Y’a-t-il un mystère LANE ? A bien y réfléchir, cette question vaudrait pour une partie conséquente de la production musicale et pas seulement actuelle qui réussit le tour de force de rester intéressante, voire passionnante sans pourtant renouveler, ou si peu, la formule, notamment celle des sacro-saint trois accords punk rock. One two three four et c’est parti. Rejoignant comme une évidence le label bordelais Vicious Circle pour la sortie de ce Picture Of A Century, il est clair que le quintet angevin déroule ce savoir-faire qu’on lui connait depuis à peine deux ans (un ep et un premier album déjà l’an dernier) sans la moindre crainte et sans se poser trop de questions. Pourquoi faire ? Si Eric et Pierre-Yves Sourice ont remis le couvert, près de 20 après la fin des Thugs, c’est sans doute parce qu’il y avait urgence à composer de nouveau et écrire sur l’état du monde plus que par volonté d’explorer de nouveaux territoires musicaux. Accompagnés d’une autre fratrie, Camille et Étienne Belin membres du groupe power pop Daria et de Félix Sourice, le propre fils de Pierre-Yves (la quasi berceuse Your Smile sur Tout Doit Disparaitre en 1999 avait été écrite pour le bébé qu’il était), L A N E s’avère d’abord être un groupe transgénérationnel, taillé pour la scène et qui apprend à se nourrir des influences des uns et des autres même si, soyons clair, la basse de Pierre-Yves, la voix et la guitare d’Eric sont deux éléments structurants qui, immanquablement, renvoient d’abord au mythique groupe angevin qui sera d’ailleurs bientôt le sujet d’une prochaine parution de l’excellente nouvelle maison d’édition rock, Le Boulon.
Mais passés quelques écoutes et surtout les premiers morceaux du disque, il apparait clairement qu’il n’y a aucun « mystère L A N E » et que la grande qualité de Picture Of A Century est de révéler un groupe capable de se demander s’il ne faudrait pas de temps en temps faire bouger les lignes. Si Teaching Not To Pray, le EP de 2018 et A Shiny Day, l’album de 2019, reflétaient avant tout l’urgence d’un groupe reparti sur les routes comme en 40, enchainant les concerts, écrivant et composant à tour de bras comme pour libérer une rage un peu enfouie, peut-être par l’âge adulte et les responsabilités (paternelles ?), le tout en plein mouvement gilets jaunes renvoyant à l’engagement social dont les Thugs ne se sont jamais cachés, ce nouvel album, toujours aussi rageur et globalement rentre-dedans, laisse aussi la place à de nouvelles influences, à des sonorités plus nuancées, bref, en un mot comme en cent, fait « moins Thugs ». Non pas qu’il était temps, mais il est indéniable que ces petites touches un peu nouvelles apportent encore plus de fraicheur dans un disque qui pourtant n’en manquait pas vraiment.
Bien entendu, on ne se débarrasse pas comme ça d’un tel ADN : rythmique puissante, murs de guitares acérées, mélodies au cordeau et refrains chantés en chœurs font aussi de Picture Of The Century un disque qui ne décevra pas les fans de toujours. Discovery None et plus encore Voices en introduction, Homicide ou le nerveux Lollypop and Candy Cane sont des morceaux écrits et exécutés dans la plus pure tradition des frères Sourice. Mais le très Weezer-esque So Many Loves ou Black Gloves qui renvoient à l’univers plus power pop de Daria donnent de précieux indices sur l’univers qui va colorer plusieurs autres morceaux et montrer sans doute l’influence dans l’écriture du groupe de Félix Sourice, fan de Green Day mais aussi du dernier Slowdive.
Le premier frisson de cet album arrive comme en écho d’Electric Troubles, le second album des Thugs avec Electric Thrills et son superbe texte sur les aspirations d’un jeune homme à monter un groupe et d’un plus vieil homme (le même probablement) à le remonter. Le morceau divague sur une rythmique plus chaloupée et des textures de guitares plus aériennes, presque nappées, le tout étant servi comme il se doit par un refrain parfait, une véritable signature depuis tant d’année. Plus loin, c’est toute l’influence du rock US qui se fait sentir sur Life As A Sentence ou Family Life qui renvoient au meilleur de Sebadoh ou de Bob Mould, plus celui de Sugar que de Husker Dü d’ailleurs.
Mais même en s’affranchissant un peu d’une partie de son histoire, L A N E n’a en tout cas rien perdu de sa fibre sociale et jette sur le monde un regard souvent triste, navrant, constatant que le cynisme et le désespoir face à la connerie humaine y sont plus que jamais présents mais en tentant encore d’y trouver, même si c’est de façon ténue, quelques traces d’espoir et d’amour (It’s Only Love). C’est aussi le sens de la parfaite conclusion de ce disque, le titre éponyme Picture Of A Century sur lequel flotte le souvenir de moments heureux (une plage, des amis, du bon vin) qui n’ont peut-être pas complétement disparus. Ce sont ces superbes instantanés de paysages que l’on imagine croisés au fil des tournées et qui tapissent la pochette intérieure du disque. Ce sont ces images intimes qui construisent une vie et permettent de ne pas tomber dans le pire des pessimismes. Comme de bons copains, si L A N E n’a pas du tout l’intention de travestir la réalité de notre monde actuel ou de jouer le jeu du cynisme en s’en foutant royalement, on peut aussi toujours compter sur eux pour remonter le moral. Et pour ça, on fait rarement mieux qu’un bon disque comme celui-ci.
02. Voices
03. So Many Loves
04. Electric Thrills
05. Homicide
06. Life As A Sentence
07. Sing To The Last
08. Family Life
09. Black Gloves
10. Last Generation
11. It’s Only Love
12. Lollipop And Candy Cane
13. Pictures Of A Century