Les années n’ont aucune prise sur le Dinosaur Jr. « En ces temps perturbés », le groupe a l’allure d’une antique SICAV, un de ces produits alternatifs et aux cheveux longs, dans lesquels on peut placer TOUTES ses économies sans risquer de se les faire aspirer dans une foutue pyramide de Ponzi. Depuis leur retour en 2007, après dix ans d’interruption volontaire, les Américains ont enquillé cinq albums (en comptant celui-ci), soit désormais à peine moins que lors de leur précédent mandat (qui en comptait 7, sauf si on s’est trompés dans le décompte). A vrai dire, compter les albums et les chansons du Dinosaur Jr a à peu près autant d’intérêt que d’essayer de distinguer deux chansons de The Wedding Present. Ces types là font toujours strictement la même chose. On l’écrit à chaque fois mais Sweep Into Space ne fait pas exception : c’est juste une énième variation sur ce que le groupe fait depuis une éternité, ni vraiment meilleure, ni vraiment moins bonne, juste la même chose mais… différente et surtout sacrément émouvante, puissante et bien exécutée.
Le groupe s’est assagi. Le déchaînement ne fait plus vraiment partie de leur vocabulaire. Les guitares constituent le socle moteur du disque mais zèbrent le plus souvent l’arrière-plan d’une électricité qui se souvient de ses états d’hier. Il y a autour de cet album un étrange mécanisme de réminiscence électrique qui est à l’oeuvre. Sur l’entrée en matière Ain’t It, Mascis nous sert avec l’appui du roc Murph(y) une balade magnifique dans le plus pur style Dinosaur, servie par des choeurs féminins impeccables. Les paroles sont aussi géniales que minimalistes. Cela ne se joue pas là mais aussi là.
Occupy a space inside you
I can’t leave it alone
I can’t face you
It’s too late to
Truly take it alone
I ain’t gettin’ along
I ain’t gettin’ along
I ain’t gettin’ along
I ain’t gettin’ along
I won’t let ya
I can’t keep it goin’
On pourrait croire que les types font cela les doigts dans le nez. Et c’est peut-être le cas après tout mais chaque composition est un petit exploit après autant d’années. I Met The Stones ressemble à un morceau des Pixies d’avant, avec une guitare un peu hard qui s’agite et se souvient du milieu des années 80. L’album est partiellement produit par Kurt Vile et a été achevé en quarantaine par Mascis. On le rapporte parce qu’on l’a lu et qu’on nous l’a dit mais écrire une critique sur ce genre de disques n’est vraiment pas très utile. To Be Waiting est un classique instantané. L’album est assez pop et mélodique. Mascis touche parfois à une forme de graal sentimental dans la conjonction de son écriture romantique et d’un chant fracassé.
There’s a piece I left of me
Been such a long time
Me and you, when we could be
Seems like a long time to be waitin’
Said my love
Send my love
Il faut lire les textes… ou pas. I Ran Away… pour le coup, elle a été écrite au moins dix fois mais on ne s’en lasse pas. Le Dinosaur Jr touche à l’essentiel : rester ou s’en aller, revenir, cacher sa tête dans le sable, s’asseoir ou se lever. Etre seul ou à deux. Comme Lou Barlow n’est pas en reste (Garden est splendide et suffit à relancer le grand débat pour savoir lequel des deux frères ennemis est le plus doué – Barlow bien sûr mais il écrit contractuellement une chanson sur 5!), on obtient un résultat qui a une fausse allure de disque en pilotage automatique mais qui sonne surtout comme un petit miracle d’équilibre, d’intelligence et de poésie. Par rapport aux précédents disques, ça rugit pas mal aux entournures et avec un fond de sauce rock blues qui est sans doute à mettre au crédit (ou débit) de Kurt Vile. Ca s’entend notamment sur le rustique I Expect It Always qui fonctionne parfaitement dans le genre « scie électrique » à l’ancienne. Ce genre de morceaux fait partie de l’ADN du Dinosaur Jr. C’est aussi pour cela qu’on se présente : pour cette fausse absence de subtilité, qui ne déjoue jamais les pronostics, sauf peut-être sur le bizarroïde Take It Back, chanson mal fichue et pleine de surprises.
Bref, on parle beaucoup (trop) pour pas grand chose. Si vous aviez dû être convaincus par ce que font ces types, vous auriez déjà dû l’être. Personne ne parle jamais de « génie » pour désigner le trio. Sans doute est-ce parce que le génie, dans la tradition populaire, ne s’accompagne pas de la répétition, n’est pas le genre de gars qui reproduit le même. Il en faut un peu pour faire le boulot à ce niveau, pour ne pas se foutre sur la gueule et continuer à exister. Le Dinosaur Jr était taillé pour le sprint, avec de grosses cuisses et des muscles partout. Il court toujours aussi vite mais s’est imposé comme un coureur longue distance. Sans médailles. Sans titre. Juste pour voir.
Barlow signe sa chanson n°2 sur un You Wonder de toute beauté. Le patron lui a laissé le mot de la fin, une fois n’est pas coutume. Quel bonheur !