transition profonde.
A quoi ressemble votre vie de tous les jours en ce moment ? Je ne vous demande pas de parler de votre vie privée, mais vous venez d’avoir 43 ans. Vous êtes heureux ?
La quarantaine, c’est un drôle de truc, une seconde adolescence, les doutes sont plus nombreux que dans la trentaine. On prend conscience de ce que l’on a réussi et raté jusqu’ici. Et en sachant que l’on ne se réinventera plus complètement, on peut vouloir rectifier le tir. Pour moi, le plus gros changement a été intérieur : écouter plus mes émotions, mes sensations et moins ma volonté. Jusque-là, je ne suis pas à plaindre. J’arrive à vivre de la musique depuis plus de 15 ans et à tenir le poste comme père de famille. Je suis par contre très inquiet de la situation dans la profession. Nous avons connu toutes sortes de bouleversements et chaque année, je touche du bois en me demandant si l’année suivante mon métier existera encore. D’un côté, la technologie nous a permis de faire des disques avec des bouts de ficelles, elle a démocratisé la musique comme l’appareil photo l’avait fait pour les images au siècle dernier. De l’autre, elle a ôté toute valeur au travail des auteurs et des compositeurs… un clic, quelques secondes d’attention, pour parfois des années de travail. Honnêtement, je ne suis pas très optimiste à ce sujet. Mais bon, la musique était là avant et y sera après, quoi qu’il arrive. Au pire, on jouera le dimanche, pour le plaisir entre amis, dans les parcs et les ruelles de la ville et on fera d’autres jobs.
La plupart des artistes « indépendants » ont l’air de tirer la patte. Les disques se vendent mal. Les salles de concert privilégient les grosses cylindrées. Comment est-ce que cela se passe pour vous ? Vous évoquez le téléchargement compulsif sur Postmoderne…
C’est la jungle ! Au Québec, on utilise l’expression : « Trop , c’est comme pas assez. » Comme auditeurs, nous sommes saturés par l’offre. Nous ne pouvons écouter toutes ces chansons, nous ne pouvons traiter toutes ces informations. Comment nous frayer un chemin dans tout ce trop ? Je crois que le plus dur à encaisser, c’est le fait qu’aujourd’hui tout est interchangeable, remplaçable, ce qui est difficile à accepter. Il faut faire des efforts pour ne pas rester étourdi, assommé, et nous concentrer sur une chose à la fois. Chacun, individuellement, nous n’avons pas d’autre alternative que de faire des choix, un tri, même s’il est arbitraire, à la machette, nous tailler chacun une clairière.
Cette chanson justement est d’une cruauté redoutable contre l’air du temps. L’album est une charge assez violente contre la superficialité du monde occidental… des classes moyennes supérieures… Que voulez-vous dire exactement ? Est-ce que vous êtes vous-même sujet à ce genre de relâchements ?
Quand j’étais gamin, la relativité était une idée abstraite, une théorie mathématique. Aujourd’hui nous vivons dedans. Je ne sais pas si c’est bien ou mal. Par contre, il me semble que c’est très déstabilisant pour nous tous. Cela nous place face à nos propres limites et pose de nouveaux enjeux moraux : Comment garder notre humanité dans un monde où tout et rien se valent ? Toutes les régressions nationalistes, religieuses, idéologiques et identitaires de notre époque témoignent de ce désarroi.
Dans quelles conditions avez-vous composé cet album ? On a l’impression que c’est un album assez léger et personnel. C’est à la fois moins intime peut-être que d’autres, mais cela ressemble tout de même à un disque où vous avez fait la majeure partie du travail vous-même et en ayant un contrôle total des opérations ?
Je voulais casser la routine, changer la recette. Sans le vouloir, avec les années, on prend certains plis, ça doit être ce qu’on appelle l’expérience, ce qui n’est pas mauvais en soi, mais qui peut amener un certain « ronronnement » des idées. Des choses qui étaient des surprises ou des avancées quelques années auparavant peuvent changer de costume et devenir des habitudes, des automatismes. Les deux dernières années, comme j’avais beaucoup de travail en production et réalisation, je n’avais pas beaucoup de temps pour écrire et composer pour moi-même, juste celui d’enregistrer quelques notes sur mon téléphone ou de griffonner quelques mots sur papier. Je n’ai donc pas eu la sensation d’écrire un nouveau disque. Ce n’est qu’il y a un an environ, lorsque j’ai mis tous ces fragments bout à bout, que j’ai réalisé que j’avais assez de chansons prêtes pour faire un disque. Contrairement à mes habitudes des dernières années, j’ai bouclé les démos très rapidement, sans fioritures, je les ai tout de suite transmises à mes musiciens (José Major, Denis Ferland, Frédéric Lambert et Ariane Bisson Mc Lernon) pour les monter avec eux. On a fait un spectacle-atelier (le MINISHOW) dans un théâtre (L’USINE C) avec ces morceaux qui n’avaient jamais été joués auparavant. J’ai adoré l’expérience, nous étions sur une série de petits amplis et petits instruments, sans amplification de façade, c’était très intime. En août, pendant trois jours, on a tout enregistré ensemble dans la grande pièce d’un studio montréalais. Ensuite, j’ai fait les voix, quelques pistes additionnelles et du montage au cours de l’automne dans mon petit studio. Jusqu’à atteindre, le point d’équilibre. Ciseler le projet, mais pas trop.
Je parlais de légèreté. C’est une caractéristique qui est liée ici principalement à une approche musicale très élégante, très aérienne et très variée (je n’ai pas écrit « variété » !) tandis que les textes trahissent une forme de volonté de se retirer du monde et de naviguer à contre-courant. Dans quel état d’esprit étiez-vous en composant ces chansons ?
J’avais précisément besoin de légèreté, alors je me la suis offerte! Je sortais de deux années difficiles et lourdes dans ma vie privée. Sans rentrer dans les détails, notre petite famille a traversé une tempête et on a dû se serrer les coudes et dépasser nos limites ensemble, sinon c’était le naufrage. Par contre, je ne voulais pas que ce soit un disque de « déni ». Partir du désarroi, de la noirceur, de la difficulté pour aller vers la lumière. L’un n’empêche pas l’autre.
La figure de l’Ile est évidemment au centre de l’album. Vous avez toujours eu un sens très aiguisé des lieux, des retraites, comme si vous rêviez à votre manière de ne plus être un homme, mais de devenir un lieu, permanent et tranquille. Cela apparaît ici sur le cœur néon bleu ou Dans la cuisine du phare. On a le sentiment que vous ne voulez pas seulement vivre sur une île, mais bien devenir une île. Je fais erreur ?
En effet, il me semble que métaphoriquement, chaque individu est une Île. Les groupes humains sont des archipels !
Vous travaillez dans un registre qui reste tout à fait singulier. D’aucuns penseraient à ce courant qu’on appelait jadis la bêbête pop pour ce côté joueur et presque espiègle des mélodies et des arrangements, mais il y a aussi chez vous beaucoup de poésie et une forme assez radicale de critique sociale. Un mélange de Dick Annegarn, de Mathieu Boogaerts et de Diabologum…. C’est une analyse qui veut dire quelque chose pour vous ?
Oui absolument, j’aurais eu plus de mal à l’endosser à mes débuts. Je n’aimais pas être comparé à d’autres (par orgueil mal placé sans doute !), mais aujourd’hui j’assume totalement ce grand écart stylistique et le fait de faire partie de plusieurs familles musicales auprès d’artistes que je respecte énormément.
Le morceau Ego Lego donne toute la mesure de votre originalité : socle électronique, son world, chanté-parlé mi-rap mi-chanson, engagement et vision décalée de la société, chœurs. Vous pouvez nous dire comment vous avez fabriqué cette chanson ? Est-ce que vous êtes toujours aussi perfectionniste ?
Pour celle-ci, j’avais cette boucle de « rap tzigane » mariée à des paroles que j’ai abandonnées par la suite. Je n’étais pas satisfait. J’ai fouillé dans les autres fragments de texte que j’avais et j’ai brodé toute la chanson à partir de la phrase slogan : « J’ai l’égo lego, le moi Ikea ». Oui, je suis toujours perfectionniste, mais je me soigne ! C’est pour cette raison que j’ai enregistré le disque avec un groupe, pour lâcher prise.
Vous avez la réputation d’être quelqu’un de très exigeant dans vos compositions. Derrière la légèreté des chansons, il y a sur la plupart des morceaux une variété de textures et des arrangements qui ne sont pas piqués des hannetons. Est-ce une satisfaction ultime lorsqu’on est un compositeur pop de faire croire aux gens que ce qu’on écrit est « facile » alors que l’ensemble est d’une grande complexité ?
Oui ! La chose la plus difficile à obtenir en art, et dans la vie pour toutes sortes de raisons… me semble être la simplicité (pas le simplisme!).
Qu’est-ce qui vous a conduit sur cet album à intégrer des séquences musicales aussi différentes que le dub, la bossa ou je ne sais quoi d’autre. C’est un signe de liberté ou est-ce que par goût, vous écoutez un peu tout cela ?
