Les prévisions météo sont arrivées. Afin de venger l’année passée en prison, la météo a prévu un anticyclone sur la totalité de l’hexagone. Pour combler le déficit de fête, l’été doublera sa dose en rayons UV : Grand Soleil sur la France et ses péniches!
J’peux pas, j’ai soleil
Les frères Pach et Drich ont pas mal bourlingué de la météore hip hop à la planète techno, avant d’en venir à créer leur duo au nom de cet astre qui nous réchauffe tant, nous rend euphorique quand il se montre, et permet tout simplement … notre existence possible, ne l’oublions pas.
Le duo a sorti quelques EP et remix par-ci par-là depuis 2014, influencés par la musique qui les a vu grandir, et la « pop pop pop culture » des manettes et écrans télé. Ils ont également participé à la bande-son du bouleversant documentaire Swagger sur la jeunesse en banlieue, peut-être l’un des meilleurs sur ce sujet épineux jamais vu depuis une belle dizaine d’années. Il n’en fallait pas moins pour passer à la vitesse année-lumière avec l’album Human Error.
Dès le début de l’album, on se sent aspirer doucement dans un univers spatial flottant. On ne sait absolument pas où l’on va, mais on se laisse voltiger en confiance, avec dans le cadran des repères connus permettant toute connexion à la Terre : nous voici dans une odyssée soap, de celle dans laquelle on aimait se projeter en lisant Metal Hurlant, ou en regardant Ulysse 31. Réalité vous invite à embarquer dans une navette où vous oscillerez tout au long entre frousse et extase. Viennent ensuite avec Transmission des sons dub très ronds et cartoonesques, collant assez bien aux formes oblongues d’Ugo Deseigne, réalisateur et dessinateur en chef des clips. Cette saga a ses aventures et périls, mais dans lesquelles on saute sans hésiter, prêt à un voyage stellaire empli de défis et d’amitiés… On y interrogera le caractère pondérable de la réalité, tant celle-ci ne semble plus l’être, un peu comme dans un roman de Philip K. Dick, mais aussi la durabilité d’un cosmos fragile. Les dangers sont là, les vertus éducatives aussi, alors on s’engouffre avec entrain dans ses disques-mondes.
Étoile, gard à toi !
Là où les frères Sahuc se démarquent de leurs compères, c’est que leur musique détonne de celle des artisans de la french touch contemporaine embourgeoisée, absorbée par le son de leurs aînés. Ici, on navigue évidemment avec les citations de leur âge dans le viseur, mais à vue libre. Ils ne peuvent (comme dans beaucoup de premiers morceaux de la scène rap, d’ailleurs) s’empêcher les clins d’œil à Matrix et aux Guerriers de la nuit (The Warriors), mais aussi à Jacques Chirac (dissertant sur la différence entre free et rave party) via des inserts. Quelques facilités de confort. Mais par rapport à leurs premières productions, où ils ne pouvaient s’empêcher de poser des bruitages issues de l’ère 32-bits (Sonic, etc.), ils ont baisser les potards. Subsiste heureusement ceux de leur ciel astral, fait de bidouillages et de bécanes bipant. Comme nous l’évoquions très justement dans notre précédent article, c’est une french touch au son spatial, pas forcément discoïtale, mais qui garde des racines terrestres fortes. Les gars de Grand Soleil connaissent leurs références. Car deux robots bien français veillent sur leur progéniture, tout en haut de la porte des étoiles.
