Aukai est le projet instrumental d’un type inconnu qui publie son premier album par ses propres moyens : autant dire que l’œuvre est vouée à rester confidentielle à n’en pas douter.
Mais, c’est typiquement ce genre de disque qui explique pourquoi la passion et l’excitation de la découverte demeurent intactes malgré le temps, l’usure du quotidien et l’indigestion due à la surproduction discographique actuelle. Mieux Aukai ravive la flamme quand elle vacille.
On les plaint sincèrement ceux qui ne parviendront pas (ou plus) à s’enthousiasmer pour ce genre de réalisation et de démarche, ceux qui sont blasés à tel point qu’ils ne pourront percevoir la sensibilité ou, pire encore, les boulimiques trop pressés qui auront déjà zappé avant que la musique d’Aukai entre en résonance. On les plaint comme les victimes d’un stress intense qui les expurgent de toute énergie et les conduit vers une sorte de mort cérébrale, un manque de curiosité et d’écoute qui mènent à l’isolement.
La musique de Markus Sieber est pourtant une invitation, qui suscite l’envie d’ailleurs, la curiosité pour des endroits inconnus. En effet, l’Allemand a composé cet album avec la volonté d’en faire une bande-son pour accompagner l’imagination de chacun vers des lieux imaginaires, où se mêlent rêves et souvenirs. Les thèmes que suggère cette musique sans parole évoquent la nature, l’enfance, le voyage…
Lorsqu’il accompagnait des artistes de notoriété aux quatre coins du monde ou quand il a voyagé par lui-même, Markus Sieber a glané des sonorités, des sources d’inspirations et des images qui rejaillissent dans ces compositions, mises au monde en hiver dans la solitude d’une cabane des montagnes du Colorado. Là, seul avec ses instruments, dont un charango, une sorte de petite guitare ramenée d’un voyage en Argentine, l’homme à l’air (forcément) rêveur a composé treize pièces enlevées et enjouées. La morosité s’envole ici comme ces notes cristallines qui incitent à se poser, ouvrir grand la fenêtre pour scruter les détails de l’horizon.
Comme Aukai (un pseudonyme emprunté à la culture hawaïenne qui désigne un état mystique) a enregistré ces pièces à Berlin dans le studio de Martyn Heyne qui a collaboré avec Nils Frahm, la comparaison tombe sous le sens. D’autant qu’Anne Muller (collaboratrice d’Agnes Obel et du même Nils Frahm) joue du violoncelle, à l’unisson des parties de violon de Bogdan Djukic. La femme de Sieber, Angelika Baumbach, glisse quelques notes de piano et son frère, Alexander Nickmann, ajoute une petite touche électronique. On pense aussi aux premiers albums de Yann Tiersen, pour cette puissance évocatrice. La dextérité, la sensibilité, elles, évoquent l’anglais Manyfingers.
L’album se révèle tout à la fois fragile et puissant, mélancolique et galvanisant, humble et ambitieux. Mais faut-il encore prendre le temps de se plonger dans ces compositions personnelles et sensibles qui offrent une parenthèse en suspension dans ce monde trop rapide, trop pressé.
02. Alto Paraíso
03. Agua Azul
04. Colors Of Dawn
05. Cachoeira
06. Hidden
07. Snow
08. First Of March
09. Wind Runner
10. Feather
11. Fled Away
12. Childhood
13. Night Rain