Lèche Moi / A6
[Atypeek Music]

8.5 Note de l'auteur
8.5

Lèche moi - A6On ne s’attendait pas à une telle puissance de feu mais on aurait dû se souvenir que Lèche Moi avait repris il y a quelques années le Jenifer des Birthday Party et s’y connaissait lorsqu’il s’agissait de faire parler la poudre. Après une série de EPs habités dont on a rendu compte, le premier album des Lèche Moi marque indéniablement un pas en avant pour le duo parisien : le son est dopé en vitamines, les voix sont amplifiées et montées en épingle, tandis que l’accompagnement musical gagne en impact, en folie et en lisibilité au point que le tout renvoie directement au haut patronage de Nick Cave et de ses mauvaises graines. A6 (parle-t-on de l’autoroute du soleil, d’un avion américain ou d’une fusée nazie, l’histoire ne le dit pas?) est une surprise presque totale et une réussite extraordinaire.

On retrouve un peu de cette folie du Delta (et du bush australien) dans le saxo qui plonge le remarquable Cold Night d’ouverture dans une ambiance moite et sensuelle. La voix de Sidonie est impeccable de solennité et nous propulse dans une sorte de marécage de légende où zombies et alligators balaient le terrain. Mika prend le relais et le lead sur un Burned délicieusement crépusculaire, cajun et résolument punk. La musique est métallique, les guitares font des étincelles, tandis que la basse installe un climat d’angoisse et de danger permanent. L’entrée dans le morceau est particulièrement spectaculaire. « You burned everything and there is no way….And now you cry… ». Les Lèche Moi sont adeptes de la terre brûlée. Là où ils passent, rien ne repousse.

Leur premier album, A6, renoue avec l’intensité qu’on avait croisée jadis chez des groupes américains comme le Jon Spencer Blues Explosion ou Boss Hog. La musique du groupe est noire et poisseuse, hantée par l’orage, les relations interdites et des drames qu’on image tirés d’un livre de Faulkner. Le morceau Rage, chanté en partie en français, en est une autre illustration dans un registre là-aussi volontairement excessif et démonstratif. La batterie est monstrueuse de bout en bout et la production pleine de surprises. Les compositions sont souvent époustouflantes et l’interprétation à la hauteur pour atteindre un impact réellement dévastateur. Difficile de résister à l’évidente beauté de Anyway, chanson d’amour maudit(e) qu’on imagine chantée depuis le lit encore chaud dont l’amant s’est évanoui. Lèche Moi abuse parfois des effets en poussant trop loin la puissance vocale de sa chanteuse ou en surjouant sa filiation diabolique. A Monkey On My Back est, à cet égard, l’un des morceaux les moins convaincants de l’album, même s’il permet au groupe de renouer avec sa fibre électronique. Deep sonne comme du rock new-yorkais des années 70 chanté par une Siouxsie qui aurait traversé l’Atlantique. C’est un bonheur pour les oreilles et en même temps l’occasion d’un fabuleux voyage dans le temps où des arrangements d’hier sont remis en tension par une production moderne.

Le sans-faute continue dans la dernière ligne droite. La dimension synth pop et gothique du duo est ici réduite à la portion congrue. Lèche Moi s’affirme comme un immense groupe romantique et le couple le plus vénéneux du rock français. The Letter est une déclaration d’amour magnifique, exécutée en toute simplicité. On retrouve avec bonheur le single Libera Me avant que le groupe ne porte le coup de grâce en gardant ses meilleures fléchettes pour la fin. Irrécupérable est stupéfiant, situationniste et punk, il égrène des slogans révolutionnaires empruntés à Koltes prônant (de manière poétique et hermétique) la désobéissance et le retrait du monde. « Avant qu’il ne soit trop tard, barrez-vous. Ne répondez plus aux questions. N’ouvrez plus jamais la bouche que pour dire une chose irrécupérable. » Il y a une fraîcheur et une force dans la relation qui unit les membres du groupe qui rappelle l’association d’Armand Gonzales et Virginie Peitavi dans leurs travaux post-Sloy. Un tel album ne pouvait s’achever que par une chanson monstrueuse et définitive. C’est la fonction qu’occupe All Is All sur plus de 10 minutes. Le service est commandé, attendu presque, en messe noire mi-métal, mi-rock. On croise des spectres et des ombres, des caresses aussi. Le chant rappelle bien sûr le Cave des débuts, crachant et drogué jusqu’aux yeux, mais aussi le Scalper shamanique qui hante nos nuits depuis des années. Le prêche terrifiant et quasi burlesque d’un ministère démoniaque menace et s’éternise. Le morceau est exagérément allongé mais remplit sa fonction : mettre un point d’arrêt blues à un album en tous points remarquable. A6 s’achève pour de bon avec un Partir Pour Ne Plus Revenir, instrumental et crunchy, qui flatte la veine expérimentale du duo.

On ne sait pas trop ce que cette musique vient faire chez nous, pas plus qu’on ne connaît les motivations qui ont poussé le groupe à évoluer dans ce registre si peu couleur locale mais tout ceci nous a définitivement convaincu que coucher avec des succubes (plusieurs en même temps si possible) était probablement un bon truc à faire. Lèche Moi livre avec A6, en plus d’un premier album incroyablement abouti, un OVNI désirable, admirable et qui hantera nos nuits pendant de longs mois.

Tracklist
01. Cold Night
02. Burned
03. Rage
04. Anyway
05. A Monkey On My Back
06. Deep
07. The Letter
08. Libera Me
09. Irrécupérable
10. All is All
11. Partir pour ne plus revenir
Liens
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
[Chanson Culte #34] – Smack My Bitch Up de Prodigy : classes Techno, classes dangereuses
L’histoire du groupe The Prodigy est à elle seule passionnante et il...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *