The Schmalkalden Philharmonic Orchestra plays Jochen Tiberius Koch / Astoria
[Schole Records]

8 Note de l'auteur
8

The Schmalkalden Philharmonic Orchestra plays Jochen Tiberius Koch - AstoriaLe cœur de la modernité musicale est probablement là quelque part. Dans ces expériences mi-électro, mi-classiques qui constituent l’épicentre d’une rénovation fondamentale. La musique devient bande-son mais aussi bande originale et récit. Elle est faite de chansons qui sont aussi des thèmes et de thèmes qui peuvent, sur quelques secondes, ressembler à des tubes détraqués, de micro-éléments dont on se souviendra à peine mais qui, l’espace d’un instant, s’accrochent à l’oreille. Le précédent album de Jochen Tiberius Koch s’inscrivait dans la ligne claire Schole Records. Dédié au Walden de Thoreau, il s’agissait d’une œuvre rigoureuse et ouverte à la fois où l’auditeur respirait le grand air de la liberté et des forêts.

Astoria est une œuvre autrement plus ambitieuse et élaborée. A l’adaptation « romanesque », Koch substitue, formidablement soutenu par un orchestre entier qui apporte ampleur et solennité à sa trait psycho-historique d’un hôtel. L’Astoria se situe au 33 Georg Schwarz strasse, dans l’ancien quartier industriel de la ville, Lindenau, devenu le cœur de la vie culturelle de Leipzig. L’hôtel a été détruit puis bâti à nouveau et réhabilité. C’est à lui seul une allégorie de l’Allemagne et de ses transformations, un bâtiment à l’architecture classique mais que le monde emmène vers une forme de modernité, interconnecté, équipé du dernier cri et doté d’un wifi à forte bande passante. C’est l’histoire de ce lieu, ses aléas mais aussi des hommes qui y vivent et l’ont fait tourner que Koch essaie d’évoquer dans cet album assez fascinant où il alterne des séquences chantées de l’ordre de la variété, des plages orchestrales puissantes et des collages qui vont de la reproduction de discours jusqu’à des bruits de sirène.
L’épopée de l’Astoria, par-delà son historicité, donne l’occasion à Tiberius Koch de proposer un collage audacieux de sources sonores qui ressemble effectivement à ce que peut entendre un voyageur qui traverse des lieux de villégiature. 33/45 est une chanson magnifique, variété et trip-hop, aux accents blues soul étonnants. C’est une chanson de piano bar qui décrit un monde qui explose. The Lobby Boys qui précède suggère l’effervescence discrète des garçons d’étage et des grooms qui circulent dans le hall de l’hôtel à la fin du grand siècle, qui valsent et qui glissent avec les valises et les chariots. After The War ressemble plus à une musique d’ascenseur ou à un pont sonore tendu entre les âges. L’hôtel y renaît de ses cendres et semble revivre sous nos yeux après le tumulte et les troubles de la guerre. Il y a une forme d’allégresse et de détermination dans la musique de Koch qui confère au mouvement global une force et une énergie qui l’emportent sur la variété des sources musicales. Astoria renvoie directement au cours du temps qui passe, à son inéluctabilité, à l’incapacité des hommes à ne serait-ce que contrarier son flux. Le violoncelle sur Decline a beau tenter de suggérer la désolation et l’abandon, la poésie du lieu l’emporte toujours et ne disparaît jamais tout à fait. Le souvenir des époques persiste et s’incarne dans un clavier jouet, dans un final somptueux et quasi space-opératique.

Le compositeur passe d’une musique incarnée, avec des voix humaines, des poèmes, une matérialité finalement très XIXème dans son approche musicale qui marque la première moitié de l’album à une musique abstraite et/ou populaire symbolisée par l’irruption du chant pop et d’une sorte de final de comédie musicale (Epilog) aussi incongru que séduisant. Que reste-t-il de la marche fière de Uplifting Monument ? Qui se souvient d’un Sunrising qu’on dirait décalqué d’Enio Morricone ? L’hôtel est un lieu occulte qui s’envisage au final comme un lieu de passage entre les espaces et les époques, un mystère et une tombe à la fois.

Astoria est un disque magnifique, plein de questions et de clichés. On l’écoute comme on feuillèterait l’album photo de parfaits inconnus, avec une vraie tendresse mais aussi le sentiment troublant d’une étrangeté à l’œuvre. La musique de Jochen Tiberius Koch emprunte ce caractère majeur à la modernité : l’impression d’être familière tout en se défilant et en nous maintenant à distance de ce que serait vraiment un rapport au monde chaleureux et sans médiation. Il n’y aura bientôt plus que des musiques d’ambiance.

Tracklist
1. Prolog
2. Uplifting Monument
3. Sunrising
4. Behind The Backdrop
5. The Ballare
6. The Lobby Boys
7. 33/45
8. After the War
9. Another World
10. Decline
11. Lost Place
12. Epilog
Liens
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
Bio de Johnny Marr, édition française : la revanche du guitariste
Est-ce l’amour qu’on a toujours porté à Morrissey qui nous a aveuglé...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *