Après une éclipse de dix ans parsemée d’épreuves et de remises en question personnelles sur lesquelles on n’en saura pas beaucoup plus, le génial et précoce Jackson Scott qui avait été encensé avec son premier album Melbourne (2013) comme le futur Syd Barrett psyché pop, a sorti enfin un troisième album splendide, Everything Is Ephemereal, qui fonctionne comme une exploration personnelle. Limpide et cristallin, mais aussi tordu et habité par les mêmes échos spectraux qui traversaient ses premiers disques, ce nouveau disque est fascinant et parmi les disques les plus insolites et attachants de l’année. Ce disque dont quasi personne n’a causé et diffusé uniquement via Bandcamp, est sorti en catimini et méritait, pour ses qualités, qu’on se remette sur la piste de l’auteur pour échanger avec lui. Peu disert sur ses années perdues, Jackson Scott a (un peu) vieilli, pas mal changé et se fait le chantre de l’éphémère, du périssable, en même temps qu’il a retrouvé sa créativité. Sans doute plus sage, revenu dans sa ville natale, et laissant une large place au travail collaboratif avec ses amis, le génie solitaire entrevu il y a une dizaine d’années et qui s’exprimait toujours sur Sunshine Redux, son deuxième album en 2015, est loin d’avoir tout dit.
Ça fait plaisir de vous retrouver après toutes ces années. Comment ça va ?
Ça va bien. J’essaie juste de rester alerte, généreux et reconnaissant.
Votre deuxième album, Sunshine Redux, est sorti en 2015. On est en 2024. Qu’est-ce qui s’est passé pendant toutes ces années ?
J’ai sorti un disque qui s’appelle Psychometry, en 2016, qui était issue d’une collaboration avec des amis, sous le nom de Votaries. Et puis j’ai passé quelques années supplémentaires à écrire et à enregistrer de nouvelles chansons. Je me suis mis aussi à fabriquer des beats électroniques.. psychédéliques et j’ai sorti en 2019 un EP en solo. En fait, ça m’a pris du temps pour ressentir cette envie et l’inspiration pour produire à nouveau un album complet et long format. Le succès de Melbourne a été rapide et j’étais très jeune. J’ai été quelque peu dépassé par ça. C’était accablant. J’ai passé du temps à expérimenter avec de nouveaux sons, à vivre aussi, à découvrir des choses jusqu’au jour où je me suis senti prêt à nouveau pour sortir un nouveau disque.
Vous avez, dans une vidéo instragram, expliqué que vous aviez vécu « de nombreuses choses » pendant cette longue absence. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus. On ne veut pas se montrer trop indiscret bien sûr. Vous avez traversé des moments difficiles ? Avez-vous appris des choses sur la vie, l’amour, etc ?
Disons que je suis passé par l’addiction, quelques réalisations d’ordre spirituel et aussi par ce qu’on appelle une « near death experience ». On peut dire que tout ceci a eu un fort impact sur la personne que je suis devenue aujourd’hui. Le temps et les années filent sans qu’on s’en rende compte parfois.
A quoi ressemble votre vie aujourd’hui ? Où êtes-vous installé ?
Je vis en ce moment à Pittsburgh. C’est la ville où j’ai grandi.
Everything Is Ephemeral pourrait être le titre d’un manifeste existentialiste. Il y a plusieurs chansons qui vont dans ce sens. Les choses ne durent pas, apprécie l’instant présent. C’est votre philosophie ?
On ne va pas vivre éternellement. Chaque moment a vocation à se défiler et à être repoussé et remplacé par un autre. Et chaque jour que tu passes sur Terre est un cadeau.
Généralement les gens qui pensent ainsi le font parce qu’elles ne veulent pas se tourner vers demain ou parce qu’elles ont des choses trop lourdes à laisser derrière elles. C’est le cas pour vous ?
La condition humaine veut qu’on pense à toutes ces choses : le passé, et le futur. Parfois c’est bon, et parfois mauvais. Comme presque tout le monde, j’ai mes faiblesses et dois lutter pour préserver ma santé mentale. J’essaie juste de rester reconnaissant et de remercier le sort pour toutes les bonnes choses qui jalonnent mon existence.
Parlons du nouveau disque. Il est assez différent des deux premiers… mais tout de même assez semblable… Cet album est assez fantastique car il sonne plus clair, plus pro et un peu moins lo-fi. Comment est-ce que vous avez travaillé pour ce disque ? Vous avez dit dans une vidéo que cela vous avait pris deux ou trois ans. C’est bien ça ?
J’ai tout enregistré en digital au lieu d’utiliser des cassettes comme pour les deux premiers. J’ai fait les beats sur mon Akai MPC et sur Logic. J’utilise principalement un micro à condensateur pour les voix et des guitares. C’est un équipement plutôt léger. J’ai enregistré une partie des chansons à la maison et certaines autres pendant que je voyageais.
Est-ce que vous avez composé les chansons une à la fois ou est-ce que vous aviez un plan global, une intention générale pour le disque ? Comment est-ce que ça a pris corps ?
Je suis parti avec l’idée de composer un album qui combine les beats et des guitares psychédéliques. Je voulais une musique qui sonne nouvelle mais aussi qui reste familière. Finalement, j’ai quand même utilisé pas mal de morceaux que j’avais composés année après année. Ce sont ces morceaux que j’ai combinés et repris dans ce projet.
Nous, les journalistes, on aime bien les écoles et les références. Vous avez toujours votre propre style. Lofi indie psychédélique ? C’est un peu plus électro aussi. Vous appeleriez ça comment ?
Apocalypse Pop.
Votre énergie et ce mélange d’intensité et de fugacité donnent sa cohérence au disque. Le thème général est justement cette idée que tout s’efface, que les choses ne peuvent pas durer. C’est la thématique qui est très présente sur la seconde moitié du disque : Nothing Like Today, la chanson titre, Mirages. C’est assez bizarre d’être obsédé par ça… si jeune…
Carpe Diem.
Il y a un petit côté sacré dans votre musique, comme si vous visiez une nouvelle espérance, un nouvel ordre du cosmos. C’est onirique et généreux. Votre disque a une âme. Vous êtes religieux ? Est-ce que vous pensez que votre musique peut aider les gens à voir plus au-delà de leur propre vie, au delà de ce qui est devant eux. Au delà du monde réel… La chanson titre est abstraite, comme si on s’évaporait dans le ciel…
Je n’en sais rien. Rien du tout. Mais je pense et je sens, j’ai l’impression qu’il y a une énergie qui existe au delà de l’existence matérielle. La musique m’aide à ça, à me dégager de moi-même.
On doit dire deux mots de Preaching To The Choir qui est un titre incroyable. Où est-ce que vous avez rencontré Megan Braaten ?
J’ai fait la connaissance de Megan quand on vivait tous les deux in Asheville (Caroline du Nord). C’est une artiste remarquable. J’ai composé ce beat qui m’a été inspiré par Massive Attack et je l’ai saisi dans une boucle. Et puis elle a improvisé des paroles par dessus pendant peut-être dix minutes. Après ça, je suis revenu et j’ai ajouté des guitares et remixé l’ensemble et voilà.
Les gens changent pas mal en huit ou neuf ans. Nos goûts musicaux changent. Est-ce que vos influences musicales ont évolué entre le deuxième disque et celui-ci. Vous écoutez quoi ?
J’aime vraiment tout, tous les genres et particulièrement les morceaux qui peuvent se prévaloir d’une bonne mélodie.
Vous avez des plans pour le disque ? Une sortie physique ? Un label à vos côtés ? C’était un choix d’y aller en freelance ou est-ce que vous cherchez quelqu’un pour vous signer ?
J’aimerais bien trouver quelqu’un ou un label qui puisse sortir le disque en physique, oui, mais pour le moment, je suis concentré sur l’idée de sortir ma musique de manière indépendante et le mode digital ne m’embête pas plus que ça.
Vous allez tourner ? Aux États-Unis ? En Europe ? Est-ce que vous avez un groupe autour de vous ?
L’année prochaine, oui. C’est possible.
J’imagine que vous avez quelques chansons de côté après ces dix ans d’éclipse. Est-ce qu’il est encore trop tôt pour évoquer la suite. Vous avez dit qu’il ne faudrait pas attendre dix ans cette fois… ça veut dire que vous avez quelque chose en tête… C’est un peu con de poser déjà cette question alors que vous venez enfin de sortir un disque après dix ans. Désolé !
Je suis en train d’enregistrer un nouvel album. Juste là, en ce moment. Et je suis très content de ça. Et je pense que je vais sortir une compilation de morceaux inédits, à un moment donné.
Je vais vous laisser maintenant. Est-ce que vous avez des choses à nous conseiller : un disque, des livres, un film ?
Les Pensées pour moi-même de Marc Aurèle. Et vous pouvez écouter la musique de mon ami Luci. J’ai produit quelques unes de ses chansons et c’est une artiste incroyable. Ecoutez UK Lollipop, vous m’en direz des nouvelles.
Everything Is Ephemeral is Jackson Scott’s third solo LP and it is fantastic. Out a few weeks ago, this LP comes after an almost-ten-year gap with Sunshine Redux (2015) and a long period through which the American singer experienced a few personal trials we wont explore and explain extensively. With his first LP, Melbourne, in 2013, Jackson Scott had met a phenomenal success and been described as the new psyche-pop Syd Barrett. Everything Is Ephemereal is as universal as it is intimate, narrating the personal voyage is experienced through love, loss and light. New songs are clear and vivid but also haunted by the same spectral echoes and figures we used to cherish on his previous records. This new LP is fascinating, emotional and strangely appealing. Jackson Scott shows how much he has aged and changed at the same time, how careful he is about the present time and the wonderful charms of the (always fading) moment/instant. It is of course pitiful almost anyone has said anything about this new LP. We can find it on bandcamp. Jackson’s world is highly moving but also thrilling to the sound and sight of beauty. The young artist seems, more than before, surrounded by friends who sing and play for and with him. He is not anylonger alone with his art and genius. He’s got us with him and a legion of people who dont know much more than ten years ago and dont give a f***. It is simply great to have him back. As good as it gets.
It is so good to talk to you after all these years. How are you doing ?
Doing good. Just trying to stay grateful.
Sunshine Redux was out in 2015. We are in 2024 ! Well, why was it so long to complete your 3rd LP ?
I released an album called Psychometry in 2016 where I collaborated with some friends under the name Votaries. Then I spent a few years just writing and recording new songs and also got into making psychedelic electronic beats. I released a solo EP in 2019. But it took a while for me to feel inspired to make another full length solo album. The quick success of Melbourne happened when I was very young and it was honestly pretty overwhelming. There was a lot of experimenting with new sounds and experiencing life until I actually felt ready to release something.
You’ve said in a video you had experienced a lot, lived a lot during this period. Can you tell us a little more ? I dont want to intrude or get too intimate. Did you have hard times ? Did you learn things, love, etc ?
Addiction, spiritual realizations, and a near death experience all had a deep impact on me during this time.
What’s your life today ? Where do you live ?
Currently living in Pittsburgh which is where I grew up.
Everything is Ephemeral could be the title of an existentialist manifesto. There are a few songs about this idea : things dont last, enjoy the moment, live the present time. Is that your philosophy ?
We are not going to live forever. Every moment is fleeting and is quickly replaced by another. And every day you have on this Earth is a gift.
Generally people think that way because they dont want to consider the future too much or because they want to leave bad things behind. Is that the case for you ?
It’s part of the human condition to think about the past and the future. Sometimes it’s good and sometimes it’s bad. I definitely have my struggles with mental health like anyone else does. I’ve just been trying to stay grateful for all the good things in my life.
Let’s talk about the LP. It is quite different from your 2 first LPs but… very similar in a way. The LP is fantastic. Sound is maybe clearer, less lo-fi, more professional maybe (for what it means). How did you work on this LP ? You’ve said in a video it took something like 2 or 3 years. Can you tell us about the process ?
I recorded it all digitally instead of using tape machines like the first two. I made some of the beats on my Akai MPC and some in Logic. I mainly just use a single condenser mic for vocals and guitars so its very transportable. Some of the songs I recorded at home and some I recorded while traveling.
Did you record and compose song after song or did you have a general intention for the LP ? How did it come together ?
I started thinking about making an album that would combine the beats with psychedelic guitars. Wanted to make something that sounded new but also familiar. Ultimately, I ended up using a lot of different tracks that I had worked on over the course of a few years and combined them all into the project.
We journalist like to talk about « schools », « references ». You still have your own style really. Psychedelical lofi indie school ? There’s maybe more electronic here ? What would you say ?
Apocalypse Pop.
What keeps the LP together is your general energy and this feeling of intensity and ephemeral. The general topic of things fading away, things which dont last is all along the 2nd part of the LP : Nothing Like Today, title track, Mirages. It is strange to have this feeling… so young, i mean.
Carpe Diem.
There is always some kind of sacred thing in your music, as if you were aiming towards a new hope, a new world, it is dreamy and somehow hopeful. I would say « soulful ». Are you religious of some sort ? Do you think music, your music can allow you and people who listen to you to go beyond things, beyond the real world…. Everything is Ephemeral the track is a bit abstract, like we vaporized in the sky…
I don’t know anything really. But it seems like there is energy that is beyond this material existence. Music helps me step outside of myself.
We must talk about Preaching to The Choir which is amazing. Where did you meet Megan Braaten ?
I met Megan when we were both living in Asheville. She’s an amazing artist. I made that beat inspired by Massive Attack and just put it on a loop, and she improvised the vocals over about 10 minutes. Then I went back and added more guitars and remixed it a bit.
People change in 8 or 9 years. Musical tastes change. Have your musical influences broadened or changed between album number 2 and this one ? What do you listen to by the way ?
I like virtually every genre and especially anything that has a good melody.
What’s the plan for the LP ? Physical release in sight ? Any label to help you ? Have you gone deliberately free-lance or are you looking for someboy to sign you ?
Hopefully some day I will figure out a physical release for the album but for the moment I am just focused on independently releasing my music digitally.
Will you plan some touring ? in the States. In Europe. Are you open to it ? Have you got a band behind you ?
Possibly next year.
I guess you must have a few spare songs from this past decade. Is it too soon to talk about the next step. You’ve said in a video we wont have to wait for ten years this time… do you have something in mind ? I ask the question though I DO hate people asking you when the next LP will come four weeks after you’ve just released one !!! Sorry.
Recording another album right now that I feel good about. More acoustic guitar based. And I think I will do a compilation of unreleased songs at some point.
I may stop here ! It is already too long. Have you got a few things you’d recommend us : music, books, movie. A wish for the end of the year ?
Meditations by Marcus Aurelius. And listen to the music of my dear friend LUCI. I have produced some of her songs and she is incredbile. Check out the song UK Lollipop.
Photos : avec l’aimable autorisation de Jackson Scott.