Ce livre est un petit trésor. Et pas seulement parce qu’il constitue une nouvelle pierre dans notre archéomanie galopante au sujet de Morrissey et de The Smiths. Boy, interrupted est le récit de la vie tortueuse et merveilleuse de Dale Hibbert. Dale qui ? Dale Hibbert ? Possible que vous ayez déjà croisé son nom si vous avez déjà lu ou tenu entre les mains un des innombrables bouquins consacrés au “plus grand groupe anglais depuis les Beatles”. Ce Dale-là est un type oublié par à peu près toutes les sources et tout le monde mais dont on raconte qu’il aurait participé au premier concert du groupe avant d’être congédié parce qu’il ne savait pas jouer ou ne collait pas avec le style que voulaient Morrissey et Marr (faux du reste).
Attention, il ne faut pas confondre Dale Hibbert et James Maker. James Maker faisait juste des danses sexy sur scène qui permettaient de détourner l’attention du public de Morrissey, qui, à l’époque, n’était pas certain de pouvoir d’avoir tous les yeux fixés sur lui. Dale Hibbert n’était pas un gogo dancer. Il a été bassiste de The Smiths pendant six mois. Bassiste des Smiths avant le bassiste des Smiths donc, Andy Rourke. Il a joué sur quelques titres du début et il est assez probable qu’on peut entendre ses phrases de basses quasi intactes sur pas mal de morceaux du canon mancunien, comme sur What Difference Does It Make ?, par exemple. Dale Hibbert a été choisi par Marr et invité à rejoindre le groupe en 1982. On doit le considérer comme un membre à part entière, si tant est que, comme l’exprime le livre, il y ait eu d’autres membres du groupe que Morrissey et Marr. Arrêtez-moi si vous avez déjà entendu cette histoire avant…. C’est pour ça que vous devez lire ce Boy Interrupted. C’est probablement le voyage intérieur le plus sincère et le plus précis qui ait été fait des débuts du groupe. Comment était-ce de partager la vie du duo Morrissey/Marr en tant que membre de second rang et équipier de luxe ? Manchester de l’époque ? La grisaille, les répétitions en chambre, les premiers rêves.
Dans le livre de Dale Hibbert, l’histoire des Smiths démarre autour de la page 77. Dale est assis dans la chambre de Johnny Marr. Morrissey est là aussi, debout la plupart du temps et impatient. Ils l’observent, l’auscultent presque : goûts musicaux, fringues, allures, coupe de cheveux. Morrissey finit par jouer la cassette de I Want A Boy For My Birthday sur un magnéto. Ca roule. Cassette qui sera mise sur internet une éternité plus tard par Dave pour montrer qu’il y était à sa façon. Dale fait partie des Smiths. Johnny Marr l’accompagne chez le coiffeur. Coupe Smiths. Les vêtements. Reine du shopping et guide vers la mythologie du groupe, avant même qu’elle n’existe en tant que telle. Genre homo, pas de blabla ou de conversations amicales, pas de vraie amitié en dehors du duo dominant, le jeu, le jeu, la musique. Mais aussi le plaisir et l’excitation du premier âge. Dale emmène Morrissey aux répétitions en passant le prendre sur sa moto. C’est assez drôle d’imaginer qu’on pouvait à l’époque prendre Morrissey aussi simplement chez lui en moto. Dale sentait le souffle de Morrissey sur son cou. Les Smiths ont commencé par jouer The Hand that Rocks The Cradle et Suffer Little Children. Dale a vu les premiers pas en studio même si c’est au final Johnny Marr qui a joué la ligne de basse sur le second morceau. Dale est aussi de la partie le lundi 4 octobre 1982 pour ce qui est pour l’éternité leur premier premier concert. Mike Joyce vient d’intégrer le groupe. Maker danse comme un idiot. Et tout se passe bien. Le set est bref mais laisse beaucoup de souvenirs. Aucune photo. Aucune vidéo cependant. Rien de rien. L’histoire officielle commandée par le quatuor définitif effacera peu à peu l’instant des mémoires, jusqu’à en faire une sorte de faux concert. Révisionnisme presque, omission sans volonté de nuire. Et puis Novembre accouche d’un monstre sous forme d’une conversation avec Johnny Marr. Nous n’avons plus besoin de toi, dit Marr calmement. Je sais que tout est fini, dit Dale. (oh oui, c’est probablement naze de jouer ainsi avec les titres de chansons mais c’est drôle).
Dale souffre du syndrome d’Asperger. Il a de gros problèmes pour exprimer ou lire ses émotions et celles des autres. A l’époque, il se fout d’être viré des Smiths. Ils sont venus le chercher alors qu’il avait un autre groupe. Dale a connu ça par le passé et connais les règles. Il fait quelques mises au point. Oui, il sait jouer. Non, il n’était pas nul du tout, bien au contraire. Au sein du groupe, il est alors avec Marr, qui n’a que 18 ans, celui qui a le plus d’expérience. Peu importe. Et il s’en fout d’autant plus qu’il a réalisé alors qu’il préférait travailler en studio, derrière la console, que de tenir un instrument. Dale n’a pas envie d’être bassiste. C’est un ingénieur né. C’est ce qu’il aime : être seul la plupart du temps derrière la glace et bidouiller ses boutons qui n’ont pas d’émotions ni d’états d’âme à déchiffrer. Les Smiths s’éloignent de sa vie et puis les Smiths deviennent énormes, plus gros que gros, ce qui pour Dale ne change pas grand-chose. Vous pensez que si bien sûr ? Vous vous êtes déjà demandé ce qui est arrivé au gars qui a raté de 10 secondes le train du succès ? Le gars qui était dans Police/ les Rolling Stones/ les Beatles/ les Smiths la seconde juste AVANT que les choses se produisent ? Vous avez déjà pensé à ce que c’était que d’être ce gars là? Dale n’a aucun regret parce sa vie a été si riche jusqu’à aujourd’hui et pleine de… disons d’aventures (l’amour, les enfants, le business, lancer des boutiques pionnières spécialisées dans le café,…) et de mésaventures (des tentatives de suicide, des dépressions, divorces, des pertes,….) que Dale n’a pas eu trop le temps de penser à ce qu’auraient été les choses s’il n’avait pas été abandonné par le reste du groupe.
Ce livre vaut le coup parce qu’il est remarquablement écrit. Les 70 premières pages sont excellentes et décrivent la classe ouvrière et la classe moyenne de Manchester en ces années-là au moins aussi bien que ne l’a fait Morrissey dans son Autobiographie. La prose d’Hibbert ne prétend pas à la poésie mais l’homme est sincère et juste sur chaque mot et chaque phrase. La destinée de Dale rappelle ses kitchen drama dont Morrissey était un fanatique durant ses années de jeunesses. Elle est touchante, triste et à dominante tragique. Il y a bien sûr des tas de trucs qu’on apprend sur les Smiths qui ont leur importance : c’était comment ? Quels rôles jouaient les protagonistes dans les premiers temps ? Mais Boy, interrupted en apprend tout autant sur Dale, Manchester, la musique, la vie, le temps qui passe, l’amour, le souvenir et l’amitié. Dale Hibbert à lui tout seule est une histoire qui se suffit à elle-même et qui se poursuit….
Sans gâcher les effets du livre, il y a cette anecdote, bien après 1982-83, où Dale travaille à la sécurité de l’aéroport de Manchester. Et Morrissey (de Monsieur Morrissey) arrive dans la queue à l’approche de la table de contrôle et il lève les yeux. Il regarde Dale, le reconnaît très bien et puis au lieu de dire quelque chose, il fait semblant de ne pas le voir. La vie est une salope. Dale ne dit presque jamais de mal de ses anciens copains. C’est rare pour être souligné. Il souffre du syndrome d’Asperger et n’est pas très à l’aise avec les jugements de valeur. Il veut juste qu’on lui rende sa place dans l’histoire officielle. Il était là. Puis plus. C’est l’histoire de sa vie. Il faut que ça se sache.