Les deux. J’écoute un peu de tout. Je papillonne beaucoup en musique. À vrai dire, je ne suis spécialiste de rien, je ne suis pas très « pointu », ou disons « multipointes ». À mes débuts, j’ai souvent eu de la difficulté à m’expliquer à ce propos. On me demandait : « quelle est votre influence principale ? Quel artiste est votre référence absolue ? » Je bredouillais que je ne savais pas… C’était inconfortable de n’appartenir à aucune chapelle. Aujourd’hui je revendique totalement cette apparence d’éparpillement. Apparence, parce qu’au fond, avec les années, je m’aperçois que je reviens presque toujours aux mêmes couleurs, aux mêmes teintes, quel que soit le style musical : une forme de nostalgie, de mélancolie, d’équilibre entre douceur et amertume …
Ce grand écart musical est assez déconcertant, même s’il y a une cohérence d’ensemble. Les gens préfèrent généralement un genre précis : de la pop, du rock, et supportent parfois assez mal qu’une musique soit traversée par des résonances aussi différentes. Qu’est-ce que vous écoutez lorsque vous êtes seul chez vous ou en famille ?
J’aime écouter la musique des autres. Entendre comme ils entendent. La musique est changeante, selon le lieu, le moment, et avec qui on l’écoute. J’aime être surpris, entendre constamment de nouvelles choses, je suis toujours curieux des nouveautés. Sinon, ces derniers temps , je m’amuse à faire des playlists, j’y mélange souvent des titres récents avec des choses plus anciennes, de la pop, en anglais en français ou dans d’autres langues, du jazz, de l’électronique minimale, ce qu’on pourrait appeler de la musique du monde, au gré du hasard et de l’humeur… Rien de trop pointu, comme je disais plus haut. Tiens, par exemple, voilà celle que je viens de publier sur Facebook : Ronde de nuit Bastien Lallemant (et tout l’album La maison haute), Stonemilker de Björk, Green’s leaves de Chilly Gonzales, Russian Lullaby d’Errol Garner, Inner temple de Gong, Safia Nolin d’Igloo, I am not afraid d’Owen Pallett, Kendrick Lamar, Sufjan Stevens, Courtney Barnett, Lupe Fiasco, To Rococo Rot, Tony Allen, Vélo vole de Dick Annegarn, Dominique A, Jean Leloup, Patrick Watson, etc.
Il y a quelques chansons très ambitieuses sur cet album : par leur durée, leur construction ou parce qu’elles embrassent une perspective très large. Je pense à Ego Lego, mais aussi à Ressources Minières qui est une chanson magnifique et en… cinémascope. C’est très écrit, très ample. Est-ce que vous souhaitiez volontairement passer de chansons microscopiques (le néon bleu) à des chansons… panoramiques, marier le petit et le grand. Ou est-ce une composante, disons, native de ce que vous faites ?
Je ne sais pas… Oui, confronter le singulier et le pluriel, mélanger des matériaux hétérogènes, ça m’a toujours intéressé. Je retrouve cette préoccupation dans le travail du philosophe Michel Serres. J’ai l’impression de rechercher un peu les mêmes choses que lui, dans mon domaine plus réduit.
Il y a évidemment un autre thème central dans l’album qui est le temps, qui file, qui ne s’arrête pas. Il y a bien une chanson quasi définitive sur le sujet qui est Appuyer sur stop. C’est un moment incroyable dans l’album qui est finalement plutôt luxuriant. Vous et votre guitare. On sent vraiment tout au long de l’album que vous vous êtes senti dépassé par les événements, par toute cette vitesse qui vous environne comme nous. Est-ce que ce sentiment correspond pour vous à une chose précise : des événements personnels, le vieillissement, une rencontre, un « coup de mou ». Ca ne peut pas être anodin.
Oui, «Appuyer sur stop» fonctionne bien en contraste avec le reste de l’album. En fait si je reviens à la question précédente… Finalement, je sais, un petit peu… J’aime composer les chansons comme les scènes complémentaires d’un récit. Les ambiances et les propos peuvent ainsi s’enrichir par le simple fait d’être placés les uns à côté des autres. Pour Appuyer sur stop, je crois simplement que j’ai osé offrir un moment de désarroi de manière brute, sans filtre, sans masque et sans fioritures. Par pudeur, je n’avais pas osé avant. Et aussi, cette chanson est reliée à Lhasa de Sela, que j’ai bien connue et qui nous a quittés en 2010. Pour moi, c’est une chanson à la « Lhasa ».
