Comme de nombreux animaux, le fêtard est une race en voie de disparition. Les statistiques sur l’industrie nocturne vous le diront : la fête n’est plus une valeur sûre. Elle est devenue un rituel sous-côté du phénomène vivant, à l’époque d’un digital roi manquant de tactile, et cela d’autant plus quand des gouvernements la mettent sous cloche, sans complexe ni remontrance du public, lorsqu’un microbe se pointe. Amour semble un cri de ralliement du jeune Zimmer. Son second album doit s’entendre comme un acte de foi pour relancer l’aventure humaine, tout comme une manière de prendre note de la possibilité d’un repli.
Amour flou
Dès l’introduction, nous comprenons. L’incroyable Dani a déjà ce parfum de fin, la saveur contrariée du dénouement : celle des vacances et des romances, inévitable. Les notes tintinnabulent comme de la dentelle, et ces harmonies, dont on peine à percevoir les contours, ne font qu’évoquer les souvenirs d’une époque où l’electronica et l’eurodance de Tonka (on pensera plusieurs fois à lui au cours de ce disque) se faisaient souverainement entendre sur les plages d’Espagne et de la Riviera. Il y avait chez l’allemand une joie n’oubliant jamais la fragililité des instants, comme si ces-derniers étaient le résultat d’un heureux mal-entendu. La voix androgyne de The Undercover Dreams Lovers y est pour quelque chose : il y a comme cette impression que cette effervescente ne peut, elle également, être indéfiniment mise en boucle. Un jour, quelqu’un sonnera la fin de la récré, oui. C’est, dans une plus faible mesure, une sensibilité partagée par le récent Oasis de Darius tout comme d’autres camarades, nouvelle vague électronique arrivés au début des années 2010 et déjà atteinte d’un vague-à-l’âme on-ne-peut-plus légitime envers l’ère du temps. Un autre trait de cette génération de trentenaires, sorte de french touch next gen, c’est cet art de l’effacement, ce refus de la starification dont la musique ressort gagnante : spleenitique donc, anormalement timide pour le milieu et son époque, et dont la personnalité corsetée par la pudeur s’étale, une fois libérée en musique, comme des pétales de rêves dans un paréo.
Alors que les débuts étaient naïvement colorés des grandes espérances et que l’album éponyme (Zimmer, 2019) manquait, lui, d’un zeste d’incarnation, Amour trouve un corps et sa densité. Cette douce mélancolie ne date pas d’hier dans la french touch. Le duo Together ou quelqu’un comme Alan Braxe en étaient traversés, et cela dès le début des années 2000, lorsqu’il s’agissait de pleurer (inconsciemment) la disco(-thèque) d’antan. Les références sont d’ailleurs peu ou prou exactement les mêmes que leurs aînés, si ce n’est un peu plus larges, exotiques ou pointues, ainsi que l’héritage qui a suivi. Peu de chance d’entendre un morceau comme Vahiné à cette époque, sorte de new wave franchouillarde au phrasé gracile et vieux jeu, de chanteurs tombés aux oubliettes, pouvant rappeler par moments la Manureva d’Alain Chamfort. Nous sommes bien là, autour de l’eau, mais un peu en marge de la java, dans le calme du bleu de l’aube, bien loin des artistes du victorieux label Hed Kandi, à l’heure où les regards deviennent un encouragement tacite à l’état de nature.
