[Loco Pop #5] – Terminal Cheesecake, le groupe fou qui voulait tuer la brit pop, Nigel Kennedy et plein d’autres trucs pas cool

Terminal CheesecakeIls reviennent ! Ils sont revenus même, sur scène, en France notamment depuis 2014, à Marseille où ils ont gravé un album live magnifique Cheese Brain Fondue mais aussi à Rennes ou à Lille. Demain, début novembre, avec leur premier album studio depuis douze ans, intitulé Dandelion Sauce of The Ancients (la sauce pissenlit des Anciens….), le groupe le plus fou de l’histoire du rock anglais des années 80, Terminal Cheesecake viendra prendre sa revanche sur l’histoire.

Terminal Cheesecake ?  La probabilité pour vous d’avoir jamais croisé la route et la musique de cet ensemble qu’on dira culte par gentillesse est faible, et ce même si vous pensiez avoir navigué profond en terre souterraine. Leur nom s’échange discrètement entre fans et membres du culte à la lueur des lampions, dans les bas-fonds de l’overground londonien. TC est anglais, originaire du nord est de Londres, fêtera ses 30 ans d’activité dans une grosse année et a signé cinq albums entre 1989 et 1994, parmi lesquels Angels in Pigtails en 1990 est considéré comme leur… chef d’œuvre. Si on considère bien sûr qu’un chef d’oeuvre peut être un ensemble de chansons foutraques, jouées à toute vitesse et sous l’influence manifeste de stupéfiants ébouriffants… on peut considérer cet album comme un aboutissement et un modèle d’équilibre et de fantaisie, voire comme certains fans le tenir pour le meilleur album de rock psychédélique produit sur le rock anglais (par un groupe qui n’est pas le Pink Floyd).

Né autour de la réunion de Russell Smith, ancien AR Kane et M.A.R.R.S (groupe formidable connu ici uniquement pour son tube Pump Up The Volume), Gordon Watson et du chanteur Gary Boniface, Terminal Cheesecake se forme en 1988. Mick Parkin et John Jobbagy, tous deux membres comme Boniface d’un groupe peu connu appelé The Purple Things, rejoignent l’aventure avec l’idée simple de jouer…. de la musique. Smith et Boniface piochent le nom du groupe dans le fameux répertoire de Nick Saloman, une liste mythique de noms de groupes n’ayant jamais existé dressée un soir de disette. A l’affût, les deux compères tirent au sort et décident de donner à cette appellation stupide (Gâteau au fromage en phase terminale, pour les intimes) un contenu et une postérité. Autant dire qu’ils s’en mordront les doigts à de nombreuses reprises. Mais le nom reste : Terminal Cheesecake est né. Loin d’être une pochade, la bande qui ne sait pas trop dans quel genre évoluer se lance dans une sorte de frénésie psychédélique qui tape dans l’oeil du jeune label Wiiija, fondé la même année par d’anciens du magasin Rough Trade de Notting Hill. Les types ont le nez creux et signeront dans les années qui suivent plusieurs groupes de renom dont Therapy? et surtout Cornershop, mais aussi, plus tard, Free Kitten. Le premier album de Terminal Cheesecake s’appelle Johnny Town-Mouse. Officiellement il s’agit d’une relecture rock de Beatrix Potter (l’histoire pour enfants, Peter Rabbit et ses amis pour ceux qui s’y connaissent). Dans les faits, ce premier album est une maelström terrible, un bordel sans nom, un attentat contre l’art de produire des disques. L’entrée en matière du Terminal Cheesecake est bruyante et brouillonne. On passe de chœurs d’enfants à des bruits de pales d’hélico en passant par des trucs qu’on identifie mal et qui ressemblent à  des scies. Il y a de la guitare partout et quasiment aucune mélodie. L’univers enfantin de Potter est détourné, perverti, corrompu et rendu assez largement inécoutable. Les plus audacieux compareront cela à une version britannique atrophiée des Butthole Surfers.  Mais il faut beaucoup d’imagination pour cela. Johnny Town-Mouse est expérimental, bruitiste, dissonant mais, contre toute attente, séduit quelques dizaines de personnes et passe sur… la BBC. De toute la discographie du Terminal Cheesecake, l’album reste le plus extrême, tellement extrême qu’on ne recommandera à personne de l’écouter vraiment.

Fort de cette entrée en matière, le groupe enchaîne à toute allure sur un deuxième album presque aussi singulier. V.C.L. L’album est plus structuré, plus construit et surtout mieux produit et enregistré. Les moyens sont au rendez-vous et on distingue quelques chansons et notamment une version horrifique de Lord of The Dance, une chanson pour enfants composée dans les années 60 par Sidney Carter. Mais le morceau qui attire l’attention s’appelle Valium Chicken Leg qui est une cover non officielle du Come in number 51, you’re time is up des Pink Floyd. C’est à ce moment là qu’apparaissent les premières résonances psychédéliques dans le son du TC. L’album est un four ou un demi-four qui emporte le groupe. Le Terminal Cheesecake explose mais est reformé in extremis autour de Russell Smith et Gary Boniface lorsque John Peel leur commande une Peel Session. Ni une ni deux, les deux hommes réassemblent une structure et s’engagent dans une rapide rénovation… « tous publics » (enfin, pour eux). En 1990, la Peel Session est un bon témoignage de ce que va devenir le Terminal Cheesecake sur Angels in Pigtails : les bases psychédéliques sont en place, le chant de Boniface trouve sa place en devenant un instrument comme un autre mixé à l’arrière-plan. La folie s’efface un temps derrière les aplats de guitares et les rythmiques entêtantes. C’est à ce moment également que le TC se lance à corps perdu dans les drogues. Après l’acid, les joints, il théorise sa prise de drogue pour en faire une partie intégrante de ses concerts. Joe Whitney et Gordon Watson constituent la nouvelle section rythmique du groupe et apportent une forme de régularité sombre au groupe. Le Terminal Cheesecake se professionnalise tout en gardant ce grain de dinguerie qui le distingue du tout venant de l’époque. Au même moment, les Happy Mondays, les Stone Roses et les Inspiral Carpets engagent le Nord du pays dans ce qui deviendra l’époque Madchester. A Londres, les Terminal Cheesecake adoptent une ligne encore plus extrême, apparaissant sur scène dans un état délibérément altéré et qui produit une transformation aléatoire de leur capacité… à jouer. Du coup, les concerts deviennent furieux et passionnants. Les chansons varient et se reformulent au gré des intoxications. Le groupe célèbre des concerts qui ressemblent à des explorations de conscience dans la lignée des grands combos psychédéliques des années 70.

Tandis que Madchester fait danser pour oublier la misère, Terminal Cheesecake fait carrément oublier sur quelle planète on se trouve. Angels in Pigtails apparaît ainsi comme leur album le plus abouti : des musiques, quelques samples, un embryon de propos et un vrai sens de la liberté. Au milieu du bazar, un humour imparable qui s’attaque sur 3 titres à Nigel Kennedy, sa taille, son allure, sa coupe de cheveux et ce qu’il représente dans le music business. Il faut dire que le bonhomme a tout pour agacer avec son allure de tête à claques punk et de croisement entre André Rieu et John Lydon. Le disque est gravé sur CD en une unique plage sur laquelle on trouve notamment les morceaux Kennephant Man (qui compare le violoniste et Elephant Man) et Head Of Nigel (une chanson où il se fait décapiter). L’ensemble est très chouette et est hébergé dans une nouvelle structure, Pathological Records, le groupe ayant jugé que les pourtant modestes Wiija étaient devenus trop commerciaux pour eux ! Après ce coup de maître, le groupe explose à nouveau, et l’on peine un peu à suivre sa ligne directrice. Les drogues restent. Russell Smith quitte le navire embarquant tout le monde ou presque avec lui, avant de revenir. Certains se tournent vers le dub, d’autres vers le hip-hop. Le groupe revient toutefois avec trois autres albums en 1992, 1993 et 1994. Pearlesque King of The Jewmost est le plus couillu, le plus puissant. Terminal Cheesecake a de faux airs de Godflesh et incorpore de plus en plus d’éléments (et de beats) électroniques. Pour les amateurs de rock psychédélique, on change clairement de chapelle. Sur King of All Spaceheads, Terminal Cheesecake redevient une centrale de production de bruit. Le son est agressif, insolent. Le mini LP Gateau d’Espace est plus amusant et confirme que le TC a définitivement rejoint l’outre-terre. L’espace les accueille dans toute leur démesure, comme sur le très planant (mais pas forcément indispensable) Herbal Space Flight. La fumée sort des trous. Terminal Cheesecake se change en une arme définitive et subversive (mais non létale) que la britpop envoie valdinguer au rayon des antiquités exotiques. 

Au milieu des années 90, Boniface et Gordon Watson démarrent un nouveau groupe (dont on parlera une autre fois) entièrement dub, Bud Alzir (inversion de Rizla Dub, en hommage au célèbre papier à rouler), dont on recommande la fréquentation. En 2013, le Terminal Cheesecake se reforme et entame une tournée internationale à succès. Les vents sont de nouveau favorables. Boniface passe son tour sur ce coup là et laisse le chant à Neil Francis, chanteur de GNOD, groupe krautrock anglais déjanté à l’origine du label mancunien Tesla Tapes.  Mais c’est évidemment une autre histoire.

Dandelion Sauce of The Ancients, leur nouvel album, sortira sur le label Box Records. Dave Cochrane est le nouvel homme fort du groupe avec Russell Smith et Gordon Watson. Au fil des années, le line up a considérablement évolué mais le Terminal Cheesecake est resté une évidence et un point de ralliement de référence pour ces musiciens habitués à voguer d’une formation à l’autre au gré des inspirations, des envies et des trips. Dub, électro, rock, noise, garage, psychédélique, peu importe dans quel genre évolue la franchise. Le Terminal Cheesecake est devenu en 30 ans d’activité synonyme d’indépendance, d’intransigeance (un brin stupide), mais aussi de liberté absolue dans la transgression, la prise de drogues et le déchaînement scénique. On ne sait pas encore ce que donnera leur nouvel album mais une chose est certaine : Terminal Cheesecake est un groupe qui survit à tout, y compris et surtout à lui même. Le rock indépendant n’est jamais aussi fringant et éternel que lorsqu’il se manifeste sous cette forme révolutionnaire, anarchique et désespérée. Vous reprendrez bien une part de gâteau au fromage ?

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