La curiosité d’Al’Tarba est insatiable !

Al'TarbaL’homme n’est pas si simple à suivre, volant de disque en disque, de projet en projet, entre abstract, hip-hop, punk à sons et ambient à crête. On l’avait laissé l’an dernier à peu près à la même époque en solo avec cette Fin des Contes passionnante et aux richesses inépuisables, et on le retrouve dans son Cabinet de Curiosités à l’alchimie XIXème pétillante et gothique pour un volume 2 qu’il dévoile depuis près de deux mois maintenant à raison d’un titre toutes les semaines. Al’Tarba, on ne cesse de le répéter, change tout ce qu’il touche… en poudre. Qu’on ne se méprenne pas : poudre d’or et poudre explosive… et pas autre chose. Ses productions sont aussi variées qu’elles se reconnaissent à l’oreille (nue) en dix ou quinze secondes. Ses beats sont puissants et tendres, lourds et légers comme l’air. Ses sons se plient en quatre et laissent apparaître les cicatrices grésillantes de leur assemblage en atelier. Al’Tarba est le prince des beats occultes, des mélanges fantômes, capables de collaborer avec autant de passion et de réussite avec un rappeur hardcore, une chanteuse pop, un droogie déchaîné ou une diva espagnole. Ce Cabinet de Curiosités (qui porte bien son nom) sonne aussi comme un Cabinet des Merveilles et on en est qu’à la moitié…   

J’allais dire : ça fait du bien de vous retrouver depuis le temps mais la Fin des Contes n’est sorti que l’année dernière. Vous vous y remettez déjà ? Quand avez-vous commencé à travailler sur ces nouvelles compositions ?  

Je me disais à la base que le concept du Cabinet des curiosités était bien pour respirer entre deux albums plus « perso » vu que ce ne sont que des collaborations entre d’autres artistes et moi .

Ca offre pas mal de liberté et permet de faire un peu dans tous les styles. Chaque morceau est censé être différent du précédent , un peu comme chaque objet dans un cabinet de curiosités.

Du coup j’avais commencé à réfléchir à des concepts et des feats quand la fin des contes est sorti, et ça s’est fait petit à petit. A l’heure où j’écris ces lignes je suis encore en train de taffer sur les derniers morceaux du projet alors que déjà 5 sont sortis.

Quelle différence vous faites entre ce projet qui est construit autour de rencontres/duos et des travaux solo avec des invités, par exemple quand vous contactez Bianca Casady ? L’intention est différente ? Est-ce le degré de liberté que vous donnez aux personnes qui varie ? L’absence de « concept » qui permet d’ouvrir le champ des possibles ?  

Chaque morceau a son propre délire, sans qu’il y ait besoin de le relier au précédent. Ce n’est pas le cas sur un album. Souvent je réfléchis au concept  avant, je commence une ébauche de son et je les propose à différents artistes que j’imaginerais bien dans cette vibe. Et à partir de là, on construit le son ensemble. Des fois les idées naissent aussi en discutant avec les autres. La différence c’est que sur pas mal de morceaux, il y a plus de deux participants. Parfois c’est du sport à mettre en place mais je suis assez content du résultat pour l’instant. Je pense que les invités aussi, et les retours sont bons sur les premiers morceaux sortis! Pourvu que ca dure éhéh!

Le volume 1 du Cabinet des Curiosités comptait 14 titres auxquels vous avez rajouté 2 morceaux sortis un peu plus tard. On est sur le même format ici ?  

Yes, cette fois-ci tous les morceaux seront sortis avant mi-juillet normalement. Et je pourrai alors lancer le pressage du vinyle. Mais on est sur le même nombre de titres à peu près oui. Sauf si les dernières collabs en cours  ne marchent pas. Je croise les doigts.

Les pré-ventes ont été ouvertes sur l’édition vinyle. Il y aura aussi un CD et j’ai cru comprendre un coffret avec les 2 disques c’est ça ?  

Un nouveau titre est dévoilé chaque semaine! Et oui ce sera un double vinyle, c’est meilleur pour la qualité du pressage il parait, même si ça coûte deux fois plus cher à fabriquer au pressage, je pense que vu le nombre de titres ça vaut vraiment le coup!

Qu’est-ce qui vous a donné envie de prolonger l’exercice avec ce volume 2 ?  

Pour le premier, ce fut éprouvant mais aussi vraiment un plaisir, de pouvoir mélanger les savoir-faire, les influences. C’est un jeu assez amusant quand ca roule! Et puis il y la fin des contes qui est sorti il n’y a pas si longtemps, l’album commun avec Senbei qui arrive. Je n’avais pas envie de repartir bosser un disque solo immédiatement. On verra plus tard pour ça. Mais comme j’ai toujours envie de faire du son, établir ces nouvelles collaborations me paraissait être le meilleur compromis !

Est-ce que vous aviez une idée particulière pour ce volume 2 ? Sur le son ? La tonalité générale ?  Les collabs ? Est-ce que par exemple vous avez cherché à établir des collabs avec des gros bonnets… des chanteuses/chanteurs à l’étranger, je ne sais pas, ou est-ce que vous êtes resté sur l’idée de vous entourer de gens plutôt proches de vous et que vous connaissiez ? Et surtout de laisser le charme agir…   

Il y en a certains avec qui je voulais collaborer sur le premier mais j’ai gardé ça pour le deuxième, des morceaux qui ne se sont pas faits aussi, et aussi des artistes dont j’ai découvert le taff  ensuite. Et je me suis dit que ça pourrait coller donc j’ai tenté, et pour certains ça a marché. Et c’est ainsi que sont nées certaines collaborations qu’on retrouve sur ce second volume !

J’ai parcouru la liste des invités. Du moins sur ce que j’ai pu écouter. Il y a quand même du beau monde. Je ne sais pas si on peut en citer quelques-uns mais si c’est le cas j’avance… Ours Samplus par exemple ou encore la chanteuse géniale Paloma Pradal que vous aviez déjà « utilisée » sur les Contes. Est-ce qu’il y a certaines personnes que vous avez eu du mal à convaincre ? Que vous êtes particulièrement content d’avoir attiré sur le projet ? 

Alors je vais pas te dire ceux avec qui ça ne l’a pas fait. Faute de temps, d’envoi ou même d’atomes crochus il y en a eu aussi, mais ce n’est pas grave et c’est la règle du jeu pour ce genre de projet. Il ne sert à rien de forcer le destin. Parfois la collaboration viendra plus tard, parce que ce n’était juste pas le bon moment. Je suis super content du casting de celui-ci. Ca  fait super plaisir! Des fois, tu avances sur un morceau et tu te rends compte que l’alchimie n’y est pas. Dans ce cas-là, soit il vaut mieux arrêter et recommencer un truc, soit attendre un peu et puis… paf… les idée viennent toutes seules que ce soit de mon côté ou de celui des personnes qui taffent avec moi le truc! Des fois il y a des gens n’ont pas répondu aussi , mais j’essaie de me focaliser sur la dynamique, pour que le projet avance. Cela demande de la concentration. Le kiff, c’est de faire des sons qui ont une âme. C’est ça qui l’emporte, encore plus que juste assembler des sons entre eux de manière « harmonieuse ». Je pense pouvoir dire sans m’avancer que ce second volet en est plein! Des sons avec une âme…

On retrouve sur le disque pas mal de gens qui tournent dans votre galaxie. XXXX. XXXX qui était sur le disque de XXXXX. XXXX. XXXX qui est de Toulouse aussi je crois. XXXX que j’adore. Et toute la bande. C’est aussi l’idée du cabinet de curiosités : être en terrain familier, entre proches, entre amis. On peut créer du bizarre avec des gens qu’on connaît bien ? 

Vous faites bien de XXXX les noms sur cette question car tous les feats ne sont pas encore dévoilés. Mais pour répondre à ta question, c’est oui carrément. En considérant chaque morceau comme une aventure différente, comme un scénario différent… quand un réalisateur fait un film, il peut se balader dans plein d’univers tout en gardant sa patte, pareil pour un écrivain, se balader dans le temps, dans les genres, dans les ambiances.. J’aborde l’abstract hip hop et la musiiue en général un peu de cette façon! Tous pour le son et un son pour tous.

Sur ce que j’ai pu écouter (10 morceaux), il n’y a personne de la Droogz Brigade. Vous êtes fâchés ou ils vont arriver sur la fin ?  

Sad vicious vient de sortir son premier projet solo  vicieuse bande son vol 1 qui est un prequel à son album et j’ai une prod dessus, les autres sont de I.N.C.H.

Rhama Le Singe taffe beaucoup sur son projet solo aussi, et là, on est en train de parler avec Staff l’Instable pour organiser une session studio avec tous les membres pour sortir un ep Droogz comme sur Projet Ludovico. J’ai déjà dix prods de côté, ça va chier… !!!

Al'Tarba

Le premier morceau est une tuerie dont vous avez le secret. Ca a du être un sacré travail… .de montage. Je suppose que tout ce beau monde n’était pas dans le studio en même temps. Comment ça se construit un morceau de ce type ? Il y a une instru départ qui est enrichie ? Comment on arrive au produit fini ?  

Le processsus créatif change à chaque morceau, par exemple avec I.N.C.H on a commencé par passer un nuit entière dans son studio et c’est un des sons qu’on avait commencé que j’ai repris ensuite à la maison! Pour la plupart, c’est de l’envoi de piste : on part sur une idée, ça peut être un sample, une mélodie, un concept et on fait du ping-pong  et des rajouts sur le morceau en échangeant  beaucoup sur la couleur du morceau, son but, sa structure etc..

En général, j’ai le concept en tête avant et j’essaie de mener la barque mais pas à tous les coups ! Des fois il faut plusieurs essais avant que le carburant prenne et que le feu s’allume. L’important est qu’à la fin, tout le monde doit être content du morceau, qu’il ait une âme comme je disais, qu’il raconte une vraie histoire et possède une singularité. Les objets, dans un cabinet de curiosités, s’y trouvent parce qu’ils ont une histoire, qu’ils sont étonnants, beaux ou effrayants. Bref, c’est exactement comme ça que se construit la tracklist d’un projet comme celui-ci !

Lorsque le morceau est fini je mixe et masterise. Souvent j’ai en tête le visuel aussi dont je parle avec ma cousine qui prend en charge cette partie. J’essaie de trouver quelque chose qui, à la fois, représente le son, soit surprenant et stylé. Mais c’est elle qui le met en forme. Et bing ! Le morceau hérite de son visuel et c’est fini. C’est une affaire de famille ahah!

Question économique en passant : j’ai l’impression que vous vous en tirez plutôt pas mal et que vous n’avez pas trop de difficultés à monter vos différents projets, à intéresser les labels, à tourner. C’est bien de s’être donné cette latitude non ? Un privilège aussi d’avoir autant de liberté ? Vous êtes fier d’avoir pu vous ménager cet espace là dans le beatmaking en alternant les formules, les genres ? Ce n’est pas si fréquent.  

Pour l’instant ça va je n’ai pas à me plaindre, et puis au final même si je ne suis pas super connu non plus, sans fausse modestie, vivre humblement de la zik me convient tout à fait. J’ai sorti assez de projets pour qu’entre les royalties du streaming, les concerts et la SACEM, j’arrive à m’en sortir.

Du coup c’est un peu : le weekend concert, lundi ramasse, et entre le mardi et le vendredi j’essaie de gérer entre le côté organisation/stratégie et la création, avec des périodes qui penchent plus vers l’un ou vers l’autre.

J’aime bien faire la teuf’, me balader aussi mais je dois faire preuve de pas mal d’autodiscipline sinon tu ne branles plus rien et tu vas droit dans le mur. Mais comme faire du son est vraiment ce qui me me procure le plus de plaisir, et même s’il y a des périodes avec moins d’inspiration, ça passe sans forcer.

Je ne veux pas trop en dire sur ce que j’ai pu écouter mais on retrouve la belle variété qui faisait la singularité du précédent volume. Il y a encore de tout. Des influences orientales, de l’électro, du hip-hop un peu lourd et des titres super pop qui rappellent l’un de mes morceaux préférés sur le n°1 qui était la collab avec Mounika. Vous devez vous forcer pour investir tous les genres comme ça ou c’est vraiment ce que vous adorez ? 

En vrai, j’écoute vraiment de tout. Du punk à l’électro et bien sûr du rap. J’aime bien raconter plein d’histoires différentes dans mes sons comme je l’expliquais avant et l’éclectisme vient naturellement à force d’écouter tout ce que j’écoute et d’inventer autour.

C’est peut-être parce que j’en viens mais j’ai noté qu’avec Ours Samplus et Roger Molls, les Lillois étaient très représentés. Vous êtes dans une période ch’ti ? Plus sérieusement, le disque couvre un territoire sonore mais aussi géographique assez vaste : Toulouse, Lille, l’Orient, l’Espagne. J’ai l’impression qu’Al’Tarba c’est ça….une question de géographie. Ne pas se donner de limites, ouvrir des espaces mentaux, musicaux. Vous avez peur d’être enfermé dans un genre ?  

Ca n’est pas vraiment de la peur. Ce que vous relevez vient tout seul en fait. A un moment,  je vais faire des sons abstract. Et puis je me lasse de l’asbtract et me viens l’envie de faire du rap pur et dur. Et ainsi de suite. Si l’on croise ces envies avec tous les gens et les genres que la musique t’offre chaque jour…. Hé bien, tu comprends pourquoi je ne m’ennuie jamais une seule seconde.

Evidemment, il faut après que cela soit sincère. Si c’est tout mélanger pour tout mélanger, je ne vois pas l’intérêt. Ce qui m’intéresse, c’est de trouver la meilleure façon de faire passer les émotions, peu importe quels codes, quelle langue et quel genre musicaux j’utilise.

La modernité de votre travail tient dans cette ouverture, ce côté fragmenté mais qui renvoie une vraie identité. On reconnaît vos prods mais on est presque incapable de dire ce qui les distingue. Ca s’appelle avoir un style ?

Peut-être. Mais je pense plutôt que c’est tout autant liés à des micro-procédés de création, de réflexes aussi ou de façons d’aborder tel ou tel aspect du beatmaking qui font que on retrouve chez des artistes des pattes reconnaissables sans pouvoir forcément nommer ce qui les caractérise.

A l’écoute des morceaux, on a l’impression que votre tête doit être remplie de boucles et de bouts de son qui s’entrechoquent. Votre cerveau passe son temps à assembler des sons et à les fusionner, triturer, non ? Vue votre productivité, vous devez y passer un temps infini, non ? Vous bossez en permanence ou vous avez des plages où vous ne faites rien ? Vous travaillez toujours en nocturne ou vous avez changé vos habitudes ?  

Ca dépend des fois. Je peux ne pas m’arrêter de travailler pendant 5 jours sans sortir la tête du terrier, quand d’autres, je tourne en rond dans l’appart pendant 2 semaines sans rien sortir de vraiment bon.. Mais même dans ces cas-là, il y a toujours des trucs à faire si on organise bien son temps : retaffer sur un mix,  ajouter des petite choses à un morceau qui dort depuis des mois, répondre aux mails ou reretaffer le mix d’un son…. Cela ne veut pas dire que je fais tout le temps quelque chose. Il y a des fois aussi où je ne branle rien et où j’adore ça. Mais je finis assez vite par me faire chier et y retourner !

Est-ce que vous pouvez écouter un disque sans arrière pensée ? Qu’est-ce que vous écoutez le plus aujourd’hui d’ailleurs ? Des chansons, du rap ? Quand vous êtes dans le canapé, qu’est-ce qui passe ?  

Grave, j’écoute plein de skeuds tous les jours. Je kiffe écouter les nouveautés, surtout en voiture dans le train ou dans le métro! Je ne suis pas trop partisan, pour ma part, du « je n’’écoute pas le reste parce que j’ai peur que ca m’influence », ni de rester bloqué uniquement sur mon son à moi. C’est un tel kiff écouter de la zik ! Après, j’écoute aussi beaucoup beaucoup mes propre sons…. quand je suis bourré ahah Demande à mes potes, ça les rend fous.

A titre personnel, vous avez un vrai lieu à vous pour bosser ? C’est votre appart, un studio ou vous faites ça partout, dans le train, etc. Vous vous considérez comme parisien ou pas tout à fait.  

Je bosse dans ma chambre. Je vis dans une colocation de trois personnes… J’ai jamais eu de studio, sauf au tout début peut-être quand je vivais chez les darons,  j’avais plus de matos mais à Paname, j’ai toujours démenagé à tour de bras alors je voyage léger ! Tout cela devrait changer d’ailleurs… mais j’en parlerai une autre fois !

Je ne peux pas ne pas poser de question sur l’Al’Tarba Orchestral du début d’année, même si ça donne l’impression qu’on en veut toujours plus… Il y aura bien un CD ou quelque chose pour garder une trace de ces concerts exceptionnels. J’ai vu les vidéos en ligne. C’était waoh…. Une liberté folle, vraiment du transculturel dans ce qu’il y a de meilleur et un son dingue. Ca donne des envies.  

C’etait une expérience de ouf ce truc orchestral ! on est en train de voir pour recaler peut-être quelques dates mais c’est très coûteux à faire jouer. C’est un peu galère mais tellement incroyable !

Je ne peux pas ne pas poser de question non plus sur… le deuxième album de la Droogz Brigade. Il y a des chances pour qu’il existe un jour ?  

Comme je te disais, on va se remettre au taff sur un format ep très bientôt j’espère! Donc pourquoi pas rêver d’un album…

Je ne veux pas aller trop vite en besogne. C’est juste le début pour le Cabinet mais on verra Al’Tarba sur scène cette année ? Il y a d’autres choses sur le feu ensuite ou on fait déjà avec ça ?  

Je vais continuer la tournée de la fin des contes jusqu’à septembre. Après, je ferai une petite pause et puis on partira en tournée avec Senbeï début 2024 pour Rogue Monster 2!

Titre coup de cœur du moment ? Vous avez été impressionné par qui ces temps-ci ?  

Le son jungle de skrillex et le son Wake Up de Logic. Ah, et je viens de m’écouter le dernier Zek à l’instant qui est bien bien lourd!

Question bonus : est-ce qu’il y a un artiste avec lequel vous aimeriez collaborer sur le Cabinet et auquel vous n’avez rien osé demander ?  

 rjd2 , la boucle serai bouclée héhé!

Photos originales : Aurélien Kass (au Musée de la Chasse et de la Nature, Paris, 2023)

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