Après m’être agenouillé en quête de délivrance de ce quotidien dont on ne peut plus s’échapper (ce qui m’a permis de me replonger dans l’intégrale de Swell les jours suivants), je me hisse sur la pointe de pieds comme si j’essayais de me hisser vers les cieux. Ce sera donc avec Perfect From Now On de Built To Spill. Un groupe que j’aurais de si loin que je ne sais même pas s’il ont encore en activité. Peut-il ont-ils eux aussi déposé le bilan avant de céder à la tentation de la reformation. Ils étaient construits pour durer, certes (*), mais qu’en est-il encore de ce disque 23 ans après sa sortie ?
Indéniablement, Perfect From Now On était un album important. D’abord pour eux, parce qu’autant qu’on s’en souvienne, avant la parution de ce disque sur City Slang (distribution Labels, avec une licence Warner), pas grand monde par chez nous n’avait du se pencher sur le cas de ces types-là. L’introduction de Randy Described Eternety me terrassait hier et encore aujourd’hui : une batterie post-rock qui évoque l’axe Bedhead / Codeine, une guitare qui est vite menaçante. Au bout d’une minute à peine le chant de Doug Martsch est déjà l’exutoire de toute la tristesse du monde. La musique de Built To Spill est toute en rupture et le souvenir de ce disque se confond forcément avec celle d’une rupture. La voix vacille, tout semble chanceler dans ces compositions. Même cette pochette est déséquilibrée. On sent bien vite que le groupe donne mais que quelque chose lui échappe – le succès d’ailleurs fut bien relatif et éphémère – en Europe tout au moins. Les mélodies dérapent à chaque fois. Lorsque le ton s’apaise enfin, que des violons soulignent la mélancolie, qu’un violoncelle tire un drap sombre sur leurs états d’âme (Kicked It In The Sun à écouter un jour de pluie orageuse). Mais les guitares reprennent toujours le pouvoir au détour d’un énorme break, à l’improviste comme le spleen quand les souvenirs jaillissent. Ainsi I Would Hurt To Fly se cabre, parce que, merde, une romance, cela se vit à deux, ça se partage à deux. Et en ce temps-là, les groupes avaient le droit de faire durer leurs morceaux le temps qu’il fallait, sans la contingence du streaming. Le refrain de Stop The Show met une éternité avant d’arriver. Le temps de repartir du feu rouge à la sortie de la ville et d’enclencher les quatre premières vitesses de la Clio qui file dans la nuit pour rentrer chez moi. La production de Phil Ek est d’ailleurs géniale : le son est clair, limpide, les instruments s’étagent sur différents plans. Et puis, il y a ces effets spatiaux qui donnent une profondeur de champ assez incroyable (même sur une cassette placée dans un auto-radio, ça envoyait) en accompagnant les chansons qui généralement finissent très loin d’où elles ont commencé. Ils ont du passer du temps en studio et il doit y avoir beaucoup de pistes sur la console pour parvenir à un tel résultat. C’était vraiment une énorme rupture par rapport aux précédents disques du groupe américain – que je m’étais empressé de dénicher bien sûr dans la foulée de cette découverte.
En réécoutant aujourd’hui, on mesure à quel point Built To Spill a du être une influence déterminante pour des artistes comme Ben Gibbard (Velvet Waltz sonne comme le Death Cab For Cutie de Transatlanticism, paru sept ans plus tard, non ?). Ils ont du d’ailleurs en désinhiber quelques-uns en osant ces interminables parties de guitares dissonantes, au son bien metal. Perfect From Now On était un album bavard, en rupture avec l’ascétisme prôné par la no-wave et les groupes straigth-edge de l’époque – ou un peu avant (trois ou quatre étages plus bas dans la discothèque, j’aurais pu piochez un album de Fugazi). C’est que Built To Spill n’est pas du genre à abdiquer face à la tristesse. Cet album évoque cet amour exprimé avec la fougue de la jeunesse qui s’écrase dans la désillusion.
(*) Mais oui, carrément, le groupe n’a semble-t-il pas cessé ses activités et tourne toujours aux États-Unis !