Empty, premier single éclaireur du nouveau Garbage, est le titre le plus évident et accessible du lot (avec l’excellent – et supérieur – We Never Tell). Pour le groupe, il s’agit de rassurer le féru 90’s, de l’aguicher avec du vintage pour mieux l’embarquer dans un labyrinthe assez retors. Car oui : Strange Little Birds est un album dark, long en bouche, un peu arty, plutôt courageux.
Hier, Garbage ressemblait à un beautiful freak : pendant que Shirley Manson y chantait ses états d’âme, l’assise rythmique (sous testostérone) balançait un empilement de guitares élaboré en classe de chimie, des recettes de production (Butch Vig, tout de même) aussi démonstratives qu’efficaces. Garbage, c’était l’épanchement d’un cœur d’artichaut (Shirley : grande gueule au quotidien, animal chétif en musique) et la rigidité Terminator d’un Wall of Sound insensible aux fêlures. Avec Strange Little Birds, inversement, corps et cerveau empruntent une voie similaire ; comme si l’emprise psychologique de Shirley Manson avait eu raison des excès techniques et de la froide virtuosité. Du coup, aujourd’hui, le mot d’ordre semble être : plombons l’ambiance !
Dans un sillage Depeche Mode (dont Butch Vig avait remixé le titre In Your Room), Garbage, avec ce sixième opus, s’en remet aux lamentations électroniques, aux atmosphères cafardeuses. Les grattes, de leurs côtés, s’expriment violemment mais avec parcimonie – chaque accord électrique doit pouvoir se justifier. Avec le risque d’un hermétisme revendiqué : Blackout démarre comme du Cure, s’étire sur six longues minutes avant de finir sa course dans le metal (le refus du consensuel atteint ici les limites du raisonnable)…
Or, si l’expérimentation façon Garbage joue contre son propre camp, la simplicité permet le renouvellement : Even Though Our Love Is Doomed, Night Drive Loneliness (qui semble provenir de Music For The Masses), If I Lost You (possible tube électro-pop au spleen contagieux) sont des morceaux qu’il faudra ressortir lorsque le poids du monde exigera un réconfort moral.
Strange Little Birds est un oiseau blessé qui s’apprivoise sur le long terme, hauteurs et crevasses refusant le jugement expéditif. Garbage cherche à s’extraire non pas des tendances musicales (trop tard pour tous) mais de l’attendu chemin emprunté par un groupe « commercial » absent depuis quatre années : opposé à la redite (schéma aussi évident qu’avantageux) comme à la mélomanie absconse (Radiohead), le quatuor se permet une étrange dérive dans des eaux troubles, dans une dead zone où il n’était pas spécialement attendu.