Le disque ressemble à un jeu vidéo, où le joueur passerait d’un réel à l’autre en fonction des mondes visités (la joie, le stress, la peur, la somnolence). Interlude montre que les deux frères ont tâté de la gachette. À l’univers tout en rondeur, s’oppose, avec Human Error, morceau beaucoup plus clubbing, un univers beaucoup plus angoissant, fait de bruits d’alarme et de balles qui font Pong. Le rythme de croisière s’accélère. Typiquement le genre de moment pendant lequel le capitaine aux manettes de son vaisseau suerait une larme de transpiration face à une ceinture d’astéroïdes à éviter. Les hyper-joueurs comprendront. Par ailleurs, on soulignera la qualité de tous les remix de Human Error et Sables Mouvants, qu’il s’agisse de la pluie à l’acide de Fakear ou l’onirisme gazeux de Nhyx, ou même de l’interprétation un peu The Prodigy par Trifouille1er. Sables Mouvants porte merveilleusement bien son nom, ondulant comme il faut, alors qu’avec Violence, un message subliminal semble lancé. On entend l’extrait très sollicité de Cyrus du film de Walter Hill clamant à la foule « I say the future is ours!« . OK : on essaie de tendre les antennes. Des affrontements entre gangs arrivent ? Est-ce un morceau fait en réaction au mouvement BLM, un peu plus intelligent que les salamalecs qu’une caste électro a eu la honte de faire en plein set, en levant les mains en mode « pump et l’up » ? Ce soulèvement est un progrès ou un regrès ? On en vient à se demander si les deux frères ne seraient pas en train de tenter, d’une certaine manière, de fabriquer leur Stress à eux (morceau de Justice qui avait été accompagné d’une bourrasque sulfureuse), leur Viol (Gesaffelstein) à eux. Nous n’en sauront pas plus, mais c’est osé en diable. Grand Soleil nous a fait tomber dans un trou noir, il est temps de remonter à la lumière.
Gig Bang
Car oui, nous, on est là aussi pour se bronzer la pilule : Absolute et Paradis 303 nous ramènent sur Venice Beach, ou au bord d’un spring break près d’un lac martien, à votre convenance. Le premier sonne délicieusement comme un titre inédit de Pryda des années 2000, comme Eric Prydz en sortait en trombe. Quant au second, il pourrait presque contredire ce que nous disions de leur rapport à la french touch. On croirait entendre un titre nu disco d’Alan Braxe ou de Fred Falke. Rien de nouveau sous le soleil à première vue. À ceci près que les frères accélèrent le rythme pour y rajouter un vent d’acid grésillant, très Daft Punk période Homework. Les frères Sahuc rendent un bon devoir. Les deux humanoïdes peuvent être fiers de leur bébé étoile : car si Grand Soleil a une musique qui rayonne dans tous les sens, l’album est un puzzle de références, et les deux machines sont ici maîtres du vaisseau… quitte à les éclipser trop souvent. Leur influence parsème une tripotée de titres de l’album (de même que des titres antérieurs à l’album, comme Boulé, référence au label Roulé), d’Alma à What Are My Dreams, petite balade planante aux sonorités lo-fi et étouffées, avec en prime un petit message bio. Les influences daftpunkiennes apparaissent comme une étoile morte s’affaissant sur elle-même, mais dont la lumière brillerait encore à nous.
On aime aussi l’excursion tribale en voie sablée de Round Round Round, avec ses chœurs immémoriaux. Le morceau ressemble beaucoup à Walking With Elephants de Ten Walls, ou à un titre contemplatif d’Eelke Kleijn ou de Nora en Pure, ces morceaux qui amorçait la tropical house, contreproposition à ce que la musique EDM allait devenir. Nous aimerions alors que les deux frères se découplent de ses références récentes, cette fois-ci, plus proches temporellement pour se réapproprier – pourquoi pas ? – le projet Africanism All-Stars, couloir déserté d’une tribal house s’offrant à eux. Ce projet de Bob Sinclar et DJ Yellow, faisait rencontrer la fine fleur de l’électro européen (DJ Gregory, Matt Samo, etc.) avec des musiciens du berceau de l’humanité. À une époque fracturée, rien de mieux qu’une musique mosaïque et bariolée pour fédérer.
Au final, c’est un peu comme si la Terre, cette poussière d’étoile bleue, concentrait toute une galaxie en son sein. Grand Soleil file comme n’importe quelle naine jaune dont il se réclame. Petit à petit, le duo produit son propre magma, même si cette matière reste encore ligaturée à ses influences. Qu’il s’agisse de morceaux club, mélodiques ou minimalistes : Human Error tape déjà fort, en irradiant de toute sa surface. Une fois détachés de leur rampe de lancement, ils pourront amplement se concentrer sur eux-même pour mieux s’étendre : allier une rythmique technologique extrasolaire dansante à des sonorités terrestres chatoyantes. Dès lors, ils rayonneront pour devenir – qui sait ? – la supernova dans laquelle on souhaite être absorbés.