Tony Bennett & Lady Gaga / Love For Sale
[Columbia Records / Interscope Records]

8.1 Note de l'auteur
8.1

Tony Bennett & Lady Gaga - Love For SaleTony Bennett nous fait ses adieux. Et c’est accompagné de Lady Gaga qu’il ferme son immense carrière. Il est rare qu’un artiste de cette trempe quitte la scène de son vivant, et c’est heureux.

Love For Sale est leur dernier album, avant que Tony B range définitivement son smoking, et, fort de sa collaboration avec Lady Gaga pour le très bon Cheek To Cheek, c’est avec elle qu’il tire le rideau.

Radio ga-gâteux

La maladie d’Alzheimer a de mauvais jours devant elle. Le parrain du jazz est toujours aussi fringant, charmeur. It’s De-Lovely nous coule tout de suite dans l’ambiance. Nous sommes ici dans un jazz feutré, du premier âge. La Gaga s’offre une parenthèse au goût champagne, où les notes y pétillent comme les bulles. Après une seconde partie de carrière dominée par les écrans (notamment A Star is Born, de et avec Bradley Cooper) et, musicalement, un album Chromatica électro-pop en semi-teinte, Lady Gaga s’offre une nouvelle incartade jazzy et deluxe, idéale pour draper les fêtes de fin d’année et préparer le terrain au nouveau métrage de Ridley Scott, House of Gucci (sortie le 24 novembre prochain), où elle incarnera la matriarche du clan. Mais c’est oublier que c’est bien Tony Bennett, baron du jazz, 70 ans de carrière et une centaine de disques au compteur (il s’agit précisément de son… 61ème album studio, ici), et des collaborations légendaires à en pleuvoir comme, allez, George MichaelAretha Franklin, Bill Charlap, pour en citer quelques-unes, qui lui sortit la tête de l’eau lorsqu’elle était dans le creux de la vague, suite au flop de Artpop (2013). Cheek To Cheek raffle alors un Emmy et domina le palmarès musical, un exploit pour un disque de jazz. Le reste, l’histoire s’en souvient. Dès lors, cette retrouvaille faisait sens. Un bel échange de procédés, se faisant au service de la musique, pour une fois.

La voix de Bennett tient la rampe ; celle de Gaga balance du bois. Polyvalente, celle-ci prouve une fois encore à ceux qui l’envisageraient uniquement comme un produit marketé, sa légitimité. Dans Night And Day, il y a une exaltation joliment surannée. Il fait chaud ; le feu crépite. On se remémore les ambiances de ces films, avec le faste et cette classe, cette poésie des caves à whisky et des banquets mondains du mitan du siècle, les robes en liesse et les tuxedos courtois, les films mutins comme The Party de Blake Edwards ou des comédies de Broadway. Charmant à souhait, séduisant et langoureux, on croirait alors entendre les mélodies de Henry Mancini. Presque. Cet album revisite le répertoire du célèbre Cole Porter. Ça danse, ça swingue, ça pétille avec ce duo anti-âgisme. Que désirez-vous boire ? Un doigt de Jim Beam ? Un verre de brandy ? Avec sa petite guitare gringalette, Do I Love You vous charrie dans une alcôve. Tout est confortable, le monde est rembourré ; on s’y sent bien, en sécurité. Un peu plus loin, dans le  morceau Love For Sale, la contrebasse y est sexy ; le saxophone, espiègle. Le petit orchestre qui les accompagne fait des miracles. On aimerait vivre dans une musique pareille !

Merci pour ces décennies

Il y a des voix qui sont faites pour s’entendre. Celle de Gaga ne cache pas sa joie de jouer avec un ponte : elle change sa voix ; l’entortille. Elle minaude, fait marque de révérence envers le chanteur. S’en est mignon au début, preuve de l’authentique affection entre les deux. Gaga veut honorer la lignée de prestigieux artistes ayant partagé la vie de Bennett, notamment à Amy Winehouse, à qui elle tente de se confronter. Puis, au bout de quelques morceaux, tel I Concentrate On You, cela en devient agaçant. Un peu plus loin, l’album connait un léger ventre mou, dans ses quelques solos. So In Love en devient un peu caricatural, entre une musique de fond jazzy d’un James Bond fatigué et d’une Panthère Rose replète, alors que Let’s Do It et ses trompettes et orgue sont pâlots. Quand Gaga est seule, l’absence de Tony s’y fait sentir. Même si Bennett fait excellente figure, il semblerait, d’après divers échos, que l’album ne se soit pas fait sans douleur, l’équipe observant la sénilité croissante du saint homme (pour rappel, il est né en 1926). Ce n’est pas pour rien si certains de ses concerts furent annulés pendant la production de l’album. Mais encore, cela se sent-il ? Pas vraiment : une fois passé, la voix de Bennett est parfaite sur I’ve Got You Under My Skin, sèche comme il faut. Dès lors, nous comprenons que si l’orchestration lâche du lest, ce sont les morceaux qui en souffrent en première ligne, et uniquement eux.

Cela ne durera heureusement que deux titres. Dream Dancing est chatoyant comme il faut, avec ses cymballes qui tressautent, de même que les maracas de I Concentrate On You. Les longs ponts musicaux font leur retour. L’orchestre est ordonné, exécute les morceaux comme il faut, presque sans accroc. C’est rythmé, bien foutu. Nous pourrions dire que ce jazz est poli et trop propre, mais c’était attendu d’un album de cette trempe, blockbuster intimiste de jazz. Les plus tatillons trouveront que les titres sonnent un peu de la même manière, mais ils n’auront alors pas compris les règles du jazz. You’re The Top est une turlupinade bon enfant, une joute pleine de tendresse bien placée, où chacun caresse l’autre dans son sens tout en se dénigrant, le sourire dans la voix :

You’re the Nile / You’re the Tow’r of Pisa
You’re the smile / On the Mona Lisa
I’m a worthless check, a total wreck, a flop
But if, baby, I’m the bottom / You’re the top

Cosy et chic, cet album sent bon le vernis. En comparaison à Cheek To Cheek, celui-ci se veut plus primesautier. Le subliminal Just One Of Those Things, chanté uniquement par Bennett (succédant à la même place à Frank Sinatra et Ellen Fitzgerald), n’a pas été sélectionné par hasard :

So goodbye, goodbye dear and amen
Here’s hoping we’ll meet now and then
It was great fun (x2)
But it was just one of those things

On ne sait quoi trop rajouter d’autre au sujet de Love For Sale, car tout semble dit. Merci pour ce moment. Et toutes les décennies qui précédèrent. Tony B aborde le dernier rivage de la vie, avec une retraite on ne peut plus méritée.

Tracklist
01. It’s De-Lovely
02. Night And Day
03. Love For Sale
04. Do I Love You
05. I’ve Got You Under My Skin
06. I Concentrate On You
07. I Get A Kick Out Of You
08. So In Love
09. Let’s Do It
10. Dream Dancing
11. Just One of Those Things
12. You’re The Top
Écouter Tony Bennett & Lady Gaga - Love For Sale

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