[Interview] – Lonny, chanteuse folk intime et incandescente

Lonny par Manon Ricupero

Crédit photo : Lonny par Manon Ricupero

Son album est le premier grand disque folk de cette année 2022. On l’espérait ainsi. Tout en étant très impatients. Sur Ex-Voto, Lonny affirme un songwriting intime et délicat, au propos foncièrement personnel et éminemment universel. La jeune chanteuse parisienne vient ici nous donner quelques précisions sur son parcours et la genèse de son long format haute-couture.

Il semblerait que les premiers enregistrements sur lesquels figure ta voix datent de 2018. A cette époque tu travaillais en anglais et en duo avec Guillaume Charret. Est-ce que tout a vraiment commencé cette année-là ?

C’est difficile de réellement situer le début. Disons que Tara (album sorti en 2018 via Artsolis Production, NDLR) a eu son rôle à jouer car c’est aussi grâce à ce disque que j’ai pu cerner mes envies de production, de mix, d’ambiance globale, c’est grâce à ce duo que j’ai trouvé une forme de philosophie d’enregistrement aussi. Celle qui consiste à travailler le plus naturellement possible, d’être sensible au lieu, à ce qui l’entoure, à des moments de vie en dehors des prises…

Mais je dirais que les choses ont vraiment commencé en 2017 au retour d’une petite tournée au Québec, lorsque j’ai pris conscience que j’avais envie d’écrire en français.

Composes-tu toujours à la guitare ?

La plupart du temps oui, mais j’ai composé Allez chagrin au piano. J’aime bien la guitare parce que je n’ai pas trop conscience de ce que je joue dessus, alors qu’au piano, j’analyse…

Le disque a été enregistré à Montréal, avec le concours de Jesse Mac Cormack. Comment as-tu pris contact avec ce pays et ce musicien ?

Je me sens proche du Québec depuis un peu toujours car j’ai de la famille là-bas, que je vais visiter régulièrement. Et puis après ce fut plus une affaire de mélomanie, j’ai écouté beaucoup de disques qui venaient de de ce pays, actuels ou non (Arcade Fire, Feist, Patrick Watson, Leonard Cohen, Neil Young, Joni Mitchell, Godspeed You Black Emperor!…)

Rémi (Orouni) a composé Le Goût de l’orge. Comment vous êtes-vous rencontrés ? Sa musique a-t-elle convoqué tes mots ou est-ce le processus inverse qui s’est passé ?
Nous sommes amis Rémi et moi et nous sommes rencontrés grâce à son label, December Square, duquel je suis assez proche.
Disons que nous avions une inspiration commune autour du premier album d’Aldous Harding, et de l’Irlande. Ce fut un peu le point de départ. Mais c’est plutôt sa musique qui a été le point d’ancrage de mes paroles
L’album compte une seule chanson interprétée en anglais. Celle-ci est d’ailleurs positionnée au milieu du disque. Peux-tu nous raconter sa genèse ?
Black Hole est un peu le point central, car elle est surement la chanson à la fois la plus triste, mais aussi celle qui raconte l’après, l’envie de changer d’humeur. Et puis c’est aussi la plus dénudée en terme d’arrangements, alors j’ai voulu un peu la couver

Le chagrin semble être une des thématiques récurrentes de l’album (sans que celui-ci paraisse infiniment triste). Notamment de façon explicite et directe dans sa conclusion, mais aussi à l’intérieur d’Avril Exil, par exemple. Est-ce que cet état fut celui qui t’accompagna lors de l’écriture du disque ?

Le chagrin fut très présent oui, mais à différentes temporalités. Le disque enveloppe sa genèse, son milieu, le moment de désespoir total, et puis sa fin…Le moment ou on en sort enfin et que la suite arrive ! D’ailleurs, la tracklist correspond à peu près à l’ordre d’écriture ! Mais il y a aussi dans l’album un regard sur le chagrin, comme un état des lieux. J’aime bien questionner ce genre de choses, car au delà du sentiment corporel, c’est assez abstrait tout ça. Alors j’explore dans quel mesure nous dominons ces sentiments là, ou est ce eux qui nous dominent ?

L’eau aussi est très présente dans tes chansons (La maison des filles, (Not so) Sad song, etc) … Quel rapport entretiens-tu avec les milieux aqueux ?

La mer est un élément qui me fascine depuis l’enfance. C’est un lieu de contemplation plus que d’exploration ou de jeux pour moi. Je la trouve belle et en même temps elle me fait un peu peur parce qu’elle abrite beaucoup de mystère. Elle cache des choses tout de même assez impénétrables ! Alors je la regarde avec plusieurs yeux.
Et puis l’eau, en général me parle parce qu’elle métaphores chez moi la transformation, le passage d’un état à un autre.

Je crois que tu es très admiratrice de Leonard Cohen. Quelle place tient-il dans ton Panthéon personnel ?

