Electric Electric / III
[Murailles Music / Kythibong]

7.6 Note de l'auteur
7.6

Electric Electric - III Par un étrange hasard, les Strasbourgeois d’Electric Electric en viennent avec leur troisième album à croiser symboliquement la route, migrante elle aussi, des Grecs de Gioumourtzina, dont on avait encensé l’album Blakk Metall il y a quelques mois. On ne sait pas à ce stade si les deux groupes ont quelque chose d’autre en commun que d’avoir pas mal voyagé et croisé le fer et les guitares, sur la route, avec un tas d’autres groupes. Leur évolution musicale (les Grecs viennent de l’électro, les Français du rock à guitares) les aura menés presque simultanément à des points assez semblables du spectre musical. Les uns (les Grecs) officient en duo, tandis que les Français sont trois. Eric Bentz, Vincent Redel et Vincent Robert ont fait, semble-t-il, de nombreuses rencontres pour aboutir, quatre ans après leur deuxième album, à ce III qui marque, pour leur son, une évolution fantastique. Groupe doué, bruyant et électrique, un peu electro math rock, Electric Electric fait ici sa grande mue sonique pour devenir une superbe tête chercheuse et un OVNI des musiques post-quelque chose.

III est une réussite remarquable, un mini-monument de puissance et de bizarrerie, un album traversé par des échos de musiques traditionnelles (Pointe Noire), des secousses électro pop (l’efficace Black Corée) et d’immenses mouvements de rock digressif (l’impeccable et transgenre Obs7 qui émarge à plus de dix minutes). Le résultat est tout bonnement passionnant, sombre et de plus en plus copieux à chaque écoute. Le travail sur les textures sonores est époustouflant, combinant des sons organiques (batteries, guitares) et des enregistrements électroniques (synthés, drones, etc), dans un mélange vibrant et globalement angoissant. La musique d’Electric Electric s’entend comme un essaim ardent qui fondrait sur vous et se mettrait à vibrer à vos oreilles pour les détruire. Le groupe joue de la dissonance, de la confusion provoquée par la cohabitation de sonorités indus, pop et ultra-rock pour dérégler nos sens. Une voix tenue à distance hante Black Corée tandis qu’un synthé monomaniaque éloigne une menace indus à trois doigts. Sur Klimov, Electric Electric la répétition affole le compteur Geiger. Bauhaus dialogue avec New Order, tandis que Keith Levene, revenu d’entre les PIL, se shoote dans l’ombre. La musique d’Electric Electric est maniaque, obsessionnelle. Elle incorpore les codes transgressifs des grands expérimentateurs que sont Pere Ubu ou Can, dans des structures pop sans queue ni tête. The River, l’un des meilleurs titres ici, sonne comme une chanson qui refuserait d’évoluer. Electric Electric met la rythmique en place avant de la faire hoqueter pendant deux minutes, de la ralentir et la dissoudre. Les titres des huit morceaux qui composent cet album renvoient à une réalité anxiogène et crépusculaire. Dassault tourne autour d’une sirène d’alerte. Les Bêtes est chanté en français. La voix est presque inaudible, couverte par le son de tam-tams cannibales. Ce n’est pas le meilleur morceau mais l’audace est là et l’envie d’aller de l’avant partout manifeste.

La musique d’Electric Electric est plus sauvage que glaçante. Elle vous tourne autour et vous enserre dans ses anneaux constrictor, jusqu’à ne plus vous laisser d’espace pour respirer. 17°00, qui referme l’album, est le titre le plus emblématique de la folie ambiante. La mélodie a disparu. L’arrière-plan est traversé parfois de distractions qui ne durent pas : une voix fantomatique, des éclats de guitares, tandis qu’un tourbillon électronique et rythmique écrase le premier plan. La boucle est terrible. Répétée, heurtée, inconfortable, interminable. La dernière minute permet de rebondir et de survivre à l’assaut. Il y a comme un air de folie satanique qui se déploie ici, un sabbat flippant et addictif. III sonne comme le récit d’une possession, d’un corps investi par l’esprit malin de la musique. L’album ressemble à ces films d’horreur vintage qui sortent ces temps-ci. L’image est impeccable et cela fout vraiment les jetons.

Tracklist
01. Obs 7
02. Pointe Noire
03. Black Corée
04. Klimov
05. The River
06. Dassault
07. Les Bêtes
08. 17°00
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