On est récemment sorti de la séance d’Avatar 2 hébété, avec l’envie de redécouvrir notre nature sous ce même œil éveillé. Lacer autour du cou le Talisman de Fakear, caennais fêtant sa première décennie musicale, est une manière de prolonger cette sensation. Théo Le Vigoureux avait marqué ses débuts avec l’expansion nouvelle de la chill out music, genre ayant rafraîchi la house européenne au début des années 2010 en replaçant les sonorités acoustiques (notamment le saxophone chaud bouillant) et la nature au cœur de celle-ci. À l’époque, la house et l’EDM s’enlisaient dans un réchauffement synthétique barbare, et c’est aux côtés de jeunes artistes comme Dimmi, Bakermat et Klingande que Fakear (se) lançait, concomitamment et inconsciemment, un nouveau mouvement électronique.
Nature en pâmoison
À l’écoute de ce cinquième album, c’est toujours cette nature en fleurs qui éclot à nous. Écouter Altar revient à assister à une course de notes sur des troncs, vers la canopée, pour les voir exploser en feuillages. C’est aussi se voir délivrer au creux de l’oreille un message nous enjoignant à l’émerveillement, par une nature qu’on croirait filmée par Ushuaïa. En soi, un message écolo refusant tout défaitisme et ségrégation, sans intimidante parole ni injonction moralisatrice. Même la risquée car décevante Odyssea, avec sa pseudo-fable lyrique de collégienne (piste qui avait tellement plus à nous dire sans) ne ruine aucunement cette qualité de l’album : celle d’inviter le monde à contempler son toit. Olele, avec son motif de voix d’enfant, nous accueille dans une jungle joviale et maternante. Les sonorités panthéistes de Fakear évoquent aussi bien les tableaux de forêt indienne du Livre de la Jungle que les steppes asiatiques de Mulan. L’album se veut comme un itinéraire de quatorze pistes dont on sauterait de point en point avec des bottes de sept lieux. Une voix souffle quelques mots mystérieux, et des nénuphars apparaissent : cette musique réactive quelque chose de l’enfance.
À la grotte de l’Alma, on fait une halte à l’ombre et on s’abreuve de cette source mélangeant un soupçon de trip hop et une pointe d’acid provenant probablement de la proximité passée avec Alex Metric. Voyager et sa ligne de drum’n’bass confirment l’influence britannique grandissante (mais parcellée) sur la musique de Fakear. Avec l’excellente Mashai et ses espèces de mezoued (des cornemuses maghrébines), nous voilà sur le flanc des dunes du Sahara à la recherche d’une rose des sables. Le climat oriental a toujours étrangement fasciné l’électro français, et ici, il se voit mieux et plus simplement approché que Zimmer et son récent Habibi. La bucolique Altar est généreuse, pleine d’emballement, et nous promettons à l’arbre Mana de planter quelques belles graînes dans un tout aussi beau ventre.
Le fakir dans le tapis
Évidemment, nous ne sommes pas face à la musique la plus sophistiquée du monde, et certains ne trouveront pas utilité à s’y attarder. Mais ici, on est là pour réchauffer les corps et les âmes. Avec ses chœurs, Aura organise une rencontre (pas si) improbable entre Deep Forest et le Kenji Kawai de Ghost In The Shell. L’usage des voix et leur déformation en onomatopées peuvent paraître redondant, étant donné qu’il s’agisse d’un tropisme du genre et d’une signature particulière de l’artiste, mais Fakear replace à sa juste place la voix humaine à hauteur animale, la changeant en cri musical. Avec OOGO, fidèle tenancier de Nowadays Records, c’est à la piano house que s’essaye Fakear. C’est à une fête de la matière qu’on nous convie, et les lucioles dansent en montrant le chemin à parcourir jusqu’à celle-ci. Fakear laisse suffisamment de place à ses invités pour marquer leur territoire, sans jamais s’effacer. Le temps d’un plongeon épousant la cascade, Thylacine sort son sax et fait onduler les fougères, sans vulgarité, atteignant une juste harmonie. Not Only Flowers pourrait venir d’Eli & Fur si celles-ci s’étaient mises au vert. Bref, tout cela nous rappelle nos meilleurs moments à écouter des petits labels comme Crosswalk ou The Bearded Man, avec le meilleur de ce genre européen émanant d’une jeunesse sensible à notre bille bleue – tels Moi Je, Mozambo, Ofenbach dans l’Hexagone ou encore Para For Cuva, Bonobo et Nora en Pure un peu plus loin – et suffisamment intelligente pour retenir en musique son éco-anxiété.
Beaucoup d’albums de ces jeunes artistes d’électronique dance ont trop souvent ressemblé à des compilations ou des EP étendus ; ce n’est pas le cas ici. Même s’il s’agît de morceaux souvent guillerets et optimistes, Talisman trouve au sein de cet étau voulu une véritable diversité de paysages, tout autant qu’une belle unité dans sa simplicité. À la fois si proche et si loin d’un ambiant en pleine sur-inflation depuis quinze ans, se calfeutrer dans cette cavité dansante est chose intelligente, surtout avec un électro à la fois si généreux, luminescent et de belle tenue. On ne se fait aucun doute, Fakear débroussaillera – à oreilles nues – encore de nouveaux territoires musicaux avec le temps.