Oh oui je l’admire. Et j’admire surtout son écriture parce que je ne crois pas que ce soit un saint. C’est grâce à Guillaume Charret (Yulès) que j’ai vraiment découvert son travail, autour de son merveilleux album de reprise « I’m your man…naked ». C’est quelqu’un que je lis autant que j’écoute. Il est pour moi un maître, pas que d’écriture, mais de droiture en général.

J’ai d’ailleurs participé à un très beau projet autour de Cohen par H-Burns, « H-Burns on a wire »

Quels sont les autres figures artistiques qui composent ton corpus d’artiste ?

Il y a bien sur les grands songwriters des années 70 comme Dylan, Young, Van Zandt, les Beatles, Judee Sill, Vashti Bunyan, Karen Dalton…que j’ai écouté en boucles.

Et dans la scène actuelle ceux qui m’ont le plus touchée sont Laura Marling, Big Thief, Aldous Harding, les War on Drugs, Weyes Blood, et puis en france Dominique A, Bertrand Belin, Chevalrex, Hburns, Olivier Marguerit, Thousand, Queen of the Meadow, Raoul Vignal, Françoiz Breut…

On pense parfois à Autour de Lucie ou à Barbaba Carlotti en écoutant ton album. Sur la scène française as-tu quelques sœurs et frères d’âme ?

Oui j’en ai quelques unes et quelques uns qui me sont très précieux…parmi eux je compte Baptiste Hamon, Guillaume Charret, Siau, Gisèle Pape, Claire Days, Cabane, Margot Cotten, Bleu Reine, The Reed Conversatin Society, Flora Hibbert…ce sont toutes des personnes libres et talentueuses, qui font une musique très sincère et en dehors des codes. Je les admire pour ça.

Et ailleurs ? On ne s’attendait pas à convoquer Midlake en découvrant les chansons…

Oui ? je parle de Midlake effectivement avec beaucoup d’amour ! Dans la scène internationale je me sens très proche de Charlotte Cornfeild, Indigo Sparke, Klo Pelgag

La pochette du disque a été réalisée par Pascal Blua et Brian McHenry. Vous connaissiez-vous mutuellement avant de lancer cette collaboration ? Quel fut le briefe de départ pour cette création ?

J’ai appelé Pascal très naturellement car c’est un génie des pochettes de disque (et je dis ça en toute objectivité) et nous avions envie de collaborer depuis longtemps. Pascal est quelqu’un de qui je me sens extrêmement proche dans sa sensibilité globale et son rapport à la musique. Le seul briefe était que je voulais éviter de mettre une photo de mon visage. Et puis nous avons parlé des Ex-Votos qui prennent souvent la forme de petites icônes, et Pascal a suggéré d’en parler au dessinateur Brian Mc Henry. J’ai su immédiatement que c’était la bonne personne. Comme si son approche du dessin était un calque de mon approche de la musique.

Parlons un peu de la scène. Comment abordes-tu désormais la scène alors que tu chantes en français des choses personnelles ?

C’est justement une exploration quotidienne, qui consiste à essayer d’équilibrer l’inhibition et le dévoilement. Mais la scène me permet aussi de prendre du recul et de rendre plus universel tous ces sujets, à force de les travailler, en répétition, de penser au préalable ce que je peux bien raconter entre les chansons…alors ça m’aide à transformer ces sujet un peu secrets en choses plus assumées.

Mid Summer est plus apaisée et moins rêche sur le disque que la version qu’on a pu entendre live (NDLR, voir le Trois, Deux, Un : Lonny, concert aux Trois Baudets). Comment expliques-tu cela ?

J’aime l’idée de créer des versions live très différentes de l’album. J’ai toujours aimé quand les artistes faisaient ça, alors j’ai décidé de faire pareil. Pour Mid Summer, c’est carrément caricatural, car on a pris l’arrangement à l’envers… là où la chanson est sensée s’alléger, elle s’alourdit. Et je pense qu’au final, qu’on choisisse de hurler ou de chanter extrêmement doucement quelque chose, c’est souvent un petit peu la même chose. On ajoute de la dynamique à son propos, on le tord. Alors, dans un sens comme dans un autre, c’est intense. Ça me plait de jouer avec ces dynamiques la !

La sortie de l’album sera-t-elle suivie d’une tournée (dates à la fin de l’interview) ?

Absolument ! C’est déjà le cas. Nous tournons en France, et bientôt en Belgique et au Canada peut-être…!

Le disque de tes rêves il pourrait se faire où où et avec qui (imaginons que tout soit possible) ?

Je dirais dans un chalet scandinave…avec John Parish ?

Le disque est baptisé Ex-voto. Justement quels vœux pour la planète et pour ton propre futur d’artiste te souhaites-tu ?

Je nous souhaite à tous les deux que l’on s’aligne. De respecter nos cœurs, à chacun et respectivement.

Lonny en concert

Tracklist
01. Incandescente
02. Comme la fin du monde
03. Avril Exil
04. Eteins la mer
05. Mid Summer
06. Black Hole
07. Dans la maison des filles
08. (Not So) Sad Song
09. Le goût de l’orge
10. Le Sable Normand
11. Allez Chagrin
Écouter Ex-Voto

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