Il arrive assez souvent qu’on ne sache pas trop quoi penser d’un homme politique ou d’un single ? C’est le cas de Raphäel Glucksmann et de ce Abel de Degermann. Le premier est le président du mouvement Place Publique et a récolté, avec et pour le compte du Parti socialiste, un nombre significatif de suffrages aux élections européennes. Son programme est sympathique et rassurant, intelligent et progressiste, mais il s’en dégage toujours un brin d’académisme et de bien-pensance qui ramène l’homme politique à sa figure parisianiste et grand bourgeoise, pour ne pas dire bobo, appellation générique qui désigne à peu près exactement ce qu’incarne notre chanteur de charme, Jean-Baptiste Degermann, artiste parisien de 30-35 ans, folkeux pop qui aligne depuis 2 ou 3 ans des singles bien écrits, charmants et…qui nous interrogent.
On s’était sacrément ennuyé sur Comme un Géant, une sorte de chanson de Francis Cabrel sans l’accent ni le sens du mouvement, mais on mesure les progrès accomplis par le bonhomme avec son nouveau morceau, Abel, assorti d’un joli clip en balade dans les rues de Montmartre. Glucksmann et Degermann incarnent une certaine idée qu’on partage de la France, de la culture, de l’urbanité moderne, de la vie sentimentale. Ils sont sur la même ligne, la même longueur d’ondes. Ils sont des nôtres ou nous des leurs. Leur musique est soignée, française et revigorante. Elle est joyeuse et pleine d’espoir, référencée (Chamfort ?), attentive aux petits détails du quotidien, attentionnée envers les autres, humaniste, amoureuse. Mais il y a un truc qui cloche. On se méfie. On soupçonne qu’elle ne soit pas tout à fait pour nous, pas réaliste pour deux sous. Elle se déploie en dehors de la violence du monde, comme si le réel n’était pas celui qu’on partage, comme si nous même, avec notre méchanceté, nos faiblesses, nous n’existions pas et avions définitivement échappé au système des castes et des classes. Degermann est un bon chanteur et un artiste méritant, mais on y croit pas suffisamment pour l’aimer vraiment. Le deuxième morceau du single, Chansons d’Automne, est poétique et optimiste comme du Yves Duteuil, ce qui est un demi-compliment ou une demie-vacherie. Ces deux là sont une énigme habile et plaisante. On peut les réécouter, voire les trouver cools, quitte à risquer un réveil difficile.