Ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’un groupe, sur la foi de deux morceaux, est annoncé comme la grande découverte de l’année et la relève du rock d’hier et d’aujourd’hui. On ne saurait donc tenir rigueur aux Black Country, New Road, jeune groupe ami des eux-mêmes très hype Black Midi, couvés un temps par le producteur Dan Carey, et récupérés aussi vite que possible par le label Ninja Tune en vue d’accueillir ce premier essai, d’être attendus que le Messie.
Avec ses sept membres (sept, oui), les Black Country, New Road vont évidemment à l’encontre des équipes légères qui se forment un peu partout pour parvenir à vivre correctement des concerts. C’est évidemment l’un des points de singularité du groupe : une forte musicalité et une certaine puissance de feu qui repose sur la virtuosité à l’instrument d’un collectif qui choisit de placer à l’ouverture de son premier album, ce qui n’est ni plus ni moins qu’un IMMENSE morceau de klezmer revisité (la musique des juifs d’Europe de l’Est) en guise de présentation. La deuxième pièce, Athens, France, est d’un tout autre gabarit, même si étalonnée elle aussi au delà des cinq minutes, et nous familiarise avec la voix mi-crooner, mi-post punk du chanteur et leader de facto Isaac Wood. L’influence du math rock est très présente dans l’arrangement des séquences mais on pense aussi aux arabesques à guitare des excellents Polvo à l’écoute des premières minutes… en moins bien. Black Country, New Road crée une ambiance immédiatement prenante qui passe par l’intensité du chant et le caractère déconstruit des pièces, qui proposent des temps quasi noisy (à la Slint, autre des influences qu’on perçoit) et des aplats plus ambient et instrumentaux à la Arcade Fire. Athens, France est un bon titre mais qui laissera sûrement sur leur faim les amateurs de format pop. Science Fair explore le même registre dans une déclinaison qui mêle influences jazzy (free, très free) et kraut rock. L’ensemble dégage une belle puissance mais on s’interroge tout de même si tout ceci ne relève pas d’un leurre produit par le nombre et le fonctionnement en équipe. L’écoute est fascinante au premier abord mais ce type de musique, contrairement à d’autres, ne gagne pas forcément à être lue et relue quinze fois.
Au risque de se planter et de devoir faire amende honorable d’ici quelques temps (cela nous est arrivé parfois), on n’est pas certains qu’un titre de 9 minutes 50 tel que Sunglasses qui démarre comme un excellent morceau de Mogwai avant de sombrer dans le grand n’importe quoi puis de se réinventer en petite bombe noisy, soit autre chose qu’une façon un peu snob, maladroite et juste négligée d’envisager la musique. La production d’Andy Savours est plutôt habile pour gonfler ce qui doit l’être et camoufler les césures qu’on reçoit plutôt comme un manque de suite dans les idées.
On peut évidemment voir dans ces grandes plages exploratoires l’héritage des expérimentations menées jadis par Sonic Youth mais on peut aussi considérer que le meilleur des New Yorkais n’était pas dans ces longues séquences à rallonge et aux mélodies en tiroir. Cela n’enlève rien à la grâce de certaines plages telles que le single Track X mais on n’est pas du tout prêts à ce stade à crier au génie et à s’enflammer. Le final en huit minutes Opus nous en convainc, il y a du bon ici, de l’unique, du passionnant mais on en fera pas pour autant notre album de chevet. On accueille donc, au risque de jouer les rabat-joie ce premier essai avec un enthousiasme très modéré assorti tout de même d’une clause de revoyure.