Qu’il s’agisse du Maghreb (Habibi) ou du Brésil (avec Na Praia), Zimmer prend à contrepied des influences souvent essorées par la musique électronique pour mieux l’incorporer dans un écrin french touch 3.0 qui lui faisait défaut. La langueur esthétisante du titre en portugais invoque sans trop l’invoquer une imagerie rodée par les anglais et suédois tout en se délestant de cette joie impérieuse. Le prometteur trouple PPJ (Páula, Povoa & Jerge), groupe à la fois si proche et si loin de Zimmer, prête voix forte, et cela s’entend comme une évidence. Na Praia est une sorte de versant nocturne à un Pasilda d’Afro Medusa, par exemple. On en dira tout autant du Habibi, bise de siroco gelé dont on préférera la chromatique râpeux au rideau de vents arabiques peu inspiré. Reste que cet album, contrairement au Oasis de Darius dont il partage pourtant les mêmes intuitions, réussit à explorer suffisamment de teintes d’un même genre, d’une même gamme, qu’elles soient festives ou solitaires, populaires ou pointues, marines ou pâles, conférant à l’album une bonne unicité dans la diversité.
… Gloire et beauté
L’album fait la part belle aux ondulations aquatiques : on déambule sur Lac en apesanteur, la tristesse des fins de soirées sur les épaules, et l’on se rend compte, oui, que la fête n’est qu’un couple de parenthèses, une goutte d’anormalité dans un océan de normalité. Elle est cette musique que les jeunes urbains se piquant de raffinement (ce qui leur arrive d’être) aiment à mettre, quand ils se retrouvent autour de quelques bières et de cacahuètes, murés dans le silence, pour empêcher la nuit d’arrimer ces inutiles et effrayantes pensées existentielles. À l’opposé d’Annecy, on atterrit en hydravion à Silverlake, cette fois plus heureux qu’un dieu. Le soleil et le sable, la beauté du sexe convoité, le roulis de l’eau, les robes ne demandant qu’à être plissées, et tant d’autres choses qu’on ne peut écrire et dont on doute la tangibilité, a posteriori : on essaie de punaiser ce qui nous file entre les doigts, attrapant ce qu’on peut d’un morceau de paradis. La voix américaine d’Amo Amo est encore splendidement envoûtante. Conçu entre la France et les États-Unis, on ne percera pourtant aucune sonorité californienne (si ce n’est quelques artistes figurants), encore moins d’influences, tant le disque est marqué par la sensibilité du vieux continent. L’album est traversé par cette fragilité sensuelle si européenne, celle si typique d’une house tempérée et d’une eurodance hors tubes abêtissants qui, à l’époque de Tonka, savait sa chance, et qui se voit creusée d’une mélancolie plus profonde encore.
Plus techno, Man déploie une pure energy dont l’inquiétude est similaire à cette catégorie musicale. Celle de la scène gay (ou crypto-gay) pionnière de groupes comme Underworld ou Information Society. Voilà oui, Man aurait pu être une face B instrumentale de nos illustres Pet Shop Boys après un léger lifting d’Eric Prydz. En somme, la musique des fondations, les premières sources d’inspiration des musiciens que nous évoquions. Dans cette angoisse sourde de l’époque, le sida devait probablement y être pour quelque chose. Celle-ci se voit remplacée par la vision désolée d’un Futur où les dancing vides et terrasses abandonnées pourraient (on insiste sur le conditionnel) parsemés le monde, relégués aux reliques d’un passé hédoniste. La piste, elle, rappelle les travaux d’aînés ayant été servis à la même cantine musicale, génération entre-deux (celle de Zimmer et celle de la french touch originelle) comme Maud Geffray, mais aussi Todd Terje, ou encore Lindstrøm… L’album se termine sur un bouquet de titres moins « inspirés », presque comme s’ils émanaient d’un Rone peu inspiré. Amour résonne comme un possible chant du cygne dont même le « possible » est de trop. Inévitablement, les fêtes continueront à battre leur plein, mais le conditionnel employé est en soi une source justifiée de craintes. La rêverie mérite d’être perpétuée ; le monde, d’être réenchanté : alors ce soir, les enfants, on se lève et on sort, on se jette et on s’assemble pour ne faire qu’un…
02. Vahiné (ft. Antoine Lang)
03. Lac
04. Na Praia (ft. Pàula)
05. Silverlake (ft. Amo Amo)
06. Futur
07. Man
08. Habibi
09. Afterlife
10. Amour
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