Everything But The Girl / Fuse
[Buzzin Fly Records / Virgin Music]

8.2 Note de l'auteur
8.2

Everything But The Girl - FusePresque un quart de siècle : c’est ce qu’il aura fallu attendre pour découvrir Fuse, le 11ème album des Everything But The Girl. Autant dire que Tracey Thorn et Ben Watts ont vécu entre les deux et ne sont plus tout à fait les mêmes personnes et les mêmes musiciens que ceux qui avaient accouché en 1999 de leur dernier disque, Temperamental, qu’on aura pas réécouté depuis mais dont on se souvient encore de la tonalité assez pessimiste. Le couple a élevé ses gamins (3) et a pris le temps de travailler séparément : Ben Watts a monté un label dance Buzzin Fly Records et produit quelques disques; Tracey Thorn a écrit ses mémoires et signé trois ou quatre albums solo. Mais les deux n’avaient pas vraiment retravaillé ensemble. C’est la joyeuse période du confinement qui, presque par la force des choses, les aura ramenés à composer de la musique tous les deux, presque pour survivre (Watts souffre d’une maladie auto-immune qui a amplifié sa mise à l’isolement), mais tout autant pour se divertir et occuper le temps.

Le résultat est d’une élégance et d’une beauté à toute épreuve, mêlant une electronica bienveillante, gentiment dansante, et une soul intimiste chaleureuse et aux vertus consolatrices évidentes. Fuse est un disque de son temps, inquiet et marqué par le désordre ambient, la maladie, la mort et l’agitation du monde (When You Mess Up). Comme d’autres, les Everything But The Girl répondent au tumulte par un retour aux « vraies valeurs », le lien à l’autre, le regard amoureux, le confort du foyer ou encore le souvenir des jours anciens. Les sonorités sont très club, dansantes et volontairement contemporaines mais aussi downtempo et vaporeuses. L’ouverture Nothing Left To Lose repose sur une rythmique dubstep remarquable et donne le sentiment d’une dernière danse au bord du principe.

Kiss me while the world decaysKiss me while the music playsKiss me while the world decaysKiss me while the music plays

Thorn ne surjouera par la suite pas forcément cette ambiance crépusculaire et d’anticipation. No One Knows We’re Dancing regarde dans le rétroviseur la manière dont on dansait au début du siècle. Forever ressuscite presque la techno baléare des années 80-90, sans qu’on sache s’il s’agit vraiment de danser à nouveau ou plutôt de se souvenir des temps passés. Il y a une tristesse qui se dégage des morceaux, comme si le temps s’échappait et déposait une brume et une distance entre le réel et le groupe. Lost est magnifique, splendide chanson sur le dépouillement, la dépossession et peut-être la mémoire qui s’efface. Thorn y fait référence à la mort de sa propre mère et signe l’un de ses textes les plus justes et économes. Le climat est cotonneux, cafardeux et presque trip-hop dans l’âme et la manière de mêler une sensibilité northern soul à un accompagnement électronique pointilliste. Cela n’empêche pas le groupe de signer quels morceaux plus rentre-dedans à l’image de la seconde partie d’un Caution To The Wind, qui, à l’échelle des discrets EBTG, agit comme un mini-banger, ou du disco-pop Time And Time Again.

La tonalité est plutôt intimiste cependant avec, par exemple, un Interior Space qui porte bien son nom et ouvre un espace infini (« dark ») à l’intérieur d’une conscience confrontée à l’étrangeté de son monde domestique. Thorn semble chanter sur la ménopause et les changements que l’âge entraîne en elle, sur les mystères de l’esprit, du raisonnement. Fuse évoque partout le sentiment étrange de se tenir face à un monde qui s’efface et qu’on ne comprend plus tout à fait. Les textes donnent le sentiment que la semi-retraite du groupe les a amenés à ne plus se sentir en phase avec grand chose, même si la musique dit le contraire. Le final, Karaoke, confine à l’abstraction et interroge globalement le pourquoi du comment. Faut-il continuer à chanter et à faire de la musique ? Et pourquoi le fait-on ?

Do you sing to heal the broken hearted
Faces to the wall?
Or do you sing to get the party started
Or not at all?
Do you sing to heal the broken hearted
Faces to the wall?
Or do you sing to get the party started?

L’ambiance du morceau est à l’opposé de ce qu’on attendrait d’une ambiance karaoké. Les chanteurs entonnent du Dylan… et du Elvis, ce qui n’est pas si commun, si bien qu’on y croit pas du tout. Il y a dans cette « dernière scène » de Watts et Thorn assistant presque absents à une soirée… retrouvée…mais presque désincarnée, toute la beauté contenue du groupe. Fuse sonne partout comme un disque qui aurait pu ne jamais exister, un disque dont ses auteurs même interrogent la nécessité et le sens. C’est sur cette incertitude fondatrice que le disque gagne ses galons de beauté modeste et de grâce éternelle.

Tracklist
01. Nothing Left To Lose
02. Run A Red Light
03. Caution To The Wind
04. When You Mess Up
05. Time And Time Again
06. No One Knows We’re Dancing
07. Lost
08. Forever
09. Interior Space
10. Karaoke
Écouter Everything But The Girl - Fuse

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