La voix qui se dégage d’une Ile me fait penser au personnage de votre roman, sorti l’an dernier. Il y a un côté Bartleby, Kafka bien sûr. Le type un peu paumé qui est débordé par le monde et dont le petit rythme est détraqué par les événements. C’est vous ce type ?
Jusqu’à un certain point, oui, ou quelqu’un de familier, quelqu’un qui me touche, un proche, un cousin, un père, un oncle… Je fais partie de cette famille de gens, les anxieux, de ce fragment d’humanité, et je me soigne en écrivant.
Sans raconter le livre, ce personnage a un contrepoint radical que vous nommez le Duke (of NorthEast St Hubert) qui va l’entraîner dans une sorte de dinguerie aussi profonde que sa vie d’avant était ennuyeuse. Cela m’amène à ma chanson préférée qui est « l’ennui ». C’est un monument existentialiste. Vous pensez que notre vie a pour enjeu principal de domestiquer l’ennui. Philosophiquement, beaucoup considèrent que l’ennui correspond ou est produit par une absence de souci tandis que vous partez du principe que c’est l’ennui qui cause les problèmes et que le combattre est le véritable enjeu… C’est amusant et plutôt bien vu….
Intéressante, ton interprétation ! J’avoue ne pas avoir pensé à tout cela consciemment. Je trouvais amusant de traiter l’ennui comme un personnage de chair et de sang, qui s’installe chez les gens, contre leur gré.
Je ne veux pas vous embêter trop longtemps. Qu’est-ce que vous attendez de cet album ? Vous allez revenir tourner en France ? Donner des concerts ? Vous en avez envie ?
Ça ne m’embête pas du tout. Ça faisait un certain temps que je n’avais pas fait une longue interview. J’aime le format long. J’imagine des rencontres, des spectacles et que mes chansons puissent passer à la radio. Je fais aussi mes clips moi-même, souvent à partir d’images d’archives, j’en ai deux en projet. Tourner en France, honnêtement je ne sais pas encore. Depuis quelques années, la priorité pour moi est de bien tenir mon poste de papa auprès de nos deux enfants et de leur maman. Si je vais en France, ce sera pour le plaisir, pour des occasions particulières, pas à tout prix pour une tournée. Peut-être pour des choses atypiques, comme cela m’est déjà arrivé par le passé (jouer à la ferme du buisson, ou sur un balcon à Montmartre). J’aime beaucoup aussi le concept des siestes musicales développé par Bastien Lallemant, j’y ai participé lorsqu’il est venu à Montréal.
Qu’est-ce que vous avez prévu de faire ensuite ? Roman, production, retour à Kopter ? Qu’est-ce qui va se passer ?
J’ai un deuxième livre en vue, je ne sais pas encore si ce sera un roman jeunesse ou pour adultes. Je vais l’écrire et on verra ! J’ai plusieurs idées pour des créations particulières sur scène ( je vais d’ailleurs continuer à travailler pour le metteur en scène Denis Marleau en 2016). J’aimerais faire un autre projet instrumental, sous une nouvelle forme, peut-être avec des cordes (je travaille depuis un an avec l’altiste Frédéric Lambert du Quatuor Molinari, qui peut jouer autant du classique, de la musique contemporaine que de la pop). Et puis, si les choses sont trop difficiles économiquement, peut-être faire en plus des ateliers musicaux dans les écoles maternelles et primaires, je viens d’en faire un premier la semaine dernière et j’ai beaucoup aimé l’expérience.
Comment est-ce que vous vous voyez dans 15 ou 20 ans ?
Difficile à dire. Si une météorite ne nous est pas tombée sur la tête, j’aurais sans doute plus de cheveux blancs, un chapeau, une moustache , une vieille Volvo, un petit chien? J’espère que la musique sera encore mon métier principal. En tout cas, je me vois toujours dans la création, parce que c’est ma vie. Je m’imagine bien continuer à écrire des romans, et peut être aussi pour le théâtre ou le cinéma pourquoi pas? Serais-je plus sage ou plus fou ? J’ai aussi quelques rêves de voyages au Japon ou en Afrique, peut être que l’occasion se présentera à ce moment-là quand nos enfants seront adultes. Ah oui, je serai peut-être grand-père, quelle joie !!
- 1996: Monde pour n’importe qui – Lithium/Labels/Virgin
- 1998: La nuit éclaire le jour qui suit – Lithium/Labels/Virgin
- 2001: Jérôme Minière présente Herri Kopter – La Tribu
- 2004: Jérôme Minière chez Herri Kopter – La Tribu
- 2010: Le Vrai Le Faux – La Tribu
- 2015 : Une Ile – La Tribu