Écouter à jeun et à sec Barbie The Album, c’est-à-dire la musique sans l’image, met à jour l’inanité complète du projet, l’hypocrisie second/troisième degré de ses créateurs et l’artificialité absolue de l’entreprise, incapable de véhiculer quoi que ce soit dont le caractère immédiatement méta ne viendrait pas ruiner l’effet et l’intention critique. Composées presque toutes (on met de côté la reprise de la scie Barbie World sur laquelle on reviendra) pour le film de Greta Gerwig, les chansons qui figurent sur l’album ont été « développées » comme de véritables projets à part entière et coordonnées par le producteur londonien Mark Ronson (Amy Winehouse, Duran Duran, Adele, Robbie Williams, etc), architecte sonore et songwriter par défaut qui a été missionné pour donner corps à la vision d’une Greta Gerwig lui amenant d’abord un univers à servir, des propositions de titres puis des visuels semi-définitifs qui auront aidé les artistes à finaliser voire à créer leurs compositions.
Le résultat est, une fois ramené au format disque, encore plus horripilant et haïssable que le film lui-même : un exercice de style un peu vain visant à inventer un « paysage sonore et musical » correspondant à un monde qui n’existe pas au delà de la misérable poupée de plastique rétrograde qu’est la tête de gondole de Mattel. Le film a beau déployer des trésors d’intelligence, des astuces de mise en scène et un aréopage de scénaristes vicieux, il est assez difficile d’habiller le vide absolu et de faire sonner comme s’il était plein un univers qui manque d’épaisseur et ne renvoie à aucune consistance sociétale, sociale ou idéologique. On peut soutenir d’un air intelligent que cette poupée contient un monde, qu’elle véhicule une ou plusieurs images de la société et de la femme mais tout démontre (jusque dans le volte-face promotionnel qui veut que ce qu’on tenait pour une figure avilissante soit aujourd’hui une figure cool de la libération et de l’émancipation féminine) que le Barbie World ne repose que sur du vent. Ce n’est pas parce qu’un produit a du succès et affiche une certaine longévité qu’il a la moindre valeur et un intérêt sociologique manifeste. Barbie est un jouet qui n’a jamais dépassé ce statut. Ce n’est pas en y appliquant des kilomètres ou des tonnes de cerveaux brillantissimes et convaincus que la culture pop a changé le monde qu’on transformera la réalité. La poupée est au mieux un symptôme et c’est déjà lui accorder trop d’importance que de lui accorder ce statut.
L’album Barbie fonctionne exactement de la même façon. Ce sont pour la plupart des chansons- coquilles-vides, creuses comme des dents, et qui tentent d’enrober sous une allure techniquement parfaite et un soupçon de charme technicien, une absence complète de justification, d’émotion et d’objectif. Cette critique est d’autant plus rude qu’elle ne cherche pas à atteindre les artistes rassemblés ici et qui font ce qu’ils peuvent pour produire de vrais morceaux. On ne peut pas dire que Lizzo ne s’emploie pas pour faire de Pink un bel hymne soul, funky en diable et resplendissant. Les paroles sont volontairement ineptes et l’on ne se débarrasse jamais du sentiment que l’on perd son temps ici et que tout est inutile. Si c’est une blague, elle est modérément aboutie. Si ce n’en est pas une, on a mieux à faire. Madonna a fait par le passé mille fois mieux que le poussif et vaguement sensuel Dance The Night, vulgaire pochade dance club à laquelle ont contribué les deux Djs français Maxime et Clément Picard. Hey Blondie est une affreuse bouse caribéenne qu’on n’écouterait même pas en sifflant un Malibu et le I’m Just Ken entonné par Ryan Gosling lui-même est beaucoup moins marrante et efficace que n’importe quelle chanson parodique tirée des Simpsons ou de South Park.
Dans ce désastre méta et rigolard, on sauvera peut-être le très beau What Was I Made For ? de Billie Eilish, probablement la seule chanson qu’on pourrait réécouter, par la qualité de son écriture et de son interprétation, une fois coupé le cordon avec le film. Pas étonnant du reste que ce soit quasiment l’unique chanson downtempo du disque, la seule qui se présente devant nous en toute simplicité et sans vouloir tout emporter sur son passage. Le reste, à l’exception du deuxième titre à sauver l’excellent Butterflies de Gayle, est bruyant, outrancier, tapageur et d’une vulgarité affligeante jusque dans ses plus petites recoins. Pour ceux qui les aiment encore, on mettra dans le grand sac à jeter l’horrible Journey To The Real World des Tame Impala, pas même digne d’illustrer un dessin animé du club Dorothée. Même constat sur l’atroce banger interprété par Ava Max intitulé Choose Your Fighter qui singe les rythmiques de combat/dance athlétique des jeux vidéos.
Tout ceci est bien laid, bien nul, bien dispensable. Il vaut encore mieux se trouer le doigt avec une pile.
PS : on termine en faisant un sort à la nouvelle version du hit d’Aqua Barbie World revisité par Nicki Minaj qui, s’il n’est pas ce qu’on entendra ici de pire musicalement, est emblématique de la vacuité totale de toute l’affaire.
02. Dua Lipa – Dance the Night
03. Nicki Minaj & Ice Spice – Barbie World (with Aqua)
04. Charli XCX – Speed Drive
05. Karol G – WATATI (feat. Aldo Ranks)
06. Sam Smith – Man I Am
07. Tame Impala – Journey To The Real World
08. Ryan Gosling – I’m Just Ken
09. Dominic Fike – Hey Blondie
10. HAIM – Home
11. Billie Eilish – What Was I Made For?
12. The Kid LAROI – Forever & Again
13. Khalid – Silver Platter
14. PinkPantheress – Angel
15. GAYLE – butterflies
16. Ava Max – Choose Your Fighter