Ce n’est pas désagréable de rédiger un article sur un jeune artiste presque sans passif. Ça nous épargne du temps, et avec un peu de chance, on peut se vanter d’avoir été le témoin en avant-première de son éclosion. On aurait aimé que ce soit le cas avec le pourtant talentueux Wesley Joseph, luciole montante de l’industrie du rap dont Glow est le second fait d’armes, après un solide Ultramarine (2021) ayant peu attendu pour obtenir un petit frère.
La belle couverture le laissait présager, avec son logo stylisé, son fond grenat et l’accoutrement bling-bling dépareillant. Elle est à l’image de cet album. Malheureusement, le morceau introductif s’impose comme moins que moyen. Il y a cette petite ondée ouatée de notes très DIY nous donnant espoir, laissant présager un album assumant un minimum de bon goût (ce qu’il est), cosy et douillet, mais les violons et effets de réverbération ont mille fois été entendus. Nous nous situons donc pile en cette fine lisière se logeant à la droite d’un rap américain généraliste et grégaire, et à la gauche d’un rap disons plus intimiste et intérieur, petit public. Joseph se borne à se fourrer entre ces deux parements d’influence américaine, n’en prenant ni le meilleur ni le pire, uniquement certaines composantes de leurs traits. Monsoon en est la preuve, partant vers le territoire de la pop que le rap a su si savamment coloniser pour rencontrer le succès que l’on sait. Ici, les refrains se voient enrobés de matière popeuse, mais non celles synthpop auxquelles on pense pour attirer le premier chaland ; ce sont ici ces sonorités vieille école de guitare électro-jazzy et R’n’B si bien récupérées par l’Europe bourgeoise et ses producteurs d’électro tels LaBlue, Darius ou Kaytranada, et que l’on retrouve à plus haut degré encore dans les pays anglo-saxons dans le rap soul « chanté » de Tyler The Creator, Pip Millett et tant d’autres. En somme, pas les plus communes, mais suffisamment entendues pour les savoir émoussées. Glow est donc l’exact prolongement d’Ultramarine, en moins consistant.
Cœur de lumière
Et c’est là que nous revient que Joseph n’est non pas américain, mais britannique. L’accent chantant a donc filé à l’anglaise ; c’est un charme de moins. Comme le jeune Aitch issu de cette même génération, sa voix n’a pas échappé aux fourches caudines de l’oncle Sam. À la place, Joseph mime, par intermittence, comme sur Cold Summer, cet accent de mec des îles, nous obligeant à nous coltiner les lyrics en lecture pour actualiser ce qu’il nous reste de notre LV1. Quelle est notre surprise alors, de constater que s’il y a bien un élément faisant défaut à cette américanisation, c’est bien l’écriture! « Small world filled with true lies / Sore eyes, I’m walking in blind / What it feel like / In the thick of night? / […] And the day is feeling so young, it’s a blank page of a haiku / See the danger in the nature of a wager of the truth » : c’est par la plume que se distingue Joseph, alors que tous les voyants nous laissant croire le contraire, la posture de l’endolori désespéré ne suffisant plus depuis Frank Ocean. I Just Know Highs apporte un brin de fraicheur, la voix autotunée de Wesley Joseph atteignant les aigus et cette scansion chantée si caractéristiques de certaines voix africaines, donnant un aspect androgyne, voire chaman. Celle-ci s’oppose à celle plus grave et slamée d’un Joseph névrosé mais maître de soi. De même qu’avec les sonorités, le producteur semble vouloir opposer le moelleux d’un piano à la raideur des violons. Pour autant, les morceaux sont trop courts pour nous projeter dans quelque univers (Joseph réalise pourtant ses clips et a étudié le cinéma). Glow est un album soufflant le chaud et le froid en nous, et l’expression est à prendre au pied de la lettre.
On a du mal à remplir notre copie, d’autant que le résultat est somme toute loin d’être honteux. Pour les plus aficionados du rap, l’album ne s’écoutera pas sans déplaisir, mais provoquera ce même effet de vide qu’une écoute automatique. Tout passe relativement bien à l’oreille, mais rien ne nous percute mémorablement, l’écriture ne suffisant pas. Par rapport aux sommités évoquées, l’album fait pâle figure, mais offre cet avantage de la concision, nous permettant une ou deux écoutes le temps d’étendre son linge ou de cuisiner une omelette.