La Femme / Teatro Lúcido
[Disque Pointu]

6.8 Note de l'auteur
6.8

La Femme - Teatro LúcidoLa Femme est-il l’avenir de la France à l’étranger ? Musicalement, le groupe connait un engouement indéniable à l’international, particulièrement en Amérique latine où leur esthétique un brin clichetoneuse correspond si bien au romantisme que ces gens s’imaginent de nous. À peine un an après leur album Paradigmes, en particulier l’extension Suppléments accompagnant leur film, le tandem fondateur, Marlon Magnet et Sacha Got récidive avec Teatro Lúcido. Nous avions eu à redire, non pas au sujet des voix des garçons, mais d’une écriture jugée souvent catastrophique de leurs paroles. Belle nouvelle : c’est tout comme s’ils nous avaient lus. C’est dans la langue de Cervantes qu’ils reviennent, s’effaçant vocalement pour privilégier le beau sexe et secouer des castagnettes.

Casse-bonbon

Nous revient alors que les film et clips de l’album précédent prenaient place dans un tout-Paris en pleine ébullition soixante-huitarde, traversé par ce que l’on nommerait aujourd’hui, avec recul et sérieux, une bribe de post-modernisme. Inconsciemment, La Femme embrasse cette approche, faite de recyclages, collages, hybridations, pastiches et autres parodies. Cha-cha n’est rien d’autre que l’excellente Nouvelle-Orléans de Paradigmes passée au mixeur baile funk, alors que le transgressif Teatro Lúcido, morceau le plus disruptif, sera entendu par les connaisseurs du groupe comme un lointain écho à Elle ne t’aime pas. Voilà de l’audace : le morceau, sorte de relecture du Hola Señorita de Gims et Maluma, se voit transformé en pure piste de moombahton, genre électronique se subsumant dans le reggaeton, d’un rythme plus sec et pointu, et empli de gimmicks d’un horriblement bon « mauvais goût ».

Mais la générosité est un vilain défaut chez La Femme. Il faut dire qu’ils pèchent non par excès de zèle, mais par excès de bonté dans leur paresse. Le groupe ne peut s’empêcher de bourrer ses albums de rab, certaines pistes stagnant même au stade de brouillon, venant alors nuire l’écoute des meilleures. La version initiale de Paradigmes avait cette chance de se suffire. Manque de veine, Teatro Lúcido démarre tout de go par une Fugue italienne refusant de s’achever. Rappelant par moment l’album De película de The Limiñanas et Laurent Garnier, la piste est une sorte de mélasse carnavalesque de ce mauvais « mauvais goût » dans lequel le groupe sait trop bien s’enfoncer.

Lâchant définitivement la planche de surf music, l’album semblerait presque avoir été phagocyté par le phénomène Rosalía et sa flamenco pop, mais également par des pans entiers de la musique latine. Y tu te vas, avec ses guitares tressautantes, fait penser tout autant à Rosalía qu’au fameux Porqué te vas de Jeanette. Voilà la démarche du groupe : aller aussi bien puiser son inspiration dans des macro-tendances généralistes que déterrer des vieilleries à la saveur ripolinée, mais suffisamment populaires pour qu’on les détecte. Un peu plus loin, No Pasa Nada s’approprie la bossa nova, nous rappelant nos heures d’aquagym en cet infummable été 2002 à singer Las Ketchup. Il aurait été naturel que les paroles deviennent portugaises, mais dans l’inconscient collectif de La Femme, toute l’Amérique du sud semble hispanophone. Il faudra faire passer le mot que le portugais est également disponible sur Google Trad. À une sauce différente, l’excellente Resaca est trempée dans cette moutarde new wave ayant fait les grandes heures d’Ataque de Caspa et d’Alaska y Los Pegamoides, tout comme celle des allemands des Liaisons Dangereuses (qui chantaient parfois… espagnol). Reprenant ce qui semble être un motif du morceau éponyme de Partenaire Particulier, La Femme fait donc passer celui-ci à travers des moulinettes féminisante et hispanisante. On espère que la démarche d’hispanisation était non intéressée, même si l’ardeur placée dans l’écriture nous en fera quelque peu douter.

Un album olé-olé

La Femme a cette mauvaise habitude de s’attifer de pistes d’une lourdeur intenable. Mariée à l’imagerie hispanophone, on se retrouve avec des musiques de folklore entendus entre corridas et fête des morts, une imagerie indigeste de parades exacerbées oscillant entre le Coco de Disney et le baroque de Tim Burton. Le pompeux Maialen se situe entre les hymnes populaires de ferias type Paquito el chocolatero et un clin d’œil à une déesse amérindienne de la soif, sorte de pasodoble gorgée de ce décorum rendu cruche et infantile. Quant à El Conde-Duque, La Femme imite la frugalité de groupes comme Los Cuates de Sinaloa sans l’atteindre. C’est malheureusement suffisant pour ce que recherche le jeune public, souhaitant un doudou musical, peu importe le degré de finition de celui-ci. Là encore, le problème n’est pas l’exubérance : utiliser la figure du théâtre comme scène de grossissement du monde est juste, tout en collant parfaitement à la démarche maximaliste du groupe. Le problème se situe précisément dans son jaugeage. Les renifflements cradingues sur la Balade Arabo-Andalouse (dont les chœurs et sonorités rétrofuturistes rappelleront les Tu t’en vas et Va de l’album précédent) ou le tapage entre joyeux pochetrons sur El Tio del Padul témoigneront de cette finesse. La Femme ne creuse rarement plus, et quand il le fait, il ne peut s’empêcher de se perdre. Mais c’est quand il concentre ses forces qu’il déploie la plus belle des simplicité : Sacatela est en soi une petite beauté brésilienne de 3 minutes (qu’on aurait d’ailleurs préféré exclusivement féminine…), déployant une luxuriance proche d’Os Mutantes.

L’album a le chic pour bien s’entourer, et ce au hasard des itinérances du groupe. Qu’il s’agisse de la chanteuse de Fiesta en el Vacio (sur Tren de la vida) ou de celle d’Adios Amores (sur No pasa nada), le groupe garnit son harem de superbes voix    invitant à la divagation. Nous sommes bien loin de la littérature, la langue (on retiendra ce sommet de poésie dans Sacatela, « Va buscando otra polla / Eres amoroso y es la polla / Pero te comerá como a una chupacabra« ) n’ayant jamais été un fort chez eux. En fait, nous nous situons plus dans un exotisme bariolé à l’eau de rose, celui des peintures populaires comme on pouvait en voir sur les murs de tavernes anglaises du XIXe siècle, tout autant que dans le symbolisme poussé d’Alejandro Jodorowsky. La Femme a cette rare force d’atteindre une juste hétérogénéité dans l’homogénéité nécessaire à l’objet album. Le duo expérimente beaucoup, ne craignant jamais le ridicule. Mais le problème est là encore la mesure de celui-ci : le groupe s’abîme trop souvent dans un dilettantisme, voire un dénigrement volontaire de poseur, et qui, cette fois, ne sont jamais drôles. L’album s’écoute sans déplaisir, mais il est à l’image des deux hommes derrière La Femme : pluriel mais bordélique, déférent mais trop kitsch, audacieux mais tape-à-l’œil, chargé en références et pourtant creux. La prochaine étape sera la conquête de l’ouest. Annonçant une prochaine tournée aux États-Unis, nous espérons que l’Allemagne ou la Chine ne rencontreront pas leur chemin.

Tracklist
01. Fugue italienne
02. Cha-cha
03. Sacatela
04. Y tu te vas
05. Contaminado
06. Teatro Lúcido
07. Maialen
08. El Tio del Padul
09. El Conde-Duque
10. No Pasa Nada
11. Resaca
12. Tren de la Vida
13. Balade Arabo-Andalouse
Liens
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