Festin / Certains Pourraient Disparaitre
[Offoron Records]

7.7 Note de l'auteur
7.7

Festin - Certains Pourraient DisparaitreUn an à peine après la sortie de son premier album Le Fou Comme Un Autre, Festin revient avec un nouvel album dont le titre n’augure rien de réjouissant, Certains Pourraient Disparaitre. Sorti sur un autre label brestois, Offoron records, il est le témoin d’une évolution certaine du son de Festin désormais incarné par le seul François Moret. S’il faut rappeler que le premier disque enregistré en duo guitare-voix / batterie lui donnait parfois à s’y méprendre de faux airs de Michel Cloup Duo ou de Bruit Noir, références incontestables du genre en France, il n’en demeurait pas moins qu’une attention particulière portée à ce disque amenait l’auditeur bien au-delà des apparences trompeuses, dans un univers outre-Atlantique bien moins marqué chez les toulousains et les parisiens. C’est cet univers que Festin va explorer en profondeur tout au long de ce nouveau disque léthargique et tendu. On laisse donc Brest derrière nous comme le suggère cette belle pochette, et on prend la mer plein ouest, direction le pays de Doug Scharin et Jim O’Rourke, d’Alan Sparhawk et de Mark Kozelek. Mais en VO ; Festin y tient.

Alors que l’album précédent était puissamment électrique, animé par une rythmique dépourvue de fioritures mais omniprésente, Certains Pourraient Disparaitre est à l’inverse un album quasiment dénué de batterie et qui fait la part belle au son boisé d’une guitare folk que le voisinage bruyant de larsen sauvages, de riffs plaintifs ou d’une slide fantomatique ne dérange nullement. Si les lignes mélodiques se font discrètes, elles n’en demeurent pas moins subtiles et particulièrement travaillées. Parfois, elles se contentent de constituer un écrin avant tout taillé pour accompagner les textes, forts, prenants, desquels il est parfois difficile de se détacher. Mais il arrive aussi que les compositions de Festin finissent par s’imposer pour faire au moins jeu égal avec les textes dans un équilibre qui devient vite magique. C’est le cas des 9 minutes Rex-iennes de haute volée sur La Disparition où voix et guitare cheminent dans un incroyable dialogue. Mieux, sur Grand, digne de l’excellent premier album de Pullman, la musique de Festin atteint des sommets de mélancolie et de douceur que viennent ponctuer des « hummmmm hummmm » de rigueur, magnifiques.

Si la voix n’est pas encore complétement débarrassée de tics qui en font une jumelle parfois assez confondante de celle de Pascal Bouaziz, sa nonchalance en fait le vecteur idéal des histoires sombres et pesantes, des tranches de vie que Festin aurait pu rencontrer lors d’un road trip au cœur du midwest, passant hors des sentiers battus de patelins en bleds paumés, semi-abandonnés, balayés par les vents et l’ambition perdue de rendre sa grandeur à une Amérique passablement dissolue. Mais tout laisse à penser que c’est bien de côté de l’océan que nous sommes restés, figés dans une époque qui finit par durer où, pour beaucoup, les raisons de se réjouir sont souvent bien rares. Froide, la voix observe la scénographie des paysages le coude à la fenêtre, au ralenti, sans s’arrêter. Chaude, elle s’implique dans ces vies, entre dans les maisons et partage le quotidien complexe de familles pour lesquelles pas grand-chose ne semble tourner rond. Eux, il.s, elle.s, ce sont des voisins, de vagues connaissances, des gens qu’on connait comme ça. Festin s’installe en périphérie de ces vies et observe avec détachement la dissolution des rêves et des espérances. Parfois, Festin semble plus impliqué et use de premières personnes rendant ses textes encore plus touchants (La Docilité).

Au fond, tout laisse à penser que Certains Pourraient Disparaitre ne serait qu’un disque dépressif, une dernière balle dans le barillet pour en finir avec une existence à laquelle on n’a rien demandé. Dire que l’ambiance est lourde, étouffante, relève de l’euphémisme d’autant plus que le disque est long, sans toutefois trainer en longueur ; c’est juste que le temps s’y écoule lentement comme dans une vie où il ne se passe pas, plus grand-chose et que finalement, on n’y prête guère attention. Et si les motifs d’espoir sont maigres, ils sont à chercher dans de tout petits instants de bonheur au cœur d’existences pas bien flamboyantes. Mais si le disque touche autant, c’est aussi que les mots et à travers eux les histoires se révèlent de la façon la plus crue qu’il soit, sans artifice ni métaphores et que leur parfaite intelligibilité leur confère une étonnante proximité.

Que les amateurs de musique festive passent leur chemin. Que celles et ceux pour qui la musique peut être un générique du Prozac prennent garde : Certains Pourraient Disparaitre fout clairement le cafard. Mais de ce cafard que l’on adore, celui des dimanches après-midi pluvieux. Depuis la nuit des temps, Codeine et Low n’en sont que deux exemples, mais pas des moindres, tristesse, lenteur et silences sont des incontournables de la création musicale qui ont engendré parmi les plus beaux disques qu’ils soient. Ne nous racontons pas d’histoire : Festin est encore loin de ces modèles sans doute inatteignables mais ce disque, avec sa singularité de s’exprimer en français dans le texte, en fait un digne représentant du slowcore d’ici.

En bonus, les 35 albums les plus tristes de tous les temps selon Discogs.

Tracklist
01. Au Monde
02. Classe Moyenne
03. Les Anniversaires
04. Le Pavillon
05. L’Aménagement Du Territoire
06. Des Livres Des Maisons
07. La Disparition
08. Grand
09. La Docilité
10. Sans Danger / Comme Ailleurs / La Vie Dehors
11. Lundi Dix Heures
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