It is a little treasure of a book, though it is mainly Smiths’ archeomania which drove us to its reading. Boy, interrupted is Dale Hibbert’s account of his wonderful tortuous life. Dale who? Dale Hibbert? You may already have gone through his name in a The Smiths biography if you have read a few ones: this one Dale is the guy who is mostly forgotten anywhere but who “is said to have played only one gig with the band before quitting or getting dismissed”. No, Dale Hibbert is no James Maker. James used to do some sexy dancing on the scene and he was there too. James was asked by Morrissey to help him not being the only point of attention when in front of the audience. Dale Hibbert was the bass player before there was Andy Rourke. He played the bass on a bunch of songs which are part of The Smiths canon and it is probable his initial bass schemes (before he was fired) are not far from the ones you can find on, for example, the iconic What Difference Does It Make?. Dale Hibbert was a real member of the band if you consider there are other members in the Smiths than Marr and Morrissey, which is not so sure when reading the book. Stop me if you’ve heard this one before… That’s why you should read Boy, interrupted which is probably the most sincere and precise account of what it used to be in The Smiths as a Morrissey/Marr secondary sidekick… for 6 months when they were only at the beginning.
We’ll see why later on but meeting with the Smiths starts round page 77 and we have now Dale sitting in Johnny Marr’s bedroom. Morrissey is there, standing and impatient. They scrutinize him : his musical tastes, his look, his clothes, etc. Morrissey is playing I Want A Boy For My Birthday on a tape recorder… then it is ok. Next we see Dale at the hairdresser’s. He needs The Smiths special haircut and clothes. Johnny Marr guides him toward The Smiths’ mythology just before it exists as a mythology. Gay code, no chitchat, no real friendship outside the core duo, just play and play. Pleasure and excitation though. Dale takes Morrissey to the rehearsals on the backseat of his motorbike. It is fun to imagine somebody picking Morrissey home so simply on a motorbike. Dale used to be this guy. He felt Morrissey’s breath under his neck. They start playing The Hand that Rocks The Cradle and Suffer Little Children. Dale is part of their first studio run though Johnny Marr is the one who finally play bass on one of the 2 songs they record. Dale is there on Monday October 4 1982 for their first gig ever. Mike Joyce has joined too. James is here dancing. And it is ok. Short set, big memories. The official history of the Smiths will scrap that date from the pre-quatuor era and turn it into a false first gig. Then November spawns a monster in a shape of a conversation with Marr. We don’t need you, he says, and Dale knows it’s over. (I know it is sh*te to play that way with song titles but it is quite fun)
Dale is suffering from Asperger syndrome. He has problems shaping, expressing, reading his and others’ emotions. So he doesn’t care that much getting fired by The Smiths. He used to play in other groups before and knows the rules. Within the band, he is the one, with Marr (only 18 at the time) who has already experienced group life. And he is all the more untouched than he doesn’t care that much about playing bass guitar. Dale is a technically gifted sound engineer. That’s what he likes: being mostly alone in the studio, not in the booth, behind the glass. So the Smiths are gone then the Smiths are god, which doesn’t change things that much except for us. Ever wonder what happened to the guy who missed the train of success? The guy who was in the Police/ The Rolling Stones/ The Beatles/ The Smiths/ Whatever fucking band it was just the second BEFORE it happens? Dale has no regret because his life was so rich and packed with… well… adventures (love, family, business, founding coffee bars) and mostly misadventures (mum dead at 8, scarification, failed suicide, divorces, loss) that he had no real time to wonder what it could have been like if he had not been let down by the Smiths. The book is amazing in itself because it is first remarkably written. The first 70 pages are excellent describing Mancunian working and lower-middle classes. It is almost as good as Morrissey ‘s Autobiography best pages. His prose doesn’t pose to poetry but it is honest and sincere on every sentence and every word. Dale’s destiny is like ones of those kitchen dramas Morrissey used to worship in his youth: it is touching, sad and mostly tragic. There are things here about the Smiths which are precious for fans: what was it like? What was the role of protagonists at the early stages of the band? But Boy, interrupted is also worth for all it says about Dale, Manchester, music, life, time passing, love, memory and friendship. Dale Hibbert’s is a wonderful story and it goes on…
Without spoiling the whole book, we got this other anecdote, long after it is 1982 or 1983, when Dale is working in security at Manchester Airport and there is Morrissey (the one and only) in the queue of passengers approaching the control table. Stares at Dale and probably recognizes him then acts as if he didn’t know him. Life is a pigsty. Dale never says bad things about his former bandmates. He suffers from Asperger afterall. But he really claims his part in the official history. He was there. Then he was not. That’s the story of his life. Let it be known.
Le site de l’éditeur du livre Pomona
Boy, Interrupted – Memoir of A Former Smith by Dale Hibbert (Pomona – 244 pages – 9,99